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Ambroise Fayolle : “Les projets que la BEI finance hors d’Europe défendent les valeurs de l’UE”

L’Union européenne est loin d’agir uniquement à l’intérieur de ses frontières. Vice-président de la Banque européenne d’investissement (BEI), l’institution financière de l’UE, Ambroise Fayolle explique comment l’Europe porte ses valeurs en finançant des projets dans le monde entier.

Plus de la moitié de l'activité de la Banque européenne d'investissement (BEI) hors UE est concentrée en Afrique, indique Ambroise Fayolle, vice-président de l'institution financière - Crédits : BEI
Plus de la moitié de l’activité de la Banque européenne d’investissement (BEI) hors UE est concentrée en Afrique, indique Ambroise Fayolle, vice-président de l’institution financière - Crédits : BEI

L’Union européenne est porteuse d’un modèle. Et elle compte bien le défendre. Non seulement à l’intérieur de ses frontières mais aussi à l’extérieur. Pour ce faire, elle dispose de la Banque européenne d’investissement (BEI), institution financière de l’UE et plus grande banque multilatérale au monde. Début 2022, la BEI a créé une branche dédiée à son action hors Union, BEI Monde, qui finance des projets d’intérêt public aux quatre coins de la planète. Afrique, Ukraine, Balkans… Ambroise Fayolle, vice-président de la BEI, nous présente les zones prioritaires pour l’Europe et les défis qu’elle doit relever au niveau mondial.

Toute l’Europe : En quoi BEI Monde vient-elle consolider ou modifier l’action de la BEI déjà existante hors UE ? Quels sont son budget et sa stratégie ?

Ambroise Fayolle : BEI Monde vient à la fois consolider et modifier l’action de la BEI hors de l’Union européenne. Nous sommes présents à l’extérieur de ses frontières depuis plus de 60 ans. Et chaque année, 10 à 20 % de notre activité se situent en dehors de l’UE. En 2022, un peu moins de 10 milliards d’euros y sont consacrés sur un volume total d’environ 70 milliards d’euros de prêts anticipés pour cette année, soit 15-16 % des montants. Financer des projets extra-européens n’est donc pas nouveau pour nous. Mais l’environnement et les conditions de notre action ont changé.

C’est-à-dire ?

Depuis trois à quatre ans, deux réflexions importantes concernant le développement ont émergé en Europe. L’une porte sur l’architecture européenne en matière de financement du développement. L’autre, qui a notamment été développée à l’occasion de la crise du Covid-19, sur “l’Equipe Europe” [qui réunit la Commission européenne, les Etats membres de l’UE et leurs agences de développement, la BEI et la BRED, Banque européenne pour la reconstruction et le développement NDLR]. Les dirigeants européens ont voulu ainsi renforcer la visibilité de l’action de l’UE en matière de développement.

Les problématiques auxquelles nous sommes confrontés sont par ailleurs de plus en plus mondiales. De grands sujets l’illustrent, tels que l’environnement, mais aussi la santé qui, comme nous l’a montré la pandémie de Covid-19, est porteuse d’enjeux globaux. Ou encore l’invasion russe de l’Ukraine, qui a déclenché une crise alimentaire très présente dans les pays les plus pauvres d’Afrique.

Avec BEI Monde, nous avons donc voulu créer une structure pour mieux répondre à ces défis et accroître notre visibilité ainsi que notre impact hors d’Europe.

Comment les investissements de la BEI à l’extérieur de l’UE participent-ils au projet européen ?

Ces investissements contribuent très clairement à la promotion des valeurs européennes. Nous appliquons des standards exigeants en matière de soutenabilité environnementale et sociale. Car nous estimons que les projets que nous finançons doivent défendre les valeurs de l’UE, qui ne sont pas les mêmes que celles promues par d’autres financeurs. Ce principe est très important dans la mesure où nous pensons que c’est ce qui nous différencie.

Existe-t-il des zones géographiques où la BEI est absente et souhaiterait y développer des activités ?

Nous avons participé à des projets à peu près partout dans les zones éligibles aux financements de la BEI. En revanche, la manière dont nous travaillons dépend beaucoup des priorités politiques et géographiques de l’Union européenne. Si aujourd’hui plus de la moitié de l’activité de BEI Monde est concentrée en Afrique, c’est parce que ces investissements répondent à un objectif politique important. Ce qui ne nous empêche pas pour autant d’être présents dans d’autres géographies.

Parce qu’elle est mondiale, la thématique climatique nous amène notamment à aller vers des régions où nous investissons moins. A l’instar de l’Inde, où nous finançons par exemple des projets de métro. Ou encore dans les petites îles à travers le globe, particulièrement touchées par la montée des eaux. Au Vanuatu, archipel où les cyclones deviennent plus fréquents et violents à cause du réchauffement de la planète, nous avons financé un projet de turbines rétractables pour les éoliennes. Celles-ci coûtent beaucoup plus cher, mais permettent de bien mieux résister aux cyclones.

Le Conseil européen nous a toutefois demandé d’arrêter nos investissements dans certaines zones. Depuis 2014 et l’annexion de la Crimée, plus aucun projet en Russie ne reçoit le soutien de la BEI. Et l’Ukraine, où nous avions déjà un important portefeuille d’investissements, est un Etat où nous sommes particulièrement impliqués.

L’UE espère notamment renforcer ses liens avec l’Afrique. En février, un plan d’investissement de 150 milliards d’euros pour le continent africain a été annoncé. Parmi les objectifs : contrer l’influence d’autres puissances telles que la Chine et la Russie, tout en promouvant les valeurs européennes. Quel rôle joue la BEI ?

En tant que bras armé financier de l’Union européenne, nous sommes au cœur de la réflexion sur la mise en place du plan. D’autant que la BEI est spécialiste du financement d’infrastructures et Global Gateway [un plan d’investissement mondial de la Commission européenne de 300 milliards d’euros qui comprend les 150 milliards d’euros prévus pour l’Afrique NDLR] concerne en grande partie ces dernières. En particulier les infrastructures vertes ou numériques, mais pas seulement.

Nous serons donc très présents dans la mise en œuvre du plan pour promouvoir ce projet politique important, que nous considérons comme la meilleure manière d’aider les populations africaines.

Lors de la Conférence pour la reconstruction de l’Ukraine à Lugano en Suisse, la Banque européenne d’investissement a proposé le 4 juillet la création d’un fonds qui pourrait mobiliser jusqu’à 100 milliards d’euros. Pourriez-vous nous détailler le projet ?

Je ne peux pas le détailler car son contenu doit encore être précisé. Notre objectif est de mettre en place un fonds de garantie avec effet de levier. C’est-à-dire que les financements soutiendront un bien plus grand nombre de projets que ce que permettraient à elles seules les sommes injectées dans le fonds.

La question de la reconstruction de l’Ukraine est centrale pour l’Europe. La BEI essaye déjà d’aider autant qu’elle le peut tout en sachant que, contrairement à d’autres institutions telles que la Banque mondiale, nous n’avons pas la possibilité d’agir par le biais de dons.

Il est intéressant de noter que les Ukrainiens demandent à reconstruire une Ukraine plus verte. Car ils ont parfaitement intégré les liens entre l’intérêt climatique à développer des projets verts et l’intérêt politique en matière de souveraineté et d’autonomie stratégique. Les énergies renouvelables, par exemple, concilient ces ambitions.

En Europe, la Russie cherche également à accroître son influence dans les Balkans occidentaux, dont les pays (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord, Monténégro, Kosovo et Serbie) sont candidats ou “candidats potentiels” à l’UE. Quelle est la stratégie de la BEI dans la région en matière d’investissements ?

La BEI mène une action importante dans les pays du voisinage de l’UE et candidats à l’intégration européenne. Cela fait partie des mandats de la banque, nos actionnaires [les Etats membres de l’UE NDLR] nous le demandent. Les Balkans occidentaux constituent donc une priorité pour la BEI car ils sont prioritaires dans les relations extérieures de l’UE. Nous nous concentrons en premier lieu sur les projets verts, numériques ainsi que sur le soutien aux PME. La BEI est le premier bailleur de fonds de ces entreprises dans la région, avec le financement de 30 000 d’entre elles représentant 500 000 emplois. Au-delà des financements, nos activités sont aussi beaucoup tournées vers l’assistance technique auprès des acteurs économiques. 

En 2021, nous avons investi 850 millions d’euros dans les Balkans occidentaux. Ce qui a permis d’y mobiliser trois milliards d’euros d’investissements. Parmi les exemples de projets financés figurent une usine de traitement des eaux usées à Mitrovica au Kosovo ou bien l’amélioration des réseaux de la distribution d’eau à Tirana en Albanie de même qu’en Bosnie-Herzégovine, une action qui a permis à plus d’un million de personnes de bénéficier d’eau potable. Autre illustration de nos activités, la modernisation des transports urbains de Sarajevo, très engorgés, pour améliorer la qualité de l’air dans la région de la capitale bosnienne.

La BEI s’est engagée en faveur de l’accord de Paris sur le climat et du Pacte vert pour l’Europe, la feuille de route de l’UE vers la neutralité climatique. Comment les financements hors de l’Union contribuent-ils à cette ambition ?

Ils contribuent complètement à cette ambition car la transformation de la Banque européenne d’investissement en banque européenne du climat [objectif énoncé pour la première fois lors de la COP21 en 2015 à Paris NDLR] n’est pas réservée aux financements à l’intérieur de l’Europe. Tous les projets que nous finançons doivent être alignés sur l’accord de Paris, que ce soit dans et hors de l’UE. Notre stratégie n’opère pas de distinction géographique concernant les exigences environnementales.

La BEI met l’accent sur trois thématiques centrales : les énergies renouvelables, l’adaptation au réchauffement climatique et l’innovation. Je vous donne quelques exemples pour illustrer notre action en faveur de cette ambition en termes de renouvelable. En Afrique, qui compte beaucoup dans nos activités comme nous l’avons évoqué, nous avons notamment financé au Kenya le plus gros champ d’éoliennes terrestres du continent. Située au niveau du lac Turkana, cette réalisation est le fruit d’une coopération avec la Banque africaine de développement. Nous participons aussi en Afrique à l’initiative Scaling Solar, avec la Banque mondiale, pour développer la production d’énergie solaire, dont le coût est deux fois plus faible que l’énergie fossile.

En matière d’adaptation aux effets du changement climatique, nous avons présenté une stratégie lors de la COP26 à Glasgow l’année dernière. A ce titre, nous avons beaucoup développé des projets qui visent à rendre l’agriculture plus résistante ou encore à mieux recycler les eaux usées.

Et en ce qui concerne l’innovation ?

Notre attention se porte en particulier sur l’hydrogène vert [une énergie non polluante produite à partir de procédés eux-mêmes non polluants NDLR]. Beaucoup de pays africains – l’Egypte, la Namibie ou bien le Sénégal – nous ont approchés en nous signifiant leur capacité et leur volonté politique de développer l’hydrogène vert. Cette énergie pourrait être exportée vers l’Europe et donc participer de notre diversification énergétique. Dans le même temps et au contraire des Etats les plus développés, les pays africains ont des besoins accrus en termes de consommation d’énergie liés à leurs perspectives d’industrialisation. L’hydrogène vert peut donc jouer un rôle clé dans leur développement.

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