Considérée comme “l’une des émanations contemporaines du modèle social européen” , la cohésion territoriale suscite autant d’espoir que d’appréhension car elle risque de bouleverser certaines politiques européenne. La cohésion territoriale pose et répond à des questions pratiques qui concernent tous les Européens et ouvre un champ de possibilités inédit. Marjorie Jouen définit le concept par la réduction des disparités liées à la géographie, la cohérence entre les politiques sectorielles et par le renforcement des liens entre les territoires.
La cohésion territoriale est l’aboutissement d’un long processus. C’est avec l’Acte unique européen qu’a été créée la politique de cohésion économique et sociale. En Espagne et en Irlande, elle a favorisé le rattrapage économique. Cette politique a également modernisé les administrations régionales et locales, qui s’y sont adaptées. Pour cette raison, Marjorie Jouen qualifie de “populaire” la politique européenne de cohésion, surtout auprès des citoyens européens qui en ont bénéficié.
Mais la politique de cohésion a été rapidement critiquée : manque de cohérence, opposition de certains acteurs favorisant le principe de subsidiarité, défiance à l’égard de toute nouvelle compétence européenne… “Les promoteurs de la cohésion territoriale ont donc adopté pendant de nombreuses années une stratégie pédagogique en direction de leurs partenaires les plus récalcitrants” .
Il est constitué d’équipes de recherche nationales qui informent et conseillent les décideurs européens sur l’aménagement du territoire européen. L’ORATE évalue également le contenu et la mise en oeuvre des politiques de cohésion.
En savoir plusA partir du milieu des années 1990, la dynamique est relancée par les adhésions à l’UE. Marjorie Jouen considère que le traité de Lisbonne, première révision institutionnelle d’envergure a rendu possible une avancée. Elle reconnaît que le lobbying des associations de régions a largement favorisé l’introduction du nouveau concept.
Plusieurs analyses théoriques ont montré l’utilité d’une action en faveur de la cohésion territoriale. Parmi les raisons invoquées en sa faveur, le fait que la cohésion ne se réalise pas automatiquement par le marché, que les outils existants ont des limites, que les disparités territoriales ont pris de nouvelles formes, et que les défaillances de cohésion coûtent cher.
A travers ses rapports réguliers, la Commission européenne a elle-même mené une réflexion. Ses idées se rapprochent de l’école de la “nouvelle géographie économique” , qui étudie les causes contemporaines de la concentration du développement. Quant aux travaux de l’Observatoire européen en réseau de l’aménagement du territoire (ORATE), ils montrent que tous les territoires ne sont pas placés sur un pied d’égalité face aux nouvelles contraintes.
Marjorie Jouen explique que “si certaines politiques ont des capacités correctrices, d’autres comme la promotion de l’innovation technologique ont des effets déséquilibrants” . Conclusion : la cohésion territoriale nécessite des arbitrages sur l’ensemble des politiques sectorielles et sur les différents niveaux de gouvernements.
L’étude met en avant les nombreux obstacles et les risques auxquels la cohésion territoriale pourrait être confrontée. Parmi ceux-ci, la sur-réglementation, le saupoudrage financier, la surenchère des handicaps par les bénéficiaires. Quatre questions sont prioritaires aux yeux de l’auteur : la définition du concept, le texte juridique qui supportera la cohésion territoriale, le cadre politique et enfin les critères pour une intervention européenne. Le terrain est mal défriché et des préconisations contradictoires sont formulées, entre principe de subsidiarité et compétences partagées.
Marjorie Jouen termine son étude en faisant plusieurs recommandations dans le but de rendre la cohésion territoriale opérationnelle. Elle propose d’adopter une feuille de route, de jouer sur la flexibilité de la mise en œuvre, d’affirmer la discrimination positive, de mettre au point un mécanisme de compensation des handicaps, d’utiliser la méthode ouverte de coordination (MOC) et de rendre effectif le principe selon lequel la cohésion territoriale s’impose à toutes les politiques.
L’étude de Notre Europe donne un planning pour la mise en œuvre de la cohésion territoriale, avec une première étape dès 2009 et une deuxième à partir de 2014. Marjorie Jouen rappelle qu’ “une bonne part des obstacles rencontrés par le passé tient au manque de sensibilisation des décideurs et de l’opinion publique sur les enjeux portés par la cohésion territoriale” . Elle propose de résoudre ce problème par une vaste politique de communication, de formation et d’information. L’analyste se prend à rêver qu’un jour, la cohésion territoriale débouche “sur l’obligation faite à tous les acteurs économiques et les décideurs publics de justifier leurs choix au nom de la responsabilité sociale ou environnementale” .
Marjorie Jouen, La cohésion territoriale, de la théorie à la pratique, Notre Europe, juin 2008.