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Brexit : quelle coopération entre régions françaises et britanniques depuis le retrait du Royaume-Uni ?

Pêche, tourisme, mobilité étudiante… Les conséquences du Brexit continuent d’affecter les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Si les régions voisines de l’Angleterre ont été touchées de plein fouet par ce divorce, elles tentent aujourd’hui de trouver des solutions pour relancer une coopération décentralisée.

Le 3 août 2023, le président de la Région Bretagne Loïg Chesnais-Girard a réuni plusieurs territoires à Rennes au sein du premier "Forum celte", dont les gouvernements écossais et gallois
Le 3 août 2023, le président de la Région Bretagne Loïg Chesnais-Girard a réuni plusieurs territoires à Rennes au sein du premier “Forum celte”, dont les gouvernements écossais et gallois - Crédits : compte X @regionbretagne

Le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni quittait l’Union européenne, avant de sortir de l’union douanière et du marché unique le 31 décembre, après la signature de l’accord de commerce et de coopération. Un coup d’arrêt à 47 ans de vie commune, qui a particulièrement touché la France. Avant le Brexit, environ 31 000 entreprises françaises exportaient vers le Royaume-Uni, faisant bénéficier l’Hexagone d’un excédent commercial confortable entre les deux pays.

Trois ans après le Brexit, ses conséquences se font toujours ressentir des deux côtés de la Manche. En particulier pour les régions qui longent le Channel : les Hauts-de-France, la Normandie et la Bretagne. Si, à Londres, les pouvoirs publics ne comptent pas réintégrer l’Union européenne, les autorités locales et régionales tentent de faire bouger les choses pour mener des actions communes et maintenir les liens qui existaient à travers les programmes européens.

Lors du Congrès des Régions de Saint-Malo (Bretagne), organisé par Régions de France, une table-ronde sur le sujet a réuni le 27 septembre Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités et de la ruralité, ainsi que les vice-présidents des Régions Bretagne et Hauts-de-France, Stéphane Perrin-Sarzier et Daniel Leca, Elise Wattrelot, secrétaire exécutive de la commission Arc atlantique de la Conférence des Régions périphériques maritimes (CRPM), et Matthieu Hornung, administrateur au Comité européen des Régions. L’occasion de revenir sur les conséquences concrètes du Brexit et les perspectives de coopération entre la France et le Royaume-Uni à un niveau plus local.

Quels espaces de coopération ?

Depuis le départ de Londres, les Régions sont orphelines des projets soutenus par Interreg, l’instrument de coopération territoriale de l’Union européenne. Le Royaume-Uni appartenait à deux programmes distincts qui finançaient des initiatives sur des thématiques comme l’innovation sociale, le patrimoine ou les technologies bas carbone. Le 31 décembre 2023 marquera le clap de fin de la participation britannique à ces programmes, comme Interreg France (Manche) - Angleterre. Dominique Faure s’est tout de même montrée optimiste. “Les Régions françaises ont déjà des coopérations avec des pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne, comme la Suisse”, a fait remarquer la ministre déléguée aux Collectivités.

Depuis le Brexit, de nouvelles coopérations émergent. A l’initiative de la Bretagne, un premier Forum celte s’est par exemple tenu début août à Rennes. Cette enceinte multilatérale réunit les différents territoires qui partagent une culture commune : l’Ecosse, le Pays de Galles et les Cornouailles côté britannique, mais aussi l’Irlande ainsi que la Galice et les Asturies, deux régions du nord-ouest de l’Espagne. Autant de territoires avec des champs d’action différents – l’Irlande est par exemple un Etat à part entière – mais les participants ont scruté les dossiers concrets sur lesquels ils pouvaient travailler.

A commencer par les énergies marines renouvelables, en particulier sur le volet formation qui relève de la compétence des Régions en France. Fer de lance de l’éolien offshore, l’Ecosse développe cette production à l’avenir prometteur. De jeunes Bretons formés aux métiers du secteur pourraient aller décrocher leur premier emploi en mer du Nord, avant de travailler sur des projets d’éoliennes en mer Celtique et, à terme, sur de nouveaux champs offshore au large des côtes bretonnes. La Région défend un partenariat “gagnant-gagnant” pour tous les acteurs. La Bretagne et le gouvernement écossais ont signé un protocole bilatéral à ce sujet le 3 août 2023. Une première pour Edimbourg avec une Région française.

D’autres projets sont à l’étude, comme le lancement d’un “Erasmus celte” destiné à faciliter la mobilité étudiante en Irlande, Pays de Galles et Bretagne. Avec le retrait britannique du programme européen Erasmus, les universités de l’autre côté de la Manche ont perdu 50 % de leurs étudiants européens entre 2020 et 2021. L’augmentation soudaine des frais d’inscription après le Brexit ont rendu inaccessibles les cursus aux jeunes Français. L’université d’Edimbourg a par exemple relevé ses tarifs à l’année de 1 000 à 25 000 livres, un montant prohibitif pour bon nombre d’Européens.

Les Hauts-de-France ont aussi différents espaces de coopération. A Bruxelles, la représentation de la Région partage par exemple les mêmes bureaux que le comté du Kent, porte d’entrée des Européens au Royaume-Uni. Les Hauts-de-France aident par ailleurs les entreprises à exporter chez leurs voisins et la Région a ouvert un “UK Business Centre” à Lille, en partenariat avec la Chambre de Commerce et d’Industrie britannique, son bureau d’accueil des sociétés du Royaume-Uni.

Conséquences économiques du Brexit

Le Brexit n’est pas un phénomène lointain, c’est un événement qui a touché la vie des gens”, a résumé Stéphane Perrin-Sarzier, vice-président chargé de l’Europe en Bretagne. En première ligne face aux Cornouailles anglaises, la région a toujours eu des liens forts et privilégiés avec sa voisine. C’est particulièrement vrai pour les pêcheurs français, privés d’accès aux eaux britanniques depuis la baisse du nombre de licences accordées par Londres. Les professionnels ayant moins de zones à leur disposition, un plan de sortie de flotte a été monté par le gouvernement : les entreprises de pêche envoient à la casse certains bateaux en échange d’une indemnisation. Sur les 90 navires détruits, soit 3 % de la flotte nationale, la moitié sont Bretons.

Nous avons vu des conséquences économiques immédiates au Brexit”, a confirmé de son côté Daniel Leca, vice-président des Hauts-de-France. L’élu est bien placé pour témoigner : 80 % des échanges de marchandises entre la Grande-Bretagne et le continent passent par les Hauts-de-France. Un flux routier massif qui représente 12 000 camions par jour. Le retour des contrôles des importations a bouleversé ces échanges. “A Saint-Malo, nous sommes redevenus un poste-frontière”, a en effet témoigné Stéphane Perrin-Sarzier. Brittany Ferries, première entreprise de transport maritime, en a subi les conséquences. En 2022, la compagnie a perdu 27 % de son activité de fret et 35 % de ses passagers par rapport à 2019.

Plus largement, le représentant du Comité européen des Régions Matthieu Hornung a rappelé que d’autres territoires, plus éloignés de nos voisins britanniques, avaient aussi été touchés par le Brexit. De nombreux émigrés polonais sont par exemple retournés dans leur pays d’origine. En Allemagne, le Land de Hesse a également été en première ligne : le Royaume-Uni représentait 7,5 % des exportations régionales avant sa sortie de l’UE.

Mais en matière d’industrie, de pêche comme de tourisme, il est parfois difficile d’évaluer les difficultés qui relèvent des conséquences du Brexit et celles qui découlent de la pandémie de Covid-19, comme le fait remarquer Elise Wattrelot, secrétaire exécutive de la commission Arc atlantique de la CRPM.

Macro-Régions et Interreg

Afin de combler les besoins de financement pour les porteurs de projet et pour trouver un nouvel espace de coopération, cette commission géographique défend la création d’une “macro-région” en Atlantique. Celle-ci réunirait les territoires côtiers de l’Irlande au Portugal, en passant par la France et le Royaume-Uni afin de coopérer sur des projets concrets. Quatre stratégies macro-régionales européennes existent déjà : en mer Baltique, autour du Danube, dans les régions Adriatique et Ionienne, ainsi que dans les Alpes. Autant de macro-régions auxquelles participent la Suisse, la Moldavie ou la Norvège… des pays non-membres de l’Union européenne.

Sur la période 2021-2027, la Bretagne, la Normandie et les Hauts-de-France ont par ailleurs intégré le programme de l’UE Interreg Mer du Nord. Doté de plus de 170 millions d’euros, il comprend le territoire flamand en Belgique, les Pays-Bas, le Danemark ou encore une partie de la Suède. Là aussi, la Norvège participe à cette coopération.

Des Etats tiers peuvent en effet être associés à des programmes de l’UE. Ce qui n’a pas échappé à Londres, récemment revenu par la petite porte. Début septembre, le gouvernement de Rishi Sunak et la Commission européenne ont conclu les négociations pour réintégrer le Royaume-Uni à deux programmes : Copernicus, qui finance l’observation de la Terre depuis l’espace, et Horizon Europe, le programme européen de recherche et d’innovation. Une bonne nouvelle pour les centres de recherche, les laboratoires et les entreprises qui avaient vu s’arrêter net leurs perspectives de coopération scientifique et économique.

L’Union européenne a mis sur pied une “Réserve d’ajustement au Brexit” (RAB) afin de compenser les effets du départ du Royaume-Uni sur l’économie des Etats membres… et de leurs régions.

Sur les 5,4 milliards dont est doté l’instrument depuis 2021, la France devait bénéficier de 736 millions d’euros. Devant le manque de projets validés dans le cadre de la Réserve, l’Etat a décidé de réorienter environ 500 millions vers d’autres initiatives, notamment en ce qui concerne l’énergie dans le contexte de la guerre en Ukraine. La date limite de l’utilisation des fonds de la Réserve d’ajustement au Brexit étant fixée au 31 décembre 2023, la France risquait de perdre ces crédits européens.

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