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Ester Asin Martinez : “Les chiffres officiels font paraître l’aide pour plus élevée qu’elle ne l’est en réalité”

La Confédération européenne d’ONG d’urgence et développement (CONCORD) a publié un rapport sur la “réalité de l’aide au développement européenne” le 11 mai 2007. A cette occasion, Ester Asin Martinez, chargée de mission UE, retrace les grandes lignes.


En 2000, la Commission européenne et le Conseil ont adopté une “déclaration conjointe sur la politique de développement” qui établit le cadre, les objectifs principaux et les priorités de cette politique communautaire de coopération au développement.
Quel bilan dressez-vous à ce jour de la politique européenne de développement ?

En dépit des améliorations apportées ces dernières années par la Commission européenne à l’aide au développement, le programme d’aide de l’UE montre que les Européens ne sont pas près de tenir les engagements pris dans le cadre du consensus européen en matière de développement ni d’accorder la priorité aux pays les moins avancés (PMA) et les pays à revenu faible. Ils ne sont également pas prêts à orienter l’aide vers les services sociaux de base.

En 2004, près de 43 % de l’aide au développement de la Commission européenne a été affectée aux Pays les Moins Avancés (PMA) , elle a augmenté faiblement en 2005 pour atteindre 46 %. La Commission doit aider davantage les pays les plus pauvres du monde.

Actuellement, il existe un écart flagrant entre les déclarations de la Commission européenne relatives à l’importance accordée à la lutte contre la pauvreté et l’affectation des ressources. La Commission européenne n’a pas pu établir de critères d’octroi qui devraient inclure les besoins d’un pays en matière de pauvreté et de développement humain et une évaluation de l’engagement du pays à lutter contre la pauvreté.

Trop souvent, les dotations budgétaires résultent de négociations politiques prolongées dans le cadre desquelles chaque Etat membre défend ses propres intérêts. En 2005, par exemple, près de 23 % de l’Aide publique au développement (APD) de la Commission est demeurée en Europe ou dans la région méditerranéenne. Cela ne peut pas durer.

La Commission pourrait également s’employer à montrer les progrès accomplis en vue de tenir les promesses relatives aux investissements dans les services sociaux de base dans les pays en développement, qui ont été prises dans le cadre du sommet social mondial de 1995 et réaffirmées en 2006 à travers l’instrument de coopération au développement.

En 2005, moins de 8% de l’APD de la Commission européenne a été consacrée à la santé et l’enseignement fondamental, tandis que, parallèlement, plus de 15 % étaient consacrés au secteur du transport.

Bien qu’elle se soit engagée à utiliser l’aide pour contribuer à la réalisation des objectifs de développement du Millénaire (ODM), la Commission utilise de plus en plus l’aide pour soutenir un programme élargi de bonne gouvernance dans les pays en développement. Il est préoccupant que ce programme élargi inclue la libéralisation économique, la lutte contre le terrorisme et le contrôle des migrations, qui sont des objectifs qui ne devraient pas être soutenus dans ce cadre.

La Commission européenne doit également s’efforcer de montrer qu’elle s’engage en faveur des droits des femmes et en faire une priorité sur le terrain.
Si des documents politiques essentiels tels que le consensus de l’UE en matière de développement reconnaisse que l’égalité entre hommes et femmes est un objectif essentiel et une question transversale significative, l’intégration de l’égalité hommes-femmes dans les autres politiques n’a jamais été une priorité dans le cadre de la coopération au développement de l’UE et les dotations financières ne coïncident pas avec les engagements qui ont été pris.

Nous sommes également préoccupés par la transparence et par les déclarations sur l’aide de la Commission européenne et sa fiabilité. On ne dispose pas de données fiables sur la destination des fonds et sur leur acheminement. Et il en va de même en ce qui concerne l’aide de la Commission acheminée par l’intermédiaire de la société civile.

En outre, la panoplie de politiques, programmes et cadres stratégiques aux fins de la surveillance de l’aide de la Commission masque souvent l’absence d’engagements légaux et politiques contraignants au titre desquels les décideurs peuvent avoir à rendre des comptes. Ce problème est encore aggravé par la complexité des processus de la Commission européenne que personne n’ignore.

Vous venez de publier un rapport, le 11 mai 2007, sur le gonflement artificiel de chiffres d’aide au développement des Etats membres du Comité de l’Aide au développement (CAD) et sur le non-respect de promesses faites. Quelles en sont les grandes lignes ?

En 2002 et de nouveau en 2005, les gouvernements des Etats membres de l’UE se sont engagés à accroître d’une manière substantielle l’aide aux pays pauvres. Selon les résultats officiels, la plupart des pays européens ont tenu leurs promesses relatives à l’aide.

Cependant, nombre de gouvernements européens exagèrent les progrès accomplis en gonflant le budget de l’aide en y intégrant l’annulation de la dette notamment de l’Iraq et du Nigeria. Ils intègrent également dans le budget de l’aide, les dépenses consenties pour l’accueil des réfugiés en Europe et l’enseignement dispensé aux étudiants étrangers.

En 2006, ces rubriques qui ne correspondent pas à l’aide ont représenté 13,5 milliards d’euros, soit près d’un tiers de l’Aide publique au développement européenne.

Déduction faite, des rubriques budgétaires ne correspondant pas à l’aide, les gouvernements européens n’ont pas atteint en 2006 leur objectif collectif qui visait à octroyer 0,39 % du revenu national brut (RNB) à l’aide et n’ont pas dépassé le seuil de 0,31 %.

Les chiffres officiels montrent que l’Italie, la Grèce, le Portugal et l’Espagne n’ont pas atteint l’objectif individuel minimum de 2006. Le rapport que nous avons publié le 11 mai 2007 révèle, par ailleurs, que, déduction faite des rubriques non assimilables à l’aide, la France, l’Allemagne et l’Autriche n’ont pas réussi à atteindre leur objectif.

Les gouvernements français et autrichien obtiennent les résultats les plus faibles : plus de la moitié de l’Aide publique au développement de ces pays est constituée par des rubriques non assimilables à l’aide.

L’analyse montre également que l’Italie et l’Allemagne ont également recours à ces pratiques : l’Italie a gonflé artificiellement la moitié de l’APD et l’Allemagne a gonflé plus d’un tiers de son APD.

Plusieurs pays se maintiennent en-tête du classement des pays donneurs en réservant à l’aide un budget global conséquent. Il s’agit de la Suède, du Luxembourg, des Pays-Bas et du Danemark.

Dans d’autres pays, il est encourageant de constater que les niveaux d’aide augmentent rapidement. L’aide accordée par l’Irlande a augmenté d’un tiers en 2006. L’Espagne et le Royaume-Uni ont accompli des progrès considérables. Cependant, tous les pays précités ont gonflé artificiellement leur aide et ce rapport met en évidence les mesures qu’il convient de prendre à l’avenir.

Si les gouvernements européens ne font rien pour infléchir la tendance, d’ici à 2010, les pays pauvres auront reçu environ 50 milliards d’euros de moins par rapport aux prévisions.

De plus, les Etats membres se sont également engagés à augmenter significativement l’aide consacrée à l’Afrique. Cependant, les volumes d’aide attribués à ce continent n’ont guère évolué depuis 2004 et l’Afrique reçoit une aide sans cesse moins élevée et non pas une part accrue des ressources européennes consacrées à l’aide.

La lutte contre la pauvreté n’est pas systématiquement l’objectif principal de l’aide européenne : la sécurité, les alliances géopolitiques et les intérêts économiques européens ont souvent pris le pas sur cette considération.

Lors du communiqué du Petersberg sur la politique européenne de développement, l’UE s’est engagée à porter son aide au développement d’ici 2015 à 0,7 % du PNB des Etats membres et atteindre d’ici 2010 l’objectif intermédiaire de 0,56 %. Pensez-vous que cet objectif soit réalisable ?

Les chiffres officiels font paraître l’aide pour plus élevée qu’elle ne l’est en réalité et en augmentation plus rapide que ne le démontrent les faits. Si on prend en compte le rythme de progression de l’aide réelle qui est accordée, il est clair que les gouvernements européens ont ratés les objectifs qu’ils se sont fixés. S’ils n’y remédient pas rapidement, les obstacles auxquels ils sont confrontés seront chaque jour plus difficiles à surmonter.

Propos recueillis le 11/05/07

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