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Après la prise de pouvoir des talibans, quelle relation entre l’Union européenne et l’Afghanistan ?

Face au retour des fondamentalistes, l’Union européenne tente de coordonner les positions des Vingt-Sept sur trois dossiers brûlants : l’accueil des réfugiés, l’aide humanitaire sur place et l’approche diplomatique à adopter face au régime taliban.

Depuis la prise de Kaboul par les talibans le 15 août, les Européens doivent notamment décider du type de relations qu'ils entretiendront avec le nouveau régime - Crédits : 123ducu / iStock
Depuis la victoire des talibans à Kaboul le 15 août, les Européens doivent notamment décider du type de relations qu’ils entretiendront avec eux - Crédits : 123ducu / iStock

Après la prise de Kaboul par les talibans le 15 août, et alors que les derniers soldats américains ont quitté l’Afghanistan le 30 août, l’Union européenne doit composer avec cette nouvelle donne géopolitique et ajuster sa position sur trois principales questions.

La première d’entre elles concerne l’accueil des réfugiés : quelle politique adopter vis-à-vis de réfugiés qui ont ou vont fuir un pays dirigé par les islamistes, où leur vie est en danger ? Une réponse commune aux Etats membres de l’UE verra-t-elle le jour ?

Au titre des autres dossiers à gérer figure aussi l’aide humanitaire sur place : comment assurer sa continuité ? D’autant que cette aide humanitaire est conditionnée à la nouvelle stratégie diplomatique que les Européens vont devoir élaborer vis-à-vis du régime taliban. Un positionnement loin d’être établi : si personne parmi les Vingt-Sept n’entend pour l’heure reconnaître officiellement le nouveau gouvernement, la nature du dialogue avec le pays reste à déterminer. Autant de questions complexes auxquelles les dirigeants européens vont devoir apporter des réponses, au sein du Conseil de l’UE notamment.

Gérer l’urgence : quel accueil des réfugiés afghans ?

Même si l’UE n’est pas la destination privilégiée des Afghans fuyant leur pays, qui se réfugient en premier lieu dans les Etats frontaliers, plusieurs milliers d’entre eux sont arrivés sur le sol européen ces dernières semaines. D’autres devraient suivre, posant la question d’une approche européenne de ce nouveau flux migratoire.

A ce sujet, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a appelé le 21 août les pays de l’UE à accueillir les réfugiés, évoquant un “devoir moral” et assurant les gouvernements du soutien financier de l’exécutif bruxellois. Mais cette position est loin de faire l’unanimité parmi les Etats membres.

A la différence notable du Canada et du Royaume-Uni, qui ont tous deux indiqué qu’ils recevraient à plus ou moins long terme 20 000 personnes, aucun Etat de l’UE ne s’est jusqu’à maintenant engagé sur un chiffre. En revanche, certains comme la France et l’Allemagne ont fait savoir mi-août qu’ils étaient prêts à prendre leur part, mais “de manière contrôlée” pour la chancelière allemande et à travers une initiative européenne visant à “anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants” pour le président français. 

D’autres ont au contraire fermé la porte à tout accueil de nouveaux réfugiés afghans, comme le chancelier autrichien Sebastian Kurz ou le Premier ministre slovène Janez Janša, dont le pays assume jusqu’au 31 décembre 2021 la présidence tournante du Conseil de l’UE. Dans un tweet du 22 août, sur lequel on peut voir des images de migrants se déplaçant en masse, ce dernier affirme que “l’UE n’ouvrira aucun corridor ‘humanitaire’ ou migratoire européen depuis l’Afghanistan. Nous ne laisserons pas se répéter l’erreur stratégique de 2015″. Cette année-là, l’UE avait connu une crise migratoire majeure, provoquée par un afflux de réfugiés syriens. La Commission européenne avait alors élaboré un plan de relocalisation des demandeurs d’asile depuis la Grèce et l’Italie, portes d’entrée dans l’UE, vers d’autres Etats membres. Mais l’opposition de plusieurs pays, et notamment celle du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, Slovaquie et République tchèque), avait eu raison du plan.

Le souvenir de cette cacophonie semble avoir marqué les dirigeants européens. L’Allemagne d’Angela Merkel, qui avait choisi d’accueillir plus d’un million de Syriens en 2015, se montre par exemple bien plus réservée sur la question afghane aujourd’hui. Et au niveau européen, l’option du plan de relocalisation de la crise de 2015 n’est pas à l’ordre du jour. Lors d’une réunion des ministres de l’Intérieur le 31 août, le Conseil de l’UE a privilégié l’aide aux pays voisins de l’Afghanistan recevant des réfugiés. Les ministres ont par ailleurs souligné l’importance de contrôler strictement les frontières extérieures de l’Union. 

L’UE et ses États membres sont déterminés à agir conjointement pour empêcher que ne se reproduisent les mouvements incontrôlés de migration illégale à grande échelle auxquels ils ont été confrontés dans le passé, en préparant une réponse coordonnée et ordonnée”, ont déclaré les Vingt-Sept dans un communiqué, évoquant sans le nommer le souvenir de 2015. Dans le même temps, ils ont affirmé reconnaître “la nécessité de soutenir et de fournir une protection adéquate à ceux qui en ont besoin, conformément au droit de l’UE et à nos obligations internationales” ainsi que celle de “rapprocher les pratiques des États membres en matière d’accueil et de traitement des demandeurs d’asile afghans”.

En Afghanistan, quelle réponse humanitaire ?

L’avenir de l’aide aux Afghans, dont le pays dépend très fortement des dons internationaux, semble néanmoins s’écrire en pointillé : si l’UE et ses Etats membres figurent parmi les principaux donateurs et entendent renforcer leur soutien aux populations locales, ils n’entendent pas cautionner les dérives du régime taliban. Tout un équilibre que la Commission européenne s’efforce de garantir. Lors d’un G7 extraordinaire le 24 août, Ursula von der Leyen a ainsi annoncé le quadruplement de l’aide humanitaire, de 50 à 200 millions d’euros pour 2021, à destination des habitants et des Etats voisins. 

1 milliard d’euros étaient par ailleurs prévus pour l’Afghanistan sur la période 2021-2027. Mais conditionnée au respect des droits humains et notamment des femmes, celle-ci a été gelée après la victoire des talibans. “Et elle le restera jusqu’à ce que nous disposions de garanties solides et d’actions crédibles sur le terrain prouvant que les conditions sont réunies”, a prévenu la présidente de la Commission européenne à l’issue du G7.

De 2001 à 2021, l’engagement militaire des Etats membres en Afghanistan

Suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, qui ont fait près de 3 000 morts, l’armée américaine envahit l’Afghanistan dans le cadre de l’opération Enduring Freedom. Le pays est alors sous la coupe des talibans, qui entretiennent des liens étroits avec les terroristes d’Al-Qaïda. 

Leur régime est renversé dès le mois de novembre, mais les talibans restent très puissants. A côté de l’opération sous commandement américain, une coalition internationale sous l’égide de l’OTAN est dépêchée en décembre 2001, pour continuer à les combattre et aider le nouveau gouvernement à sécuriser le territoire. Presque tous les pays de l’UE participent à cette mission, à l’exception de Chypre et de Malte, avec des effectifs militaires plus ou moins importants (environ 132 000 soldats déployés pour l’ensemble de l’opération en février 2011). Avec 4 000 militaires, la France fournit le quatrième contingent le plus important (après les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne).

A la fin de l’opération en décembre 2014, la mission Resolute Support prend le relais le mois suivant. Celle-ci est davantage axée sur la formation des forces armées afghanes, avec des effectifs bien plus modestes (environ 13 000 soldats en juillet 2016). Tous les pays de l’UE ayant participé à la précédente mission se réengagent sauf la France et l’Irlande. Malgré cette mobilisation militaire internationale, le conflit s’enlise. Les talibans conservent une force de frappe importante, tant humaine que matérielle, s’appuyant notamment sur les revenus du trafic d’opium, dont l’Afghanistan est l’un des épicentres. 

Elu en 2016 sur la promesse de mettre un terme aux “guerres sans fin” des Etats-Unis, le président américain Donald Trump cherche à désengager son pays d’un conflit à l’issue des plus incertaines. Les Américains entament alors des négociations avec les talibans afin de quitter l’Afghanistan. A Doha (Qatar), les représentants des deux parties signent en février 2020 un accord impliquant le retrait des troupes américaines en échange de l’engagement des talibans de ne pas s’en prendre aux Etats-Unis et à leurs alliés. Vainqueur du scrutin présidentiel de novembre 2020, le nouveau président Joe Biden ne remet pas en cause l’accord (même s’il repousse de quatre mois la date de départ initialement prévue) : les soldats américains commencent à quitter le pays le 1er mai 2021, pour un retrait total devant s’achever avant le 11 septembre 2021. Un délai qui sera finalement avancé au 31 août, face à la rapide progression des forces talibanes.

Quelles relations avec les talibans ?

L’avenir des relations entre l’UE et l’Afghanistan dépendra du traitement diplomatique réservé aux talibans. Ursula von der Leyen et le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell ont clairement exclu, avant et après leur victoire, de reconnaître officiellement un gouvernement issu du mouvement fondamentaliste. 

Ce qui ne signifie pas que l’UE soit fermée à tout dialogue : au nom du pragmatisme, maintenir des canaux de discussion avec le nouveau pouvoir afghan apparaît en effet essentiel pour défendre les intérêts nationaux et européens. Tandis qu’Angela Merkel juge que la communauté internationale doit continuer “de dialoguer avec les talibans”, une délégation française a quant à elle rencontré, le 26 août à Doha, des représentants de l’organisation.

De tels contacts permettraient, à titre d’exemple, de faciliter le départ des personnes vulnérables encore sur place, rendu bien plus complexe après le retrait des troupes américaines. Ou encore une poursuite plus sereine de l’aide humanitaire dans le pays. C’est ainsi que les Américains ont pu signer l’accord de Doha en février 2020, avec une entité qu’ils ne reconnaissent pourtant pas.

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