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4 ans de présidence Obama, évolutions des relations transatlantiques et perspectives par Bertrand Rioust de Largentaye

À l’approche de l’élection présidentielle américaine, les Européens s’interrogent sur le bilan du président sortant s’agissant des relations transatlantiques. Les signes d’une certaine délitescence de ces dernières ne sont pas là pour les rassurer. Touteleurope.eu vous propose de découvrir une étude réalisée par Bertrand Rioust de Largentaye pour Notre Europe - Institut Jacques Delors.

Introduction

Bertrand Rioust de Largentaye

Ancien chargé d’études à Notre Europe (2002-2006), il a vécu quinze ans aux États-Unis.

Il a passé près de la moitié de sa vie professionnelle dans la fonction publique française (ministère de l’agriculture, puis ministères des finances et du commerce extérieur) avant de rejoindre les services de la
Commission européenne.

L’arrivée au pouvoir du Président Obama a marqué un tournant dans les relations transatlantiques. Barack Obama a bénéficié, dès avant son élection, d’une grande popularité en Europe, où il avait été acclamé par 200.000 personnes à Berlin en 2008. Cela tenait à des objectifs qui s’apparentaient à ceux que les Européens s’étaient eux-mêmes fixés, y compris dans le volet relations extérieures de son programme, où il prenait le contrepied des néo-conservateurs de l’entourage du Président G.W. Bush. L’attribution du prix Nobel de la paix, jugé prématuré par certains, en l’absence de bilan, témoignait, en tout cas, de la confiance que les intentions et les capacités du nouveau président inspiraient au jury.

Obama, né à Hawaii, a passé une partie de son enfance en Indonésie. C’est un admirateur de l’ancien Premier ministre singapourien Lee Kuan Yew et, plus généralement, du dynamisme des sociétés orientales qui ont réussi, en l’espace de quelques décennies, à extraire des centaines de millions de personnes de la grande pauvreté. On a pu parler, à son propos, d’un tropisme asiatique, d’une proximité intellectuelle plus grande avec l’espace Pacifique qu’avec l’Europe, ce qui n’a pas manqué de susciter des inquiétudes de ce côté-ci de l’Atlantique, notamment lors de l’échec de la conférence sur le climat de Copenhague, en décembre 2009.

Dès la première année de l’administration Obama, Notre Europe a invité de hautes personnalités à examiner les difficultés que rencontrait le partenariat atlantique et à se prononcer sur ses perspectives d’avenir. Il en est résulté, en mars 2010, un rapport intitulé Partenariat euro-américain. Une nouvelle approche. Depuis, trois événements sont venus modifier la donne. A la fin de 2010, le parti démocrate perdait le contrôle de la Chambre des Représentants et, avec lui, la possibilité de mettre en oeuvre une grande partie de son programme, au-delà de la couverture maladie universelle. Le parti républicain, aiguillonné par son aile droite, adoptait une politique de combat, systématiquement critique, frisant l’obstructionnisme, et s’étendant aux relations extérieures, là où une approche bipartisane, c’est-à-dire non partisane, avait longtemps prévalu. En second lieu, 2011 a vu les débuts du bouleversement politique du monde arabe. Et enfin, au commencement de cette année 2012, l’administration Obama a annoncé une révision des priorités de sa politique extérieure, connue sous le nom de « pivot », et consistant à redéployer une partie de ses moyens diplomatiques et militaires de l’Europe vers le Pacifique. Est-ce le début d’un désengagement américain à l’égard du vieux continent ? Les craintes évoquées étaient-elles fondées ? C’est ce que
nous nous efforcerons d’examiner dans la suite, en observant d’abord un style et des objectifs politiques qui répondent mieux aux attentes des Européens que ceux de son prédécesseur, G.W. Bush. Cela nous conduira à souligner, en contrepoint, que l’administration Obama n’a pas pour autant renoncé au regard critique que les États-Unis portent depuis longtemps sur certaines réalités européennes. Nous essaierons de mesurer enfin la portée actuelle et prévisible du jeu de bascule américain entre les rives orientales de l’Atlantique et les rives
occidentales du Pacifique. Ce Policy Paper cherchera surtout à mettre en évidence la relation transatlantique telle qu’elle est perçue par les Américains, le fil conducteur étant qu’une rénovation du partenariat passe par une meilleure compréhension du point de vue de l’autre.

1. Des objectifs, des valeurs et un style où les Européens se sont reconnus

1.1. Unilatéralisme et éloignement des valeurs européennes


L’unilatéralisme de Donald Rumsfeld et de Georges W. Bush, les libertés qu’ils avaient prises avec les valeurs associées aux démocraties occidentales, et leur propension à mettre en avant des coalitions de circonstance, avaient heurté les sensibilités européennes et avaient même conduit à fissurer l’unité européenne à un moment particulièrement délicat puisqu’il s’agissait alors d’assurer l’envol de la politique étrangère et de sécurité commune (la PESC ne s’en est jamais vraiment remise). Le secrétaire à la défense Rumsfeld avait opposé la « vieille Europe » à une prétendue « Europe nouvelle » et accordé sa préférence à un groupe de volontaires sur l’aide proposée à l’unanimité par l’OTAN après le 11 septembre 2001 aux termes de l’article 5 de sa charte. L’intervention en Irak de mars 2003 avait entraîné un divorce entre l’opinion publique européenne, hostile au conflit, et certains de ses dirigeants (Blair, Aznar, Barroso, Berlusconi), et une opposition entre ces derniers et les autres, aux premiers rangs desquels le chancelier fédéral allemand et le président de la République française. Certains captifs de la CIA étaient reclus dans des prisons secrètes et pouvaient être livrés aux forces de pays alliés où la pratique d’interrogatoires musclés ne se heurtait pas aux mêmes obstacles juridiques qu’aux États-Unis (« extraordinary renditions »). Or, Obama avait été une des rares personnalités politiques américaines à avoir immédiatement dénoncé l’intervention militaire de son pays en Irak. Sa position était construite autant sur des arguments moraux que sur des arguments pragmatiques : il fallait avoir les moyens de sa politique étrangère et les États-Unis ne les avaient plus, sauf à être disposés à sacrifier des objectifs de politique intérieure qu’il n’était pas le seul à juger prioritaires.

1.2. Une conception plus multipolaire des relations internationales

Avec Obama, les États-Unis se sont dirigés vers une conception plus multipolaire des relations internationales. L’accent devait porter désormais sur les droits de l’homme, l’état de droit, les libertés publiques et la mise en pratique de procédures démocratiques, si possible, comme cela avait été le cas avant la parenthèse de la précédente présidence, dans un esprit non partisan, associant Démocrates et Républicains. Tel était le sens du discours que le président américain prononçait au Caire en juin 2009. Cela dit, les néo-conservateurs qui constituaient l’entourage de G.W. Bush adhéraient tout autant en paroles à ces objectifs wilsoniens, peut-être en raison des mouvements progressistes dont certains étaient issus. Ce n’est donc pas tant le discours qui a changé que sa traduction dans les faits, même si celle-ci reste imparfaite (maintien du centre de détention de Guantanamo). Dès le lendemain de son accession à la Maison Blanche, le nouveau président américain mettait fin à toute implication des services de son pays dans des actions qui n’excluaient pas le recours à la torture. Le discours du Caire a pu être interprété a posteriori comme un feu vert donné par les Américains au printemps arabe, aux révolutions qui ont mis fin à des décennies de régimes autoritaires. L’accueil réservé par la nouvelle administration à des partis se réclamant de l’islam en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, au moment de leurs succès électoraux, a pu être comparé à l’attitude du Président Carter lorsqu’il avait retiré le soutien de son pays au chah, ce qui avait facilité l’accès au pouvoir des ayatollahs. La démocratie, en d’autres termes, est conçue, d’abord et avant tout, comme l’expression de la loi de la majorité, même si celle-ci se concilie mal avec des valeurs qui lui sont, ou qui devraient lui être, étroitement associées, comme la liberté, l’égalité des femmes, la tolérance, le droit des minorités ou la laïcité. Les États-Unis auraient de nouveau tourné le dos à la vision kémaliste du développement politique et économique. L’appui qu’ils ont apporté aux mouvements du printemps arabe ne semble pas avoir été porté à leur crédit : ils sont aussi impopulaires aujourd’hui dans le monde islamique qu’ils l’étaient sous la précédente présidence.

1.3. Environnement, immigration et assurance-maladie : des orientations approuvées par les Européens

Les grandes orientations définies dans le programme du candidat Obama en matière d’environnement, d’immigration et d’assurance-maladie ont trouvé un écho favorable en Europe. Les Européens ont su gré au nouveau président d’avoir reconnu la réalité des défis environnementaux même si, dans la pratique, il n’a pas réussi à mettre en oeuvre les dispositions les plus importantes de cette partie de son programme, notamment celles ayant trait à la création de marchés d’émissions (« cap and trade »). Un coup décisif aux principaux projets de l’administration actuelle dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique pourrait au demeurant être porté par la découverte et l’exploitation d’importants gisements de gaz de schiste. Cela dit, 10 % de l’électricité consommée aux États-Unis provient en 2012 d’énergies renouvelables, comme le candidat Obama s’y était engagé, et, aux termes de nouvelles normes, applicables par l’ensemble des États, la consommation de carburant par véhicule doit être réduite de moitié avant 2025.

La grande loi sur l’immigration annoncée par Obama n’a pu voir le jour, mais le 15 août dernier, le gouvernement, usant de ses prérogatives exécutives, a pris une mesure en faveur des jeunes immigrés en situation irrégulière (Deferred Action for Childhood Arrivals) qui, à défaut de leur conférer le statut de résidents permanents, leur permettra d’envisager l’avenir aux États-Unis avec plus de sérénité.

La mise en place d’un régime d’assurance-maladie couvrant l’ensemble des Américains était un objectif prioritaire du parti démocrate depuis les années trente au siècle dernier. Le Président Obama l’a atteint, non sans mal et sans doute au prix d’autres grandes réformes qui figuraient à son programme, qui ont dû être reportées au-delà du moment où les Démocrates ont perdu le contrôle de la Chambre des Représentants.

2. Une continuité dans la critique américaine de certaines réalités européennes

Cette nouvelle convergence sur les objectifs et les valeurs n’a pas signifié, pour l’administration Obama, que les États-Unis allaient remettre en cause le regard critique qu’ils portent sur certaines réalités européennes, ni qu’ils allaient s’abstenir de revoir les priorités de leur politique étrangère. Les critiques visent notamment le partage inégal du fardeau de la défense et l’économie européenne, jugée anémique, et pesant de ce fait sur la reprise à l’échelle planétaire. La révision des priorités a débouché, au début de cette année, sur le concept de « pivot ».

2.1. Un partage inégal du fardeau de la défense

En matière de sécurité, les chiffres sont là. Le budget défense des États-Unis représente la moitié du budget défense du monde entier. Les dépenses de l’OTAN sont financées aujourd’hui à 77 % par les États-Unis alors qu’à la fin de la Guerre froide cette proportion n’était que de 66 %. Les crédits militaires américains, en termes de PNB, représentent en moyenne trois fois plus que les crédits militaires des pays européens membres de l’Alliance. Parmi les membres européens de l’OTAN, quatre pays seulement, le Royaume-Uni, la Grèce, l’Albanie et la France dépensent encore plus de 2 % de leur PNB pour leurs forces armées. Et, aux yeux des Américains, la politique de défense européenne souffre non seulement d’une pénurie globale de moyens mais aussi d’une dispersion, d’un manque d’intégration, qui font que les moyens disponibles sont loin d’être employés de la manière la plus rationnelle.

L’Europe doit prendre en main ses responsabilités et cesser d’être un « consommateur de sécurité », un passager clandestin de la politique de sécurité américaine, pour devenir un producteur actif de ce bien collectif. Or la crise actuelle l’inciterait plutôt à revoir à la baisse ses crédits militaires. La campagne militaire libyenne qui a conduit à la chute du colonel Khadafi a bien illustré cette réalité. Français et Britanniques ont pris la direction des opérations, ce qui correspondait bien à la volonté américaine de ne pas se situer en première ligne, mais, malgré la proximité géographique des forces adverses, ils ont dû rapidement faire appel à l’aide américaine pour combler leurs lacunes logistiques, en matière de communications, de renseignement et de ravitaillement en vol, notamment. C’est une séquence qui n’est pas sans rappeler celle qui fut observée dans les Balkans il y aura bientôt vingt ans.

La réduction des crédits européens et le redéploiement des forces américaines, dont il sera question, pourraient porter atteinte à une des raisons d’être à la fois politique et économique de l’Alliance, à savoir
l’ « interopérabilité » entre les moyens de défense apportés par chacun des signataires du traité.

2.2. Une économie européenne jugée anémique

Les Américains reprochent aussi aux Européens le manque de dynamisme et de réactivité de leur économie, qui les empêche de jouer le rôle moteur qui devrait être le leur dans un monde où le développement s’appuie largement sur l’intensification des échanges. Il existe un contraste entre la vigueur des mesures budgétaires et d’assainissement des établissements financiers prises par les États-Unis depuis 2008 et la timidité de celles qui ont été mises en oeuvre en Europe. L’analyse des origines de la crise, et donc des moyens d’y faire face, n’est pas la même de part et d’autre de l’Atlantique. Pour les Américains, la crise s’explique d’abord par un accroissement brutal de la propension à l’épargne, résultant pour partie de l’assèchement du crédit bancaire, dans la mesure où celui-ci a rendu problématique le refinancement de la dette existante : le comportement des particuliers, des entreprises et des collectivités territoriales s’en est trouvé durablement altéré (« deleveraging » : confronté à l’impossibilité de refinancer sa dette, le débiteur doit se mettre à épargner, et la hausse de la propension à l’épargne qui en résulte se traduit par une contraction de la demande). Pour lutter contre cette soudaine déficience de la demande, le gouvernement fédéral a mis en place un plan de relance de 787 milliards de dollars, soit l’équivalent de 4 % du PNB (à titre de comparaison, jamais, sous le New Deal de Franklin Roosevelt, un plan de relance n’a représenté, en termes annuels, plus de 1,5 % de la production nationale américaine), tandis que les grandes banques, engagées à renouer, dans les meilleurs délais, avec leurs activités de prêts, ont reçu pour consigne de mettre de l’ordre dans leurs bilans sans tarder : c’est ainsi que le seul Citigroup a épongé pour 143 milliards de dollar de pertes alors qu’aucune banque de la zone euro n’a effacé l’équivalent de plus de 30 milliards de dollars de son bilan. Aux États-Unis, la loi Dodd-Frank a mis un terme à une période de plus de trente ans de dérégulation financière. De manière générale, les attitudes européennes, aux yeux des Américains, se caractérisent par une approche trop statique et comptable de l’économie, renvoyant aux fantômes de Hoover et de Mellon, ou de Brüning et de Salazar : comment, pensent-ils, peut-on se priver des moyens d’intervention budgétaire de l’État, en invoquant le risque d’inflation, alors que le taux de chômage avoisine les 10 %. Ils rappellent avec quelle vigueur les comptes de l’État fédéral se sont redressés à la fin des années quatre-vingt-dix, à un moment où l’économie américaine était proche du plein emploi, au point où les extrapolations conduisaient à envisager la disparition de la dette fédérale, ce qui, par parenthèses, aurait posé quelques problèmes au bon fonctionnement du marché monétaire.

2.3. L’incompréhension des crises européennes

La crise de l’euro, en multipliant les incertitudes, et donc les raisons de ne pas engager de dépenses (l’épargne de précaution), n’a pas contribué à rendre l’économie européenne plus dynamique. L’administration Obama n’a pas été autrement surprise par les difficultés qu’éprouvent les dirigeants européens à la maîtriser, compte tenu de la nature restrictive des outils figurant dans leur panoplie.

S’agissant de la crise des dettes souveraines, elle n’a pas compris le temps qu’il a fallu aux Européens pour faire face aux problème posé par le service de la dette grecque, en s’abstenant de recourir à des instruments qui avaient fait leurs preuves aux États-Unis, à commencer par une réforme de la Banque centrale européenne qui lui aurait permis de devenir un vrai prêteur en dernier ressort. Il a fallu attendre le début du mois de septembre 2012 pour que cette dernière possibilité devienne enfin une réalité, et encore, sous certaines conditions.

S’agissant de la crise financière, elle a relevé que les épreuves de résistance (« stress tests ») auxquelles ont été soumis les établissements financiers européens ne se sont pas avérées crédibles. Les États-Unis n’ont pas été convaincus non plus par toutes les mesures de régulation et de supervision financières proposées par l’UE lors des réunions du G-8 et du G-20.

La crise européenne a porté un nouveau coup, aux yeux des Américains, à l’idée que les Européens se font de leurs mécanismes de gouvernance, en lesquels ils ont tendance à voir les précurseurs de futurs mécanismes de gouvernance mondiale. Les États-Unis se montraient déjà plus réservés sur les questions de souveraineté que les Européens. La gestion de la crise européenne actuelle n’aura pas servi à les faire changer d’avis.

2.4. Une incertitude américaine nommée « falaise fiscale »

Cela étant, les Américains se trouvent eux-mêmes devant une incertitude majeure, liée à l’état de leurs finances publiques fédérales, incertitude que l’on désigne habituellement sous le nom de « falaise fiscale » : l’économie américaine court le risque, à brève échéance, de se précipiter du haut de cette falaise. Le simple risque que cet événement se produise a déjà des conséquences déflationnistes, en ce sens qu’elle induit les opérateurs à épargner, et cette situation se répercute évidemment, au moyen des flux commerciaux, chez les partenaires des États-Unis, à commencer par l’Europe. Le taux de chômage américain serait inférieur d’un point (6,8 % au lieu de 7,8 %) en l’absence de ce risque. De quoi s’agit-il ? L’administration Obama a dû relever le plafond de la dette publique pour pouvoir financer son budget, et le projet de relèvement s’est heurté à de vives résistances du parti républicain au Congrès. Le relèvement a finalement été voté in extremis mais l’administration a été contrainte d’accepter pour cela un plan en deux temps, la seconde partie ne devant entrer en vigueur qu’en cas d’échec de la première. Le plan a pour objet de redresser les finances publiques fédérales par une action portant à la fois sur les recettes et les dépenses. Sa préparation a été confiée à une commission, nommée à cet effet, où siégeaient des représentants des deux partis, étant entendu qu’en cas d’absence d’accord ‚on passerait à l’application d’un programme préétabli de coupes budgétaires et de hausses d’impôts, les unes et les autres étant elles-mêmes prédéterminées. On en est là car la commission désignée n’a pu se mettre d’ accord sur des mesures à recommander dans les délais qui lui avaient été impartis. Or le programme préétabli correspond à une ponction de 5 % sur le PNB américain. Des réductions d’impôts mises en place sous l’administration de G.W. Bush ne vont pas être reconduites à la fin de cette année, pas plus que la suspension d’une taxe sur les salaires décidée par B. Obama. La prolongation de la durée des allocations chômage, également décidée par le président sortant, va arriver à son terme à la même date, le 31 décembre. Un prélèvement obligatoire, appelé impôt minimum alternatif, qui, au départ, ne visait que les contribuables les plus fortunés, va toucher 30 millions d’Américains de la classe moyenne. Les paiements effectués au titre des honoraires des médecins dans le cadre du programme Medicare (assurance-maladie pour les personnes âgées) vont baisser de près de 30 %. Les coupes budgétaires seront mises en oeuvre à compter du 15 janvier 2013 et affecteront d’abord les crédits militaires (50 % de la baisse totale des dépenses). L’ensemble de ces mesures représentera une ponction annuelle de 600 milliards de dollars, soit 6 100 milliards de dollars sur dix ans.

3. Un jeu de bascule de l’engagement américain entre les rives orientales de l’Atlantique et les rives occidentales du Pacifique

3.1. Le « pivot », nouvelle stratégie américaine

La nouvelle stratégie américaine, le « pivot », définie en début d’année, prend appui, évidemment, sur la discordance entre les taux de croissance en Asie et en Europe, à l’origine d’une reconfiguration de la carte économique du monde (les pays de l’OCDE ne produiront plus, en 2025, que 40 % de la production mondiale, contre 55 % en 2000, alors que la part de l’Asie passera, dans le même laps de temps, de 24 à 38 %). Mais elle s’explique aussi par la persistance en Asie de problèmes de sécurité qui en feront clairement une zone d’instabilité stratégique, une zone plus dangereuse que l’Europe pour les États-Unis au cours des prochaines décennies. On passera en revue dans la suite, sans ordre particulier, quelques-uns des arguments qui se rattachent à l’une ou l’autre de ces problématiques et qui ont servi à justifier le virage stratégique :

• La prolifération nucléaire en Asie (Inde, Pakistan, Corée du Nord) ;
• Le risque de voir le Japon renoncer à l’engagement pacifiste qui figure à l’article 9 de sa Constitution ;
• La montée des enjeux économiques américains en Asie (en termes de commerce et d’investissements ; la Chine est désormais le troisième marché pour les exportations américaines : ses achats aux États-Unis ont progressé de 53 % depuis 2007) ;
• La baisse du budget de la défense américain (baisse programmée de 480 milliards de dollars au cours des dix prochaines années, soit, en moyenne, 48 milliards de dollars par an), assise sur la fin des hostilités en Irak et en Afghanistan ;
• Le fait que 50 % du commerce maritime mondial passe désormais par la mer de Chine méridionale ;
• Les interrogations chinoises sur l’avenir du dollar dans un futur système monétaire international ;
• L’arrivée au pouvoir cet automne d’une nouvelle direction du parti communiste chinois ;
• La progression rapide des budgets militaires dans la région (selon l’Institut international des études stratégiques de Londres, les dépenses militaires de l’Asie sont sur le point de dépasser celles de l’Europe).

3.2. Une modification du déploiement des troupes américaines

Les conflits territoriaux latents entre pays de la rive occidentale du Pacifique sont nombreux. Les îlots disputés, le plus souvent situés en mer de Chine orientale ou en mer de Chine méridionale, sont entourés de vastes zones économiques exclusives qui constituent le véritable enjeu de ces conflits, lesquels risquent à tout moment de dégénérer en conflits ouverts. Il s’agit souvent de points laissés en suspens lors de la conclusion des traités de paix mettant fin à la Deuxième guerre mondiale ou à des guerres coloniales, à une époque où le commerce et l’exploitation de ressources sous-marines n’avaient pas l’importance qu’ils ont aujourd’hui. Les autorités américaines se gardent de recourir au vocabulaire de la Guerre froide et de parler « d’endiguement » à la manière de John Foster Dulles, mais il s’agit bien de trouver un nouvel équilibre face à la montée en puissance de la Chine.

L’Europe apparaît désormais comme un continent relativement apaisé, où les questions de sécurité ne se posent plus avec la même acuité qu’avant la chute du mur de Berlin. La reprise d’une relation plus étroite et plus confiante avec la Russie (le « reset ») a permis, en avril 2010, de conclure un nouveau traité Start de désarmement nucléaire avec Moscou. Les Russes sont désormais associés aux négociations sur le déploiement d’un bouclier anti-missiles en Europe, même si celles-ci n’ont guère progressé.

Le « pivot », comme nous l’avons vu, se rapporte d’abord à des réalités dans les domaines de la politique de sécurité et de la politique commerciale.
Le quart des forces résiduelles américaines stationnées en Allemagne doit être rapatrié, et le secrétaire à la défense américain a annoncé que 60 % des navires de guerre de son pays, y compris six escadres dotées de porte-avions, seront stationnées dans la zone Asie-Pacifique en 2020. Les États-Unis vont ouvrir une base militaire en Australie et intensifier leurs relations avec des pays comme le Vietnam et les Philippines, préoccupés par l’émergence de la puissance régionale chinoise. La manière dont a été conduite la campagne de Libye, que nous avons déjà évoquée, montre que les États-Unis ne cherchent pas à monter en première ligne dans des conflits où l’Europe bénéficie de l’avantage de la proximité, abstraction faite sans doute du conflit israélo-palestinien. On imagine assez bien que, dans la vision multipolaire du monde qui est celle de l’administration américaine, l’Afrique, aussi bien l’Afrique du Nord que l’Afrique subsaharienne, relève davantage de la politique extérieure et de sécurité européenne que de celle des États-Unis. Enfin les jeux de guerre auxquels se livrent les stratèges américains actuellement ne correspondent pas à la préparation de nouvelles hostilités en Europe. La stratégie dite de la bataille Air/Terre, développée dans les années 1980 avait manifestement pour objet de contrer une poussée soviétique en Europe centrale, dirigée contre l’Europe de l’Ouest. La stratégie à l’étude aujourd’hui, dite de la bataille Air/Mer, a clairement un autre adversaire en vue puisqu’elle l’identifie comme cherchant à prévenir l’accès à un théâtre d’opérations déterminé et à détenir la capacité d’infliger de lourdes pertes si les mesures de prévention s’avéraient insuffisantes.

3.3. Une redéfinition des relations économiques américaines

Dans le domaine commercial, les États-Unis appuient le projet de création d’un partenariat trans-pacifique (sigle anglais : TPP) qui serait une vaste zone de libre-échange Asie Pacifique. La Chine n’est pas hostile dans son principe à un tel projet, mais, si elle s’y associe un jour, elle devra faire face à des dispositions conçues pour que les entreprises publiques ne bénéficient pas d’avantages indus, ce qui ne lui sera pas aisé. La Chine n’est pas la seule grande économie asiatique à rester en marge de cette négociation : ni l’Indonésie, ni le Japon, ni la Corée du Sud n’ont cru devoir s’y associer, pour le moment du moins. Celle-ci devait aboutir en septembre, ce qui n’a pas été le cas ; l’échéance a dû être reportée au mois de décembre. Lancée par Brunei, le Chili, la Nouvelle-Zélande et Singapour, elle groupe désormais neuf États, dont les États-Unis, qui ont assumé le rôle de pilote, l’Australie, le Vietnam et la Malaisie. Ils devraient être rejoints en décembre par le Mexique et le Canada. Le TPP se présente comme un accord commercial régional avancé, en ce sens qu’il s’étend à des domaines nouveaux et variés, comme l’environnement, les conditions de travail, la protection de la propriété intellectuelle et les services associés aux technologies de l’information.

La communauté économique de l’ASEAN, inspirée de la Communauté économique européenne, qui devait devenir une réalité dans les trois ans à venir, pourrait être la première victime des tensions résultant des revendications territoriales dans la mer de Chine méridionale.
Le « pivot » ne va pas rendre plus confortable la position du Royaume-Uni qui a toujours défendu la relation spéciale qui l’unit aux États-Unis et qui éprouve des difficultés grandissantes à se reconnaître dans les orientations prises par l’Union européenne.

La relation transatlantique va perdre de sa prépondérance, autant en raison de la perte de son poids économique relatif qu’en raison d’une proximité moins grande entre ses deux composantes. Pas plus que les États-Unis seuls, elle ne pourra prétendre peser d’un poids décisif lorsqu’il s’agira de définir de nouvelles règles pour l’ordre mondial. La composition et le mode de fonctionnement des grandes organisations internationales ne reflètent pas encore cette nouvelle réalité, et c’est sans doute là la première raison pour laquelle leur réforme est à l’ordre du jour.

CONCLUSION

Les relations extérieures des États-Unis, et les relations transatlantiques en particulier, vont se ressentir de l’issue du scrutin du 6 novembre, tant il est vrai que la polarisation politique dans ce pays n’épargne plus le secteur des affaires étrangères. Mais, en sens inverse, ces dernières ne formeront pas une partie importante du bilan du Président Obama sur lequel les électeurs vont se prononcer, à moins qu’un nouveau conflit n’éclate au Moyen-Orient d’ici là. Le taux de chômage (les chômeurs sont trois millions de plus que lors de la dernière élection présidentielle en 2008) et le prix du carburant à la pompe seront des facteurs plus déterminants. Les partisans du Président sortant regretteront cet état de fait car, selon les sondages d’opinion, il dispose d’une large avance sur son adversaire lorsque la question porte sur la capacité à conduire les relations des États-Unis avec le reste du monde.

La date de l’élection présidentielle américaine figure vraisemblablement parmi les paramètres pris en compte par les stratèges israéliens chargés d’examiner le projet d’attaque des installations nucléaires iraniennes. On se souviendra de la grande offensive contre la bande de Gaza déclenchée quelques jours seulement avant la prise de fonction du nouveau président ainsi que la rebuffade que le gouvernement israélien lui avait infligée lorsqu’il avait demandé l’arrêt de la construction de colonies de peuplement dans les territoires occupés. Sa condamnation de la deuxième guerre du Golfe, pas plus que son appui aux révolutions du Printemps arabe, n’ont été considérés par la droite israélienne au pouvoir comme allant dans le sens des intérêts de l’État hébreu. A la différence de la plupart de ses prédécesseurs, Obama n’apparaît pas comme un inconditionnel d’Israël, ce qui n’a pas échappé à son rival, Mitt Romney, qui s’est dépêché de s’y rendre. Il est vraisemblable que sous un Président Romney les États-Unis auraient moins d’hésitations à conduire eux-mêmes une guerre préventive contre l’Iran, sur les instances d’Israël, dans la ligne de l’opération qu’ils avaient lancée contre l’Irak en mars 2003. Le parti
républicain actuel est plus à l’écoute des positions prises par l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee) que le parti démocrate. De manière générale, le retour des Républicains à la Maison Blanche pourrait signifier une politique étrangère plus affirmée, plus interventionniste, à vocation plus hégémonique.
L’élection de M. Romney pourrait produire un autre effet déstabilisateur, dans le domaine commercial.

L’adversaire du Président sortant s’est engagé, dans l’hypothèse où il sortirait vainqueur des urnes, à chercher, dès le lendemain de son entrée en fonction, à obtenir que la Chine soit reconnue comme intervenant sur le marché des devises pour maintenir sa monnaie à un cours artificiellement bas (« currency manipulator »).

Quel que que soit le vainqueur de la nuit du 6 au 7 novembre, les Républicains paraissent bien placés pour conserver leur majorité à la Chambre des Représentants et il n’est pas exclu qu’ils mettent fin à la majorité démocrate au
Sénat. Si le Président sortant est réélu, cela signifierait que sa marge de manoeuvre restera aussi étroite qu’elle l’a été depuis 2010, dans le domaine des affaires étrangères comme dans les autres.


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