Quel bilan tirez-vous du scrutin de juin 2009 ?
Il convient de dire d’abord un mot sur la question de la faiblesse de la participation. Sur ce point, les dernières élections européennes de juin 2009 ont été caractérisées en effet à nouveau par une forte abstention (43% en moyenne au sein de l’Union européenne). Au risque de surprendre, si ce niveau de participation n’est certes pas satisfaisant, il n’est pas catastrophique.
Dans son dernier ouvrage publié avec Yves Bertoncini, Thierry Chopin met en évidence les enjeux de ce scrutin. “Note de la Fondation Robert Schuman” , n°45, 2009.
Ensuite, cette relative faiblesse de la participation est somme toute assez logique pour des élections où les enjeux politiques ne sont pas aisés à percevoir : ces élections ne décident pas encore clairement du choix de l’exécutif mais de choix législatifs ; par ailleurs, ces derniers sont obtenus dans 2 cas sur 3 dans le cadre de larges consensus trans-partisans, même si des clivages politiques s’expriment de plus en plus nettement sur certains enjeux (par exemple socio-économiques). Autrement dit, sans visages ni clivages clairs, il devient difficile de susciter un intérêt civique important pour ce scrutin.
La social-démocratie européenne est la grande perdante de ces élections. Les scores remarquables de l’écologie politique en France ou en Belgique annoncent-ils, selon vous, une reformulation de l’offre politique en Europe ?
Tout d’abord, concernant les résultats de ces élections européennes, il me semble que l’offre politique a assez bien correspondu au contexte actuel. Dans le cas du PPE, le centre-droit et la droite ont représenté une sorte de valeur refuge dans le contexte de crise économique et financière que connaissent les pays européens. Dans une telle situation, on constate un retour des citoyens sur leur Etat mais aussi sur les gouvernements en place, et notamment ceux de droite, majoritaires au sein de l’Union (22 sur 27 aujourd’hui), qui incarnent les valeurs de protection et de sécurité. C’est dans ce contexte que les électeurs semblent avoir exprimé ce que l’on pourrait appeler un “choix de la stabilité et de la protection” .
Dans le cas de la gauche, l’offre socialiste ou social-démocrate n’est pas apparue convaincante du point de vue des réponses à apporter à la crise financière. Cela témoigne aussi sans doute d’une incapacité de la social-démocratie européenne aujourd’hui à définir la posture à adopter vis-à-vis de la mondialisation et de ses effets financiers, économiques et sociaux. Je crois que c’est ce qui peut expliquer le fait, en apparence paradoxal, que la social-démocratie européenne ne soit pas parvenue, sans mauvais jeu de mots, à “capitaliser” sur la crise ni à “tirer profit” de ses conséquences sociales. Par ailleurs, les bons scores des Verts, montrent que l’offre politique proposée par les écologistes est en effet en phase avec les enjeux de l’heure en matière environnementale et que l’échelle européenne apparaît comme le niveau d’action publique pertinent aux yeux de maints citoyens ; néanmoins, cette “percée” des Verts doit sans doute être relativisée si l’on considère que les élus écologistes sont issus de 14 Etats membres de l’UE seulement.
L’accord de grande coalition qui a été reconduit entre le PPE et le S&D en témoigne. Cet accord dit “technique” a pour objectif d’obtenir la majorité absolue (369 députés sur 736) et de se répartir les postes de responsabilité au sein du Parlement européen. Avec les 264 élus du PPE et les 184 députés S&D, les deux groupes (qui réunissent donc 448 députés) dépassent largement le seuil à atteindre pour obtenir la majorité absolue. Même si cet accord technique ne doit pas avoir d’impact politique sur la liberté de vote des différents partenaires de cette coalition, il est évident que la logique du consensus et la recherche de compromis trans-partisans demeureront très présents dans le fonctionnement du Parlement européen.
En France, on reproche souvent en effet au Parlement européen la culture du compromis qui y prévaut. Les accords de grande coalition à l’ “allemande” ne contribuent-ils pas au désintérêt croissant des citoyens pour cette élection ? Faut-il cliver les débats dans l’hémicycle ?
Il est vrai que la culture du consensus, placée au cœur du fonctionnement du Parlement européen, peut contribuer au relatif désintérêt civique pour les élections européennes, notamment dans les pays qui connaissent un régime politique reposant sur le système majoritaire (comme c’est le cas de la France), mais pas seulement. Il est à noter que cette culture du consensus découle de la volonté d’affirmation institutionnelle du Parlement vis-à-vis des deux autres points du triangle institutionnel (Commission et Conseil) depuis de plus de 30 ans maintenant, stratégie politique qui a été “payante” d’ailleurs, comme le prouvent la montée en puissance et l’accroissement des pouvoirs du Parlement européen au fil des traités. Néanmoins, deux éléments doivent être soulignés.
De tels clivages ont pu être relativisés pendant de nombreuses années, avec un Parlement européen dominé par une logique d’affirmation institutionnelle vis-à-vis de la Commission européenne et du Conseil, et qui s’appuyait sur une forme d’unité trans-partisane interne. Si cette logique d’affirmation institutionnelle n’a pas disparu, elle devrait désormais revêtir une dimension secondaire. A cet égard, l’un des enjeux de la législature qui s’ouvre sera de confirmer que le Parlement européen et, plus largement, le système politique de l’UE, ne sont pas des lieux monolithiques et imperméables au pluralisme des opinions mais qu’ils offrent des occasions régulières de débats et de confrontations partisanes, sur la base du rapport de forces qui vient d’être déterminé pour les 5 années à venir. C’est d’abord parce qu’ils seront davantage informés de la nature des votes exprimés par leurs représentants directs et les formations politiques auxquels ils appartiennent que les citoyens pourront mieux décrypter les enjeux politiques européens et être incités à suivre davantage la vie politique européenne. La responsabilité des partis politiques et des médias est naturellement première pour mettre en évidence l’existence de tels clivages politiques.
Par ailleurs, et c’est le second élément, la nouvelle législature qui s’ouvre pourrait être l’occasion pour les députés élus de déterminer si les logiques partisanes peuvent davantage prévaloir au cours de la législature 2009-2014. Certes, le renforcement de la logique d’affirmation des clivages partisans dépend d’abord de la nature des résultats qui sont sortis des urnes. Or, les dernières élections de juin 2009 n’ont pas accouché de résultats suffisamment nets pour que puisse se constituer une majorité cohérente (en l’espèce entre le PPE-DE et l’ALDE), notamment pour l’attribution des postes de présidents du Parlement et d’autres postes importants. C’est donc à nouveau une entente entre le PPE-DE et le PSE (devenu “S&D”) qui a prévalu au moment de l’attribution récente des postes importants. Cette entente n’empêche pas que ces deux partis pourront s’opposer ensuite au moment de certains votes, mais elle nuit à la visibilité politique du fonctionnement du Parlement aux yeux des citoyens.
Les députés européens doivent en effet souvent se prononcer à “la majorité” , voire même parfois atteindre 2/3 des suffrages exprimés. Même si le taux d’absentéisme lors des votes n’est pas énorme (de l’ordre de 10% à 20%), et même souvent meilleur que celui enregistré dans les parlements nationaux, de telles règles de vote élèvent le seuil nécessaire pour constituer une majorité politique et poussent mécaniquement à l’expression de choix trans-partisans.
L’existence de telles règles de vote est, en grande partie, liée au souhait de privilégier une logique consensuelle, qui permette en outre à l’ensemble des groupes politiques d’exercer une influence sur les décisions finales du Parlement. Considérer qu’il est désormais tout aussi important de favoriser l’expression de clivages plus clairs au moment des votes conduirait cependant à arbitrer en faveur de la modification de ces règles et à l’abaissement des seuils requis pour constituer une majorité, en optant le plus souvent possible pour la majorité simple des suffrages exprimés. Les “petits partis” représentés à Strasbourg pourront naturellement s’estimer lésés par une telle modification : leur influence n’en serait pourtant que peu réduite en réalité par rapport à celle qu’ils exercent actuellement, et dont le caractère limité découle logiquement du fait qu’ils ont recueilli un assez faible nombre de suffrages.
Il reste à déterminer si les principaux groupes du Parlement s’engageront en faveur d’une telle réforme, qui conduira à leur permettre à la fois de structurer autour d’eux des majorités de législature, mais aussi à réduire le nombre des votes pour lesquels l’appoint de leurs voix est indispensable. La plupart des règles de vote du Parlement sont fixées par les traités, et donc intangibles à court terme ; mais certaines d’entre elles sont fixées par le règlement intérieur, par exemple en matière de votes budgétaires : les futurs députés européens pourraient donc tout à fait décider d’amender ce règlement intérieur, avant de demander une révision ultérieure des traités. Cette transformation en deux temps permettrait au Parlement d’entrer plus franchement dans l’âge partisan, en donnant à ses choix une cohérence et une visibilité politique accrues aux yeux des citoyens qu’il a vocation à représenter.
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Dossier spécial : élections européennes 2009 - Touteleurope.fr
Analyse : une abstention massive, qui profite à la droite, aux écologistes et aux partis identitaires - Touteleurope.fr
Note de la Fondation Robert Schuman sur les élections européennes