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Comment l’Europe fait face à son passé colonial, par Olivier Dard

Le 18 mars a eu lieu le 50e anniversaire des accords d’Evian. Les relations des Etats européens avec leurs anciennes colonies sont-elles aujourd’hui aussi problématiques qu’entre la France et l’Algérie ? Réponse avec l’historien français Olivier Dard, co-directeur avec Daniel Lefeuvre de L’Europe face à son passé colonial.

Touteleurope.eu : Vous attendiez-vous à une importante commémoration du 50e anniversaire des accords d’Evian, le 18 mars ?

Le commissaire européen à la politique de voisinage, Štefan Füle, est en visite à Alger les 19 et 20 mars, et signera un accord de coopération UE-Algérie sur la Science et la Technologie. Par ailleurs, l’UE devrait envoyer entre 100 et 150 observateurs en Algérie pour surveiller les élections législatives du 10 mai.

Olivier Dard : On pouvait s’attendre, c’était en tout cas l’avis de plusieurs historiens parmi lesquels Jean-Charles Jauffret, à ce que les diplomaties ne parlent pas beaucoup de cet anniversaire. D’une part le traité d’amitié franco-algérien n’a toujours pas vu le jour, et plusieurs éléments conflictuels entre les pays demeurent. D’autre part, la France apporterait actuellement une aide militaire précieuse à l’Etat algérien contre Al Qaïda au Maghreb islamique.

Cela n’a pas empêché la presse d’en parler, en particulier la presse régionale du sud de la France et les grands hebdomadaires, qui ont tous fait leurs numéros sur la Guerre d’Algérie.

Touteleurope.eu : Dans le reste de l’Europe, l’indépendance des anciennes colonies donne-t-elle lieu à des commémorations équivalentes ?

Olivier Dard : Dans l’ensemble, non. L’empreinte coloniale varie selon les pays d’Europe.

Deux pays se rapprochent de la France : le Portugal et la Belgique. A l’instar des Français en Algérie, le premier a connu un phénomène de rapatriés, les “Retornados” . Ceux-ci sont revenus de l’Angola et du Mozambique suite à la proclamation de l’indépendance par ces pays, et ont rencontré des problèmes d’adaptation, cependant moindres que les pieds-noirs en France. Il est intéressant de noter par ailleurs que l’effondrement de l’empire au Portugal dans les années 1970 correspond à la fois à l’avènement de la démocratie et à l’intégration européenne. Or l’Europe marque, pour ce pays structuré par l’attachement à son ancien Empire colonial, une transformation fondamentale.

Mais c’est en Belgique qu’on peut retrouver le plus de ressemblances avec la mémoire coloniale française. La “repentance coloniale” dont parle Daniel Lefeuvre y est aussi très présente, avec des amalgames réguliers entre Seconde Guerre mondiale, décolonisation et immigration. Depuis les années 1960 existe également une polémique relative à l’implication de l’Etat belge dans l’assassinat du Premier ministre de RDC, Patrice Lumumba, en 1961. Bien qu’aujourd’hui la communauté scientifique s’accorde à innocenter la Belgique, la question n’en continue pas moins de susciter le doute chez certains. Comme l’Algérie pour la France, le Congo est ainsi restée une épine plantée dans le pied de la Belgique. Et le parallèle est d’autant plus saisissant si l’on se rappelle d’un slogan des adversaires français de l’indépendance lancé en Belgique : “Alger-Léo : deux fronts, une seule guerre !” .

Enfin, partout les conflits coloniaux sont absolument inséparables de la Seconde Guerre mondiale et de sa mémoire. Dans tous les camps, colonialistes et indépendantistes, on se bat au nom de la “résistance” .

Touteleurope.eu : La mémoire coloniale est-elle plus apaisée dans les autres pays d’Europe ?

Olivier Dard : Globalement, les relations des anciennes puissances coloniales avec leurs anciennes colonies sont aujourd’hui normalisées. C’est d’ailleurs le cas de la France avec le Maroc, la Tunisie, l’ancienne Indochine…

Il n’en reste pas moins partout des souvenirs douloureux. Par exemple, les Anglais considèrent qu’ils ont “réussi” leur décolonisation, mais ce n’est pas aussi évident pour un certain nombre d’historiens, dont je fais partie. Il faut comparer ce qui est comparable : l’Angleterre n’avait pratiquement pas de colonies de peuplement, mais lorsque c’était le cas comme au Kenya, cela s’est plutôt mal passé. Et pour cause : les Européens présents sur le territoire colonial depuis plusieurs générations ont eu quelques difficultés à admettre un tel changement.

Notons par ailleurs que, comme pour le Portugal, la construction européenne prend le relais de l’idéal impérial : les premières demandes d’adhésion des Anglais se déroulent au début des années 1960, à l’époque où le commerce britannique se déplace rapidement du Commonwealth vers le continent européen. Ce qui semble indiquer que pour les Britanniques, l’ère des empires est à l’époque définitivement close.

La conquête italienne de l’Ethiopie en 1935-36 a longtemps été perçue comme n’ayant pas posé de difficultés particulières. Par conséquent, cet épisode s’inscrit dans une mémoire collective qui pense la colonisation italienne comme “douce” , à l’opposé de l’occupation allemande. Or l’historiographie a montré que le régime fasciste avait utilisé des gaz de combats, normalement interdits. Ce qui prouve que le conflit a été particulièrement violent. Du côté libyen, Silvio Berlusconi avait trouvé un certain nombre d’accommodements avec le colonel Kadhafi, y compris des excuses de l’Etat italien. L’avenir nous dira si ces relations restent normalisées avec le nouveau régime libyen.

En Espagne aujourd’hui, la question coloniale semble être passée au second plan, malgré les questions liées à l’immigration notamment marocaine. Aux Pays-Bas, le traumatisme suscité par la perte de l’Indonésie au lendemain du second conflit mondial a ressurgi dans les années 1970 et est encore présent, comme en témoignent le radicalisme de certains discours anti-islam. Enfin, le cas allemand est intéressant malgré la relative modestie de son ancien empire colonial : le pays a en effet réussi à normaliser ses relations avec ses anciennes possessions du Sud de l’Afrique, évitant ainsi de voir ressurgir des amalgames entre le massacre des Hereros du début du XXe siècle et la déportation des Juifs pendant la seconde Guerre mondiale.

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