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La crise institutionnelle belge et l’enjeu européen

Mardi 30 décembre 2010, la Maison de l’Europe de Paris organisait une conférence sur les conséquences de la crise institutionnelle belge sur le fonctionnement de l’Union européenne. Pour alimenter les discussions, Gaëtane Ricard-Nihoul, secrétaire générale de Notre Europe et Emily Hoyos, Présidente du Parlement Wallon ont répondu présentes à ce débat.

Une structure étatique déjà complexe

Emily Hoyos, pour bien saisir tous les enjeux du débat, a commencé par rappeler les différents échelons des pouvoirs en Belgique. Si auparavant la Belgique était un Etat unitaire avec une langue officielle, le français, les réformes constitutionnelles de 70, 80, 88-89, et 93 ont profondément changé la nature du régime belge, et la répartition de ses pouvoirs.

En 1970, la Constitution est modifiée pour reconnaître l’existence de trois communautés culturelles (flamande, française et germanophone) et de trois régions, qui deviennent compétentes pour l’action culturelle, et surtout l’enseignement et de la langue. Suite à l’instabilité politique de la fin des années 70, une révision de la Constitution étend les compétences des Communautés aux matières personnalisables (santé et aide sociale), et octroie de nouvelles compétences aux Régions.

En 1988-89, une nouvelle révision de la Constitution et de nouvelles lois de réformes institutionnelles, dont la loi spéciale du 12 janvier 1989, relative aux institutions de la Région de Bruxelles-Capitale, sont adoptées. Les compétences des Communautés et des Régions sont élargies, et les institutions de la région de Bruxelles-Capitale sont installées. La réforme de 1993 achève la transformation de la Belgique en un Etat fédéral. Il est reconnu en effet que les trois Régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles-capitale) sont compétentes dans les domaines économique et territorial.

Le fédéralisme belge à l’épreuve

Ce fédéralisme qui était censé mettre en avant les régions et les communautés, devient en fait le cœur du problème belge. Les compétences qui restent à l’Etat fédéral belge sont la justice, les finances, le budget, le maintien de l’ordre, la défense, la politique étrangère, et surtout l’emploi et la sécurité sociale. Or en ce qui concerne ces derniers domaines, les Flamands voudraient qu’ils soient gérés au niveau régional et non plus fédéral, car ils ont le sentiment de payer pour les Wallons via le mécanisme national de redistribution des richesses. Or cette demande mettrait en théorie fin à la raison d’être d’un gouvernement fédéral, selon les opposants à ce projet.

De plus, toute indépendance de la Flandre poserait la question des frontières régionales, tout particulièrement dans la région Bruxelles-Capitale. Il existe en effet une circonscription électorale particulière, à cheval sur la région Flandre et la région Bruxelles-Capitale : Bruxelles-Hal-Vilvorde, ou “arrondissement BHV” . Théoriquement, on ne vote que pour des partis politiques régionaux en Belgique. Or, dans l’arrondissement BHV, les francophones qui vivent à la périphérie de la région Bruxelles-Capitale (donc en région flamande) peuvent malgré tout voter pour des partis de la région wallonne. C’est pourquoi les Flamands ont introduit une proposition de loi visant à scinder l’arrondissement BHV en deux. Les Francophones s’y opposent, d’autant qu’ils sont majoritaires dans les communes dites “à facilités” autour de la région Bruxelles-Capitale.

“A facilité”: Qu’est ce que c’est ?

C’est un statut linguistique qui comporte 27 communes belges, prenant en compte l’existence de minorités linguistiques à l’intérieur de la Flandre ou de la Wallonie.

Bruxelles s’avère donc être un vrai casse-tête institutionnel : elle est la capitale de l’Etat fédéral Belge, de la communauté française, de la communauté et de la région flamande, de la région Bruxelles capitale, mais aussi le siège de la plupart des institutions européennes et de l’OTAN Plusieurs propositions ont été formulées par les différents gouvernements belges pour régler le problème de transfert de compétences, mais ont buté à chaque fois sur l’arrondissement BHV, pour arriver à un échec final en 2009. Les précédents gouvernements de Guy Verhofstadt, et d’Yves Leterme n’ont pas pu résoudre cette question, laissant le pays sans gouvernement depuis les élections d’avril 2010.

Les conséquences de la crise belge sur l’Union européenne

Emily Hoyos, Présidente du parlement wallon, remarque qu’à travers cette crise institutionnelle figure en filigrane les problèmes socio-économiques, saupoudrés selon elle de finalités identitaires. Ainsi se pose la question de la continuité de la gestion des affaires intérieures belges. Elle estime que le gouvernement des affaires courantes s’en sort bien, et respecte ses obligations. Le gouvernement peut prendre des initiatives, déposées et promulguées par le parlement fédéral : “tout le monde s’en accommode” . Elle rappelle également la structure de l’Etat fédéral belge : si le gouvernement national ne fonctionne pas, les six entités fédérées, elles, fonctionnent normalement. “Ce n’est donc pas une crise politique, mais une crise institutionnelle” tempère-t-elle.

Son contradicteur, Gaëtane Ricard-Nihoul, se pose la question des conséquences que peut avoir cette crise sur l’Union européenne, et sur la présidence belge du conseil de l’Union européenne. Elle aborde la crise belge de manière moins optimiste. Selon elle, cette crise paraît plus profonde que les précédentes dans la mesure où le niveau de fédéralisme belge en est à son maximum. Si un nouveau transfert de compétences devait se produire, “que resterait-il au pouvoir fédéral et quelle pertinence garderait-il ?” . Pour elle, le lien entre crise belge et l’UE s’étale à deux niveaux.

Premièrement, elle estime que la crise belge est à l’image de l’Europe, entre repli national, crispation identitaire, et volonté de créer des communautés linguistiques. Deuxièmement, elle évoque le phénomène de la mondialisation, dont l’Union européenne ne serait que la version régionale. La construction européenne aurait été à la fois un frein et un accélérateur de la crise belge : elle empêche toute division en interne puisqu’elle oblige la classe politique nationale à s’unifier pour présenter une position commune au niveau européen. Mais la construction communautaire accélère aussi la division nationale car l’UE porte la voix de la Belgique, au niveau des relations internationales, comble donc la peur du vide, et par conséquent diminue la nécessité d’un solide échelon nation

Deux obstacles à une scission belge : des conséquences incalculables pour la Belgique et l’UE, et une dimension symbolique bien trop importante

Pour autant, la crise belge n’affecte pas l’idée européenne. La Présidence belge se passe très bien, le gouvernement fédéral est en étroite relation avec Herman Van Rompuy, qui était auparavant Premier ministre de la Belgique de janvier à novembre 2009, et considéré comme une figure stabilisatrice. Mais c’est l’effet de contagion qui est le plus à craindre d’après Gaëtane Ricard-Nihoul. Une scission de la Belgique aurait des effets catastrophiques pour l’UE, cela impliquerait de renégocier les traités européens, et de les ratifier à nouveau.

Si l’UE passait à 28 Etats membres, il faudrait revoir le nombre des députés, les pondérations des voix au Conseil, le nombre de juges à la CJUE, les contributions budgétaires… et encore faudrait-il que l’UE accepte de négocier sur une proposition commune des deux Etats s’accordant sur la fin de la Belgique, ce qui est loin d’être le cas. De plus, on voit mal les Etats membres de l’UE ratifier la scission de la Belgique, puisqu’ils n’y ont aucun intérêt : cela attiserait les revendications régionalistes chez eux.

Un scénario catastrophe guère probable

Emily Hoyos estime pourtant que le scénario d’une scission belge n’est guère plausible. Elle rappelle que le patronat flamand ne désire pas la scission mais une plus grande régionalisation. Elle estime qu’on se dirige vers un modèle confédéral pour la Belgique. Si l’on fait une sociologie électorale succincte en Flandre, on s’aperçoit vite que les électeurs traditionnels pour l’indépendance pure et simple de cette région ne représentent que 16,5% des 30% qui votent pour le parti indépendantiste N-VA. Le reste vote pour des raisons socio-économiques (pour ne plus “subir” la répartition des richesses). Il y a donc une alliance objective entre les électeurs “identitaires” et “socio-économiques” , pour obtenir les leviers économiques au niveau de la région flamande.

L’enjeu fiscal paralyse donc la Belgique, puisque les flamands sont persuadés de contribuer plus à l’impôt alors que tous les citoyens payent la même chose, en proportion. A ce titre, Emily Hoyos constate que cette volonté de réduire le champ d’action de l’Etat fédéral pourrait entrainer une baisse de la solidarité entre sujets belges, ainsi qu’une croissante inégalité économique entre les trois régions belges. Les autorités compétentes du Parlement wallon veulent donc se battre sur ce point. C’est principalement dans la loi de financement que se bloquent les négociations. Aujourd’hui il en va de la viabilité des régions Sud et Bruxelles qui subissent le modèle économique flamand. D’après la présidente du Parlement wallon, “la régionalisation des compétences fiscales et financières” entraînerait une perte d’argent au niveau de l’Etat fédéral, et un déséquilibre économique irréparable pour l’unité du pays.

En conclusion, Emily Hoyos resitue historiquement la récession économique que subit actuellement la région wallonne en raison de l’effondrement de l’industrie sidérurgique. La situation n’est guère meilleure à Bruxelles : c’est pourtant la région qui produit le plus de richesses mais beaucoup de travailleurs sont imposés en fait en Flandre ou en Wallonie. Aujourd’hui il y a 20% de chômage à Bruxelles et la population se paupérise progressivement. C’est l’impôt belge qui ne fonctionne pas bien selon elle : pourquoi pas une subdivision de l’impôt : une partie de l’imposition pour le travail, et l’autre pour le lieu de travail ?

On envisage beaucoup de scénarios pour une éventuelle scission pour la Belgique, mais à l’heure qu’il est, outre les impensables conséquences au niveau de l’Union européenne, c’est le sort irrésolu de l’arrondissement BHV qui fait en partie obstacle à ce scénario encore bien improbable

En savoir plus :

Fiche Touteleurope sur la Belgique

Les dernières élections en Belgique le 13 Juin 2010

Olivier Chastel fait le point sur la Présidence belge

Analyse de Vincent de Coorebyter sur la crise politique belge


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