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Damien Carême : "Il faut repenser la politique migratoire de l'UE pour faire face aux crises à plus long terme"

Pour le député européen Europe Ecologie-Les Verts, l’Union européenne va dans le bon sens pour accueillir les réfugiés ukrainiens. Au-delà du conflit, Damien Carême défend une réforme de la politique européenne d’immigration et d’asile afin d’accueillir dignement tous les exilés.

Le député européen Europe Ecologie-Les Verts, Damien Carême, siège au Parlement européen depuis 2019 - Crédits : Union européenne 2022
Le député européen Europe Ecologie-Les Verts, Damien Carême, siège au Parlement européen depuis 2019 - Crédits : Union européenne 2022

Le 4 mars dernier, une semaine après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les Vingt-Sept annonçaient l’activation du mécanisme de “protection temporaire”, prévue par une directive votée en 2001. Depuis le déclenchement de l’offensive russe le 24 février, plus de quatre millions d’Ukrainiens ont fui leur pays, pour la plupart vers des pays de l’UE comme le Pologne, la Roumanie, la Hongrie ou la Slovaquie.

Que pensez-vous de la décision de l’Union européenne d’activer le mécanisme de protection temporaire afin d’accueillir les Ukrainiens fuyant la guerre ?

Il s’agit évidemment d’une bonne décision ! Car ce mécanisme permet aux Ukrainiens qui arrivent sur le territoire de l’UE d’obtenir le droit de se déplacer, de travailler, d’avoir accès aux soins et à l’éducation et ce partout dans l’Union. Et ce statut de protection dure un an, renouvelable deux fois.

Au Parlement, nous prolongeons cette action avec notamment de l’aide financière aux Ukrainiens et aux pays limitrophes de l’Ukraine. En session plénière du Parlement le 23 et 24 mars nous avons voté plusieurs mesures, dans le cadre de la procédure d’urgence, comme la prolongation pour un an de l’utilisation du Fonds asile, migrations et intégration (FAMI), soit jusqu’à la mi-2024.

Nous avons également voté la résolution sur l’action de cohésion pour les réfugiés en Europe, appelée CARE. C’est un budget de 10 milliards d’euros qui a été débloqué pour 2022 et 2023, dont 3 milliards à destination des quatre pays qui sont en première ligne pour accueillir les Ukrainiens : la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Hongrie. Une aide de 150 millions d’euros a aussi été votée pour venir en aide à la Moldavie.

Pourtant, la Pologne et la Hongrie notamment, sont en conflit avec l’Europe depuis plusieurs années car ils ne respectent pas les règles d’Etat de droit. Est-ce que leur effort exceptionnel actuel peut faire table rase de ces relations tendues ?

Certainement pas ! Nous devons les aider, c’est une certitude car ce sont des membres de l’Union européenne. Mais nous devons continuer à être vigilants. Ils veulent se refaire une virginité en accueillant les réfugiés ukrainiens mais il ne faut pas se laisser avoir ! La Pologne et la Hongrie ne sont toujours pas en conformité avec les règles européennes en matière de corruption ou de droit des femmes. Le sujet sera d’ailleurs bientôt abordé en séance plénière du Parlement.

Comment l’accueil s’organise-t-il sur le terrain, au niveau local ?

Le vote du Parlement des 23 et 24 mars a aussi permis de faciliter l’utilisation par les collectivités locales des Fonds européens comme le FEDER (Fonds européen de développement régional), le FSE (Fonds social européen) ou le FEAD (Fonds européen d’aide aux plus démunis). Il s’agit d’un soutien leur permettant de loger les personnes qui arrivent et de leur permettre de travailler, étudier ou se soigner. En revanche, il faut que ces fonds, comme ceux du FAMI, soient bien fléchés sur le terrain et qu’ils arrivent bien entre les mains des collectivités et des ONG pour que l’aide soit la plus efficace possible.

Concernant les collectivités, nous avons auditionné au Parlement des représentants des collectivités locales. Il est vrai que c’est la panique un peu partout, la situation a pris tout le monde de court. Dans les collectivités on commence à réquisitionner des gymnases ou des centres pour essayer d’accueillir au mieux les Ukrainiens, mais pour l’instant on compte aussi beaucoup sur l’accueil des citoyens. C’est super mais ce n’est pas suffisant sur le long terme.

Que faut-il faire pour bien les accompagner sur le long terme ?

Les collectivités sont chargées de trouver des places mais les financements manquent encore. Cela rend la situation difficile à gérer sur le terrain pour l’instant. D’autant plus qu’il y a des difficultés particulières : près de 50 % des personnes qui arrivent dans l’UE sont des enfants qu’il faut prendre en charge. L’autre moitié est composée de femmes. Seuls 10 % d’hommes arrivent en Europe. 

Ce sont des populations vulnérables qui méritent un accompagnement spécifique avec un soutien psychologique dans un premier temps. Et dans un second temps, il faut les accompagner dans l’apprentissage de la langue. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, nous avons besoin de beaucoup de moyens pour avoir des professeurs, des locaux, des médecins, etc. Au niveau européen, les aides vont vite être épuisées.

Après 2015, l’UE est-elle désormais capable de répondre convenablement à un nouvel afflux de réfugiés ?

On estime que 7 millions de personnes pourraient arriver sur le sol européen. Ce n’est pas anodin dans une Union qui compte 450 millions d’habitants. Nous devons être prêts. Non seulement pour les accueillir avec dignité mais surtout car ce scénario est amené à se reproduire, comme on le sait maintenant, à cause du changement climatique. Nous sommes face à un vrai défi en Europe, car nous vivons dans un espace attractif et protecteur. Alors j’espère que le regard sur les réfugiés va changer après la guerre et que nous adopterons une approche plus humaine et bienveillante de l’accueil des futurs déplacés.

Depuis 2020, la Commission européenne souhaite repenser la politique migratoire européenne en proposant une nouvelle version du pacte européen sur la migration et l’asile. Qu’en pensez-vous ?

Tout d’abord, je pense effectivement que les mesures d’urgence prises pour accueillir les Ukrainiens sont bonnes à court termes, mais qu’il faut effectivement repenser la politique migratoire européenne. On le voit depuis 2015, celle-ci ne fonctionne plus, à l’image du régime de Dublin qui oblige un demandeur d’asile à réaliser cette demande dans le pays dans lequel il est arrivé. Le Parlement a effectué une évaluation de ce système, et nous avons estimé à 70 % qu’il ne fonctionnait pas. A la commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement nous avons effectué une étude d’impact de la proposition de la Commission et avons conclu que le texte n’était pas bon.

Quelles évolutions du texte souhaitez-vous au Parlement ?

Je crois d’abord que le Parlement est plus progressiste que la Commission à ce sujet. L’avis que je défends semble être partagé par une majorité de députés européens au vu des discussions que nous menons actuellement. A titre personnel, je pense qu’il faut améliorer la répartition des arrivants entre les pays de l’Union. 

Au lieu de maintenir la règle du premier pays d’arrivée, nous pourrions imaginer une liste de critères permettant de rediriger les personnes vers des pays où ils ont de la famille, dont ils parlent la langue, où ils ont fait leurs études, où ils ont des attaches. En dernier ressort, ils peuvent être orientés vers les pays qui, en proportion de leur population et de leur PIB, sont en déficit d’accueil par rapport aux autres. Je ne souhaite pas obliger les pays de l’UE à accueillir. En revanche, s’ils ne le font pas, ils sont soumis à des sanctions financières. 

Ensuite, je m’oppose à l’augmentation des effectifs de Frontex ! Il y a trop de polémiques autour de cette agence qui n’a toujours pas nommé de poste de référent au respect des droits humains. Une augmentation des effectifs coûte cher et cet argent serait mieux utilisé dans l’amélioration de l’accueil des demandeurs d’asile et des migrants.

Enfin, je plaide fortement pour la création de corridors humanitaires. Ce sont des voies légales qui sécurisent les flux de migrants, organisées par les Etats. Il s’agit d’un moyen bien plus efficace pour lutter contre les réseaux de passeurs et tous les trafics !

Les évolutions du texte que vous défendez peuvent-elles aboutir ?

Malheureusement, rien ne changera tant qu’il y aura de grandes divergences entre les pays exposés comme l’Italie ou la Grèce, et les pays qui sont moins confrontés aux réalités des flux migratoires. Actuellement, le texte du nouveau pacte est en discussion au Parlement et au Conseil de l’UE. Nous avions prévu un vote avant l’été mais cela me semble compromis. Il y en aura peut-être un après l’été, sous la présidence tchèque, mais ils ne semblent pas en faire une priorité. En tous cas, il faut remplacer les textes, mais pas par des moins bons.

Né le 16 novembre 1960 à Joeuf, en Meurthe-et-Moselle, Damien Carême est membre du parti Europe Ecologie-Les Verts depuis 2015. Entre 2001 et 2019 il est maire de la ville de Grande-Synthe. Un mandat durant lequel il mène une politique d’accueil des réfugiés, notamment en 2015 en décidant de construire dans sa ville un camp pour les réfugiés avec l’aide de l’ONG Médecins Sans Frontières. Elu pour la première fois député européen en 2019, il est membre de la commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE), compétente pour les sujets liés à l’asile et la migration, au Parlement européen.

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