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Europe de la défense : une renaissance entre sérieux et illusions

La Commission européenne, autoproclamée “de la dernière chance”, multiplie les propositions sur l’avenir de l’Europe. Parmi les priorités de l’exécutif européen, la création d’une “Europe de la défense”.

Pour Toute l’Europe, Nicole Gnesotto, professeur CNAM, explique pourquoi ce projet aussi ancien que la construction européenne, pourrait cette fois voir le jour à la faveur d’un contexte géopolitique favorable, ainsi que du départ du Royaume-Uni de l’Union. Il sera par contre nécessaire d’aller vite et de s’appuyer sur d’autres éléments que l’industrie de l’armement, prévient-elle.

Soldats européens postés à une frontière

Par Nicole Gnesotto, professeur du CNAM

“Elle renaît apparemment de ses cendres : la politique européenne de défense, assoupie depuis le début de la décennie, semble redevenue une priorité des responsables européens.

Nicole Gnesotto

Nicole Gnesotto est professeur du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et titulaire de la chaire sur l’Union européenne. Elle est notamment l’auteure de Faut-il enterrer l’Europe de la défense ?, paru en 2014 à la Documentation française.

Le 7 juin, les Etats membres ont décidé de la création d’une capacité militaire de planification et de conduite pour certaines opérations de gestion de crises. Le même jour, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a précisé son projet de 2016 quant à la création d’un Fonds européen de défense pour le financement de la recherche et développement et l’acquisition de capacités militaires. Depuis un mois, la France du nouveau président Emmanuel Macron a fait de la relance de la défense l’une des priorités européennes de son mandat, avec la réforme de la zone euro, à partir d’un axe franco-allemand de nouveau volontariste. Quant au prochain Conseil européen des 22 et 23 juin, il a inscrit les questions de sécurité et de défense parmi les 4 priorités de son ordre du jour, à côté des migrations, du Brexit et du traditionnel paquet sur la compétitivité et l’emploi.

S’agit-il d’un énième feu de paille, comme l’Union en a beaucoup connu depuis la création de la PSDC en 1999, ou sommes-nous entrés dans une nouvelle dynamique féconde, durable et efficace en matière de sécurité et de défense ?

Dégradation de l’environnement stratégique de l’UE

A priori, les facteurs favorables à une relance de la défense dans le cadre de l’Union européenne sont réels et solides. Il y a d’une part la dégradation continue de l’environnement stratégique de l’UE : l’Union se trouve en effet confrontée à des crises durables, multiples, sans solution évidente ni rapide.

Les menaces viennent des rapports de force classiques, la Russie contestant l’ordre européen et cherchant à perpétuer une zone grise de conflits et d’insécurité entre elle et l’Union. Elles viennent également des Etats du Sud, au Moyen-Orient comme dans la bande sahélienne, en proie à de violentes guerres civiles et des décompositions étatiques. Le continuum entre sécurité intérieure et sécurité extérieure ajoute un défi supplémentaire : le terrorisme est en effet la manifestation en Europe de conflits non résolus à l’extérieur du continent. Tous les pays européens sont, de même, passibles de cyberattaques anonymes et destructrices. Enfin, depuis trois ans, des centaines de milliers de réfugiés fuient les guerres du Sud pour chercher asile sur le continent européen, alimentant des mouvements xénophobes et populistes susceptibles de remettre en cause les fondements même de la démocratie européenne.

Série de chocs politiques en 2016

A cette dégradation des conditions de la sécurité de l’Union, s’ajoute d’autre part la série des chocs politiques de 2016 : le Brexit, tout en mettant en cause l’irréversibilité de la construction européenne, crée un contexte plus favorable à la PSDC, dans la mesure où il supprime le veto britannique, quasi systématique depuis 2003, face à toute initiative tant soit peu ambitieuse en la matière. Aux Etats-Unis, l’élection de Donald Trump inaugure une période de défiance euro-américaine qui, tout en confirmant l’OTAN comme seul cadre de relations permanentes entre les deux alliés, confirme la nécessité urgente pour les Européens d’assurer davantage leur autonomie stratégique. La poussée de l’europhobie au sein des opinions publiques oblige également les gouvernements à prendre plus au sérieux les demandes des citoyens européens : or ceux-ci font désormais de la sécurité une priorité politique et exigent des résultats visibles sur la protection des frontières, la lutte contre le terrorisme et le rôle de l’Europe sur la scène internationale. Enfin, la crise économique, qui greva les budgets publics des Etats membres depuis 2010, est en passe d’être résolue, autorisant de nouveau des investissements sérieux sur les questions de défense.

Prudence

Le contexte est donc favorable. Les décisions annoncées sont-elles pour autant suffisantes ? Elles sont certes impressionnantes : le Fonds de défense proposé par la Commission pourrait atteindre 10 milliards d’euros sur les dix prochaines années. Toutefois, quelques réflexions de prudence s’imposent à ce stade.

Il n’est pas certain que l’on puisse durablement relancer la défense européenne en centrant les initiatives, et donc les financements, sur le marché et l’industrie de défense. Tous les Etats membres ne sont pas en effet des producteurs d’armements : seuls 7 ou 8 pays ont une industrie militaire conséquente et il est donc à craindre que ces financements soient considérés comme inégalitaires, parce que ne favorisant qu’un petit nombre de pays.

La relance par l’industrie est une vieille idée européenne, plusieurs fois testée, y compris dans le vieux cadre de l’UEO ou de l’OCCAR, qui n’a jamais été suivie d’effets : aucune coopération entre industriels de la défense ne peut se substituer en effet à la volonté, voire au volontarisme politique des gouvernements. Rappelons-nous qu’en 2012, l’accord entre EADS et British Aerospace était conclu entre les industriels, mais qu’il capota sur la décision négative du gouvernement allemand.

Enfin, on ne relancera pas la dynamique d’adhésion à l’Union européenne, on ne fera pas de nouveau aimer et vouloir l’Europe, par le biais du renforcement de la base industrielle de la défense ! Du temps des trente glorieuses, Delors disait déjà qu’on ne tombe pas amoureux d’un marché unique. C’est la même chose aujourd’hui : recréer du désir d’Europe par le biais de la défense relève de l’utopie. Ce que veulent les citoyens, c’est de la sécurité immédiate et des frontières sures. C’est une réelle coopération anti-terroriste. Ce qu’ils attendent, c’est un rôle efficace de l’Europe dans la pacification des crises du Sud qui alimentent le terrorisme et les flots de réfugiés. Pas en 2027. Mais le plus vite possible” .

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