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Thomas Gomart : “Pas d’avancée majeure au dernier sommet UE-Russie”

Le Sommet UE-Russie des 1er et 2 juin n’a pas donné de résultats concrets. Facilitation des visas, entrée de la Russie à l’OMC, nouvel accord de partenariat, étaient au coeur des négociations… mais aussi, par la force des choses, l’assaut israélien contre la flottille de la liberté : Herman Van Rompuy et Dmitri Medvedev ont ainsi lancé un appel commun pour lever le blocus de Gaza. Thomas Gomart, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), revient sur ces évènements.

Touteleurope.fr : Dirigeants russes et de l’Union européenne se sont retrouvés en Russie pour leur 25e sommet commun : quels en étaient les enjeux ?

Thomas Gomart :

Lundi 1er et mardi 2 juin 2010 avait lieu à Rostov-sur-le-Don (Russie) le 25e sommet UE-Russie, dirigé par le président du Conseil européen Herman Van Romuy et le président russe Dmitri Medvedev. Depuis juin 2008, ces rencontres semestrielles ont pour objectif de renouveler l’actuel Accord de Partenariat et de Coopération entre les deux parties.
Il s’agit du 25e sommet semestriel entre l’Union européenne et la Russie, et on assiste à une forme de routine. Pour la première fois cependant, l’Union européenne se présentait dans sa configuration “post-Lisbonne” , avec une délégation présidée par Herman Van Rompuy, qui traduit ces changements institutionnels et la volonté européenne d’apparaître comme un acteur international.

Les principaux enjeux sont toujours les mêmes. Il s’agit des conditions du nouvel accord entre l’Union européenne et la Russie, qui est toujours en cours de négociation depuis maintenant 2 ans. Celui-ci achoppe sur un certain nombre de questions, parmi lesquelles le régime des visas, le transit énergétique, les droits de propriété intellectuelle…

Ces questions restent suspendues pour des raisons à mon avis politiques : l’Union européenne subordonne la conclusion du nouvel accord à l’entrée de la Russie dans l’OMC et, à l’inverse, le pouvoir de négociation de la Russie vis-à-vis de l’UE s’est en partie renforcé ces derniers temps. La crise économique et politique que traverse l’UE et la relativisation du poids de l’Europe dans la politique étrangère russe y ont fortement contribué.

Touteleurope.fr : Les résultats du sommet sont-ils satisfaisants ?

Thomas Gomart : Il n’y a pas d’avancée majeure, si ce n’est la porte ouverte par Dmitri Medvedev à l’entrée de la Russie dans l’OMC, qui est selon ce dernier une priorité. De plus, le président russe ne ferme pas la porte à une union douanière avec la Biélorussie et le Kazakhstan : or ces trois pays rejoindraient l’OMC conjointement ou, ce qui est un point important, séparément.

Touteleurope.fr : Pourquoi la question des visas est-elle importante ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’accord sur ce point ?

Chercheur et directeur du centre Russie/NEI à l’Institut français des relations internationales (IFRI), Thomas Gomart est l’auteur d’un récent article intitulé “L’Europe dans la politique étrangère russe : nécessaire, mais plus suffisante”, dans la collection numérique Russie.Nei.Visions.

Thomas Gomart : La question des visas a une importance symbolique très forte pour l’opinion et les élites russes : il s’agit de donner l’impression aux Russes qu’ils appartiennent à l’espace européen. Il s’agit d’accords de facilitation bilatéraux et pour certains types de population : visas d’affaires, de recherche, etc.

Cette question reste la carte maîtresse de l’UE et une manière de souligner le décalage démocratique entre les deux parties, et de rappeler à la Russie que l’espace Schengen est gouverné par un respect des libertés publiques et de la personne.

Ces négociations sont complexes et à plusieurs niveaux : il y a un emboîtement entre ce qui se passe dans le cadre de l’UE et de la Russie, entre la Russie et l’OMC, dans le cadre de l’OSCE et dans d’autres forums… Au fond, on a une puissance russe présente en tant qu’Etat dans toutes les institutions et qui joue sur les différents forums et les positions respectives des Etats européens dans ces forums.

Touteleurope.fr : Qu’est-ce que le “Partenariat pour la modernisation” de la Russie ?

Guerre de Géorgie :

Dans la nuit du 7 au 8 août 2008, la Géorgie intervient militairement contre les rebelles de la province séparatiste d’Ossétie du Sud. L’armée russe intervient à son tour dans la région contre la Géorgie, et stationne depuis dans un objectif de “maintien de la paix” . Le 16 août 2008 est signé, sous l’impulsion notamment de la présidence française de l’Union européenne, un cessez-le-feu.
Thomas Gomart : Le Partenariat pour la modernisation devient le nouveau slogan des relations entre l’UE et la Russie. Ce terme, apparu à l’automne 2009, permet d’essayer de se projeter à nouveau, c’est-à-dire tourner la page de la guerre de Géorgie et montrer la volonté des deux parties de franchir un seuil qualitatif dans leurs relations.

C’est également pour l’Union européenne un moyen de répondre aux discours internes du président Medvedev sur la nécessaire modernisation de l’économie russe et la nécessaire ouverture de la société russe. C’est une forme de slogan destiné à orienter la relation dans une optique plus prospective.

Ce partenariat vise à accompagner la Russie (avec toutefois une certaine prudence : tout ce qui est conseil venant de l’étranger peut être contre-productif dans l’appareil administratif russe) dans ses politiques de logement, d’éducation, de recherche… au fond, essayer de contribuer de l’extérieur aux efforts de diversification de l’économie russe.

Touteleurope.fr : Lundi 1er juin, l’UE et la Russie ont appelé conjointement à mettre fin au blocus de Gaza. Quelle influence peut avoir cet appel ?

Thomas Gomart : Compte-tenu du degré d’isolement du gouvernement Netanyahu, c’est très difficile à dire : on est dans une situation où Israël accentue son isolement diplomatique. Dans le même temps le Quartette pour le Proche-Orient (Etats-Unis, Russie, Union européenne, Nations Unies) semble, depuis plusieurs années, incapable de convaincre les autorités israéliennes de modifier leurs positions.

En revanche, on peut souligner l’importance que revêt, de manière bilatérale, l’influence russe sur Tel-Aviv. On a une relation entre la Russie et Israël très substantielle, souvent sous-évaluée par les Européens, qui s’explique par le poids des russophones en Israël et par une coopération en matière de sécurité. Le canal bilatéral Moscou - Tel-Aviv peut, éventuellement, contribuer à faire passer un certain type de messages.

Il est donc difficile d’estimer l’impact que cette déclaration peut avoir, mais la voix de la Russie trouve un écho dans certains domaines en Israël.

Touteleurope.fr : l’UE et la Russie ont-elles les mêmes intérêts au Proche-Orient ?

Thomas Gomart : Les intérêts des Russes et des Européens vis-à-vis du Proche-Orient sont proches mais ne coïncident pas toujours : la Russie cherche à parler à l’ensemble de la région et entretient directement des relations avec le Hamas, a reconnu les élections de 2007 (ce qui offre une notoriété diplomatique au Hamas) et a des relations de sécurité (via des ventes d’armes) avec la Syrie et l’Iran… autrement dit, la position russe est à équidistance entre Israël d’un côté, la Turquie, la Syrie, l’Iran, dans une moindre mesure l’Arabie Saoudite, de l’autre.

Il y a donc parfois une proximité, mais pas une totale coïncidence d’intérêts : pour exister au Moyen-Orient la Russie cherche à se différencier des Etats-Unis et des Européens.

Touteleurope.fr : Herman Van Rompuy s’est dit préoccupé par la question des droits de l’homme en Russie : véritable détermination ou pure question de forme ?

Thomas Gomart : Je répondrais “Un peu des deux” ! Il y a effectivement une question de forme : dans toutes les déclarations il y a toujours le paragraphe sur les droits de l’homme, qui permet d’assurer parfois le soutien des individus qui ont des difficultés avec les autorités russes.

Mais il y a également une question de fond : le régime de visas est un moyen de montrer que l’UE et la Russie ne partagent toujours pas la même culture politique. Une des difficultés est que pour les Européens, économie de marché rime avec démocratie, ce qui n’est pas le cas pour les autorités russes.

C’est effectivement une divergence entre les deux parties, qui explique encore la vigueur de certains différends.

En savoir plus :

Thomas Gomart : “L’Europe dans la politique étrangère russe : nécessaire, mais plus suffisante” , Russie.Nei.Visions

Thomas Gomart : “Pour Moscou, l’Europe a plusieurs visages” - Touteleurope.fr

EU-Russia : Partnership for Modernisation - Conseil de l’UE

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