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Gérard-François Dumont : “L’organisation territoriale de l’Union européenne est contradictoire”

Les 28 Etats membres de l’Union européenne forment autant de modèles d’organisation territoriale. Malgré un processus général de régionalisation influencé par l’Union européenne, le pouvoir et le degré d’autonomie des régions d’Europe restent extrêmement diversifiés selon les pays, et même à l’intérieur des pays. L’administration européenne parvient-elle à prendre en compte cette pluralité de modèles ? La régionalisation est-elle inéluctable ? Analyse de Gérard-François Dumont, géographe, économiste et démographe français, professeur à l’université Paris-IV Sorbonne.

Gérard-François Dumont

Vous êtes l’auteur d’une analyse, publiée sur le Diploweb.com, sur la diversité institutionnelle des régions d’Europe. Que souhaitiez-vous montrer à travers cette étude ?

Depuis les origines, la construction européenne est envisagée sous deux angles opposés. Pour certains, l’Union européenne serait vouée à former une union d’Etats nations ; pour d’autres, elle s’orienterait vers une “Europe des régions” , dans laquelle la dimension régionale prendrait le pas sur la dimension nationale.

Il me semblait donc utile, pour éclairer ce débat, de savoir quelle était réellement la situation institutionnelle des régions européennes.

Existe-t-il des régions partout en Europe ?

La région est effectivement présente aujourd’hui dans l’ensemble de l’Union européenne, dans la mesure où celle-ci a contraint les pays ne possédant pas d’organisation régionale à en mettre une en place. Car la politique de cohésion conduite par l’UE suppose des interlocuteurs à l’échelon régional.

Ce fut en particulier le cas dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale après la chute du Mur, dont l’organisation administrative avait été centralisée pendant la période communiste.

Dans les années 1990, on a ainsi constaté une renaissance de la régionalisation. Celle-ci est parfois allée de pair avec la reconnaissance de régions existant avant la période communiste, comme en République tchèque par exemple, même si le découpage ne correspond pas exactement au substrat historique.

Dans d’autres cas, il s’agissait de régions créées ex nihilo, comme en Hongrie. Celle-ci a eu vingt départements pendant très longtemps, mais pas de régions. Or l’UE considérait que le nombre de ces départements, et donc d’interlocuteurs, était trop important pour satisfaire la mise en place de la politique régionale européenne. Elle a alors obligé le pays à créer un niveau régional pour diminuer le nombre d’interlocuteurs.

Vous différenciez 3 grands types d’organisation régionale : quels sont-ils ?

Bien que les différences régionales des pays d’Europe soient considérables, je pense qu’il est possible de dégager une typologie claire.

On peut ainsi distinguer trois grands types de régions :

  • Celles qui ont un statut de quasi-Etats : c’est le cas des pays fédéraux comme l’Allemagne et l’Autriche, ou quasi-fédéraux comme l’Espagne.
  • Celles qui ont un statut de collectivités territoriales, possédant un pouvoir réglementaire ou de décision incarné par des élus, et donc une représentativité démocratique à l’échelon régional.
  • Celles qui sont des organes administratifs mis en place par les pouvoirs publics : c’est un échelon qui correspond à la déconcentration du pouvoir étatique.

Plus l’Etat est fédéral, plus les pouvoirs conférés aux régions sont évidemment importants.

Toutefois, le pouvoir des régions au sein même d’un pays peut être inégal. Par exemple, l’Italie a, dès 1946, accordé une autonomie supérieure à cinq régions, compte tenu notamment de leur caractère périphérique : la Sardaigne, la Sicile, le Trentin-Haut-Adige, la Vallée d’Aoste et le Frioul-Vénétie julienne. En Espagne, la fédéralisation s’est également opérée de façon inégale, en raison de la diversité historique des territoires régionaux. Ainsi, les compétences fiscales du Pays Basque et de la Catalogne sont bien plus importantes que celles des deux Castille. De même en France, le pouvoir de la Corse est beaucoup plus important que celui de Provence-Alpes-Côte-D’azur.

Cette diversité est à chaque fois le fruit de l’histoire ancienne. Avec parfois des aspects linguistiques comme dans la Vallée d’Aoste francophone, ou encore dans le cas des régions belges avec la différence entre le flamand et le wallon.

En France, le découpage régional ne peut être compris que dans un cadre historique. Il s’est appuyé sur le découpage départemental officialisé en 1790, lui-même largement le résultat d’un découpage très ancien au sein des provinces : l’Aveyron a remplacé le Rouergue, le Lot le Quercy, la Creuse la Marche, l’Indre-et-Loire la Touraine…

L’Union européenne reconnaît-elle cette pluralité de modèles d’organisation régionale ?

L’organisation territoriale de l’Union européenne est contradictoire : les institutions européennes agissent comme si la situation des régions était semblable dans les différents pays.

Or dans certains pays, c’est l’Etat central qui gère réellement la politique régionale, la répartition des fonds et des dossiers concernant leurs différentes régions. Et, dans d’autres, ce sont les régions elles-mêmes qui traitent l’ensemble des dossiers. On le voit très bien dans la ville de Bruxelles, où les bureaux de représentation les plus importants appartiennent aux régions dont l’autonomie institutionnelle est la plus forte. Le bureau de l“ ‘Etat libre” de Bavière, par exemple, se trouve juste entre le Parlement européen et le Comité des régions, non loin du bureau du Bade-Wurtemberg.

En France, les régions qui souhaitaient obtenir des soutiens pour des projets européens ne pouvaient le faire qu’avec l’aval total de Paris. Toutefois, depuis le 1er janvier 2014, la France a révisé sa procédure pour permettre aux régions d’être autonomes dans la présentation de leurs projets.

On a donc d’un côté des régions qui développent des stratégies régionales leur permettant d’être directement en lien avec la politique régionale européenne et, de l’autre, des régions administratives ou des collectivités territoriales qui s’inscrivent dans une régionalisation relativement faible, et dont les stratégies sont de fait soumises à un droit de véto ou de révision de l’Etat.

Peut-on actuellement constater, en Europe, une tendance générale à la décentralisation ?

Ces dernières décennies, la décentralisation administrative a effectivement eu lieu un peu partout en Europe. La raison est simple : l’évolution du monde et la diversité des territoires supposent une certaine souplesse dans les systèmes d’organisation, et ce n’est pas au niveau des Etats centralisés que l’on peut y répondre.

Dans tous les pays européens, la réponse institutionnelle s’est traduite par un processus de régionalisation, plus ou moins intense et différencié selon les pays. Cependant, et on en parle beaucoup moins, on peut constater qu’il y a eu un mouvement contraire de recentralisation, notamment en France. Il s’agit d’une recentralisation indirecte via des mesures fiscales, mais qui montrent bien la tension permanente entre les caractères “jacobin” et “girondin” de l’organisation territoriale française !

En Espagne, la tension est aujourd’hui un peu semblable : la régionalisation est allée très loin, puisque les collectivités ont été autorisées à présenter des budgets en déficit. Or l’Etat a réalisé que son déficit public provenait en grande partie du surendettement des régions. Les mesures mises en place pour éviter ce surendettement tentent ainsi de diminuer leur pouvoir.

Quel rôle a joué l’Union européenne dans ce processus de régionalisation ?

L’Union européenne a toujours encouragé ce processus, notamment pour la mise en œuvre de la politique de cohésion. Cependant, l’Union européenne n’a pas de pouvoir institutionnel en la matière. C’est bien chaque Etat, conformément au principe de subsidiarité, qui décide de sa propre organisation régionale.

L’Union européenne a aussi eu un rôle indirect, en soutenant notamment la coopération transfrontalière, qui a été un élément extrêmement important de la régionalisation. En France par exemple, dans les années 1970-1980, les régions avaient de grandes difficultés à mettre en œuvre des stratégies de coopération transfrontalière, parce que leur pouvoir était très faible par rapport aux régions des pays frontaliers. Les élus ont alors joué un rôle moteur en poussant à la régionalisation pour pouvoir mettre en œuvre des échanges régionaux transfrontaliers.

Les revendications autonomistes sont-elles un facteur important de régionalisation ?

Cela dépend des régions. Si l’on prend l’exemple de la Flandre, de l’Ecosse, de la Catalogne, il est clair que la demande d’autonomie supplémentaire de ces régions a accéléré le processus. A chaque fois que la Catalogne ou le Pays Basque ont menacé de devenir indépendants, Madrid leur a donné davantage d’autonomie. Même chose pour l’Ecosse, où la “pression” indépendantiste a été, jusqu’à maintenant (nous verrons les résultats du prochain référendum), contenue par le processus de “devolution” . Ou encore en Belgique, où l’octroi de pouvoirs supplémentaires aux régions vise à éviter la fracture du pays.

Mais chaque situation est particulière, et dépend de l’histoire et des rapports de force entre la région et l’Etat central. En Catalogne par exemple, le régime de Franco est allé jusqu’à interdire l’utilisation de la langue catalane et brûler des bibliothèques… On peut donc voir aujourd’hui, dans les revendications autonomistes, une certaine rétroaction contre la tentative antérieure d’étouffement de l’identité culturelle catalane.

Enfin, le processus de mondialisation accélère lui aussi celui de la régionalisation. Dans un monde globalisé, chacun cherche ses repères, et l’identité spécifique du territoire auquel il est attaché peut en fournir. L’Homme a besoin d’éléments identitaires : il les retrouve parfois dans cette dimension régionale.

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