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Qui est Sylvie Goulard, candidate malheureuse à la Commission européenne ?

[Portrait] Membre du Parlement européen pendant 8 ans, la Française Sylvie Goulard était, jusqu’au 10 octobre, candidate pour intégrer la prochaine Commission européenne avec le portefeuille du Marché intérieur. Mais ses deux auditions n’ont pas convaincu les députés européens.

Sylvie Goulard lors d'un séminaire de l'ADLE en 2012 - Crédits : Flickr Alberto Novi CC BY-NC-SA 2.0
Sylvie Goulard lors d’un séminaire de l’ADLE en 2012 - Crédits : Alberto Novi / Flickr CC BY-NC-SA 2.0

Effrontée” . C’est ainsi que Marianne décrit la candidate que la France avait proposé pour rejoindre la Commission européenne, dont l’impertinence est déjà connue de ses anciens collègues, à Strasbourg comme à Bruxelles. Choisie par Emmanuel Macron, Sylvie Goulard aurait du obtenir un portefeuille conséquent lors de la mise en place de la future Commission, prévue le 1er novembre. Elle s’était en effet vue confier la responsabilité du Marché intérieur par la nouvelle présidente de la Commission Ursula von der Leyen.

Cette ancienne diplomate, experte des affaires de l’Union et proche du président français, aurait ainsi gravi un échelon supplémentaire dans la politique européenne qu’elle connaît bien. Depuis sa sortie de l’Ecole nationale d’administration en 1989, elle a fait ses armes à la Commission, au Parlement, dans différents ministères mais aussi auprès de la société civile.

Comme ses homologues de 25 autres Etats membres, sa nomination supposait néanmoins le feu vert du Parlement européen qui lui a été refusé après deux auditions. La première, mercredi 2 octobre, lui a permis de faire valoir son profond engagement européen. Mais sa défense concernant deux affaires susceptibles de gêner son mandat fut jugée trop légère : son passé de “conseillère spéciale” rémunérée par l’institut Berggruen, un think tank américain, alors qu’elle était députée européenne, et le financement de son ancien assistant parlementaire plusieurs mois après qu’il avait quitté ses fonctions. C’est en raison de cette dernière révélation, qui fait toujours l’objet d’une instruction judiciaire visant plusieurs élus MoDem, que Sylvie Goulard avait préféré démissionner de son éphémère poste de ministre de la Défense en juin 2017.

Du berceau aux bancs de l’ENA, une jeunesse internationale

Il faut cultiver notre jardin européen. Titre donné à son essai publié en 2008, ce détournement d’une citation de Voltaire résume assez bien les débuts de Sylvie Goulard. Ses racines sont à Marseille, où elle naît en 1964 d’une famille d’origine italienne - son nom de jeune fille est Grassi. Après avoir grandi en France, elle effectue un échange scolaire en Allemagne, premier de nombreux voyages outre-Rhin. Elle en profite pour perfectionner sa pratique de l’allemand, langue qu’elle maîtrise aujourd’hui parfaitement au même titre que l’italien et l’anglais.

Bachelière à 15 ans, cette brillante lycéenne s’engage dans des études de droit dans le sud de la France, avant de bifurquer vers Sciences Po Paris. Ce départ pour la capitale marque son entrée dans le cursus honorum de la haute fonction publique française, avec une admission à l’Ecole nationale d’administration (ENA) à 22 ans. Elle partage alors ses salles de classe et ses heures de travail avec François Delattre, futur poids lourd de la diplomatie (ancien représentant de la France à l’ONU, il est aujourd’hui secrétaire général du ministère des Affaires étrangères), mais également avec Jean-François Copé et Nicolas Dupont-Aignan. Ce dernier, plus connu pour son euroscepticisme, voyait déjà en elle “une européiste forcenée” , relate L’Obs.

La rencontre la plus importante qu’elle fera au sein de la promotion “Liberté-Egalité-Fraternité” sera sans doute celle du futur conseiller d’Etat Guillaume Goulard, qui deviendra son mari et le père de ses trois filles.

Une conviction européenne entretenue

Son séjour à l’ENA la propulse au ministère des Affaires étrangères, à une époque où ce dernier est en recherche active de germanophones et, dans la mesure du possible, de germanophiles. En 1989, la chute du mur de Berlin bouleverse en effet la diplomatie française et européenne et les deux Allemagne sont au bord de la réunification. Sylvie Goulard participe ainsi à l’élaboration du traité permettant l’intégration de la RDA par la RFA, et garde de cette mission allemande un attachement fort à ce pays, une connaissance aigüe de ses rouages, et par-dessus tout, un réseau important.

Cette expertise du couple franco-allemand lui permet, au cours des dix ans qui suivent, de naviguer de postes en postes : dans les années suivant le Traité de Maastricht, elle passe du Conseil d’Etat au Centre d’Etudes des Relations Internationales (département de recherche de Sciences Po), sans oublier de nouveau le Quai d’Orsay.

Le tournant du millénaire l’envoie à Bruxelles, où elle intègre l’équipe des conseillers politiques du président de la Commission européenne, Romano Prodi. Elle y suit de près la Convention sur l’avenir de l’Europe, qui débouchera sur la rédaction du Traité Constitutionnel, et y fait la rencontre du futur président du Conseil italien Mario Monti, alors commissaire à la Concurrence. Sa proximité intellectuelle et politique avec l’ancien universitaire débouchera, une décennie plus tard, sur la rédaction commune d’un livre, De la démocratie en Europe.

Le temps passe, les élections européennes de 2004 arrivent et, avec elles, le renouvellement de la Commission, désormais présidée par le Portugais José Manuel Barroso. Sylvie Goulard quitte alors Bruxelles et, de retour à Paris, se consacre à l’écriture. Celle qui n’est encore qu’une “techno” peu politisée se positionne ainsi contre l’adhésion de la Turquie à l’UE dans son ouvrage Le Grand Turc et la République de Venise.

Le débat politique oui, mais les rivalités de partis, pas encore. C’est alors au Mouvement Européen qu’elle trouve sa place : cette association fédéraliste promeut le débat d’idées sans logique partisane. En 2006, cherchant à réformer la section France du mouvement, elle milite pour l’élection de son président par les militants. Celui qui était alors à sa tête, un certain Pierre Moscovici, ne voit venir que trop tard le coup de maître de Sylvie Goulard qui lui ravit le poste. Voir Sylvie Goulard lui succéder à nouveau, au poste de commissaire français cette fois-ci, aurait-il réveillé chez lui un mauvais souvenir ?

Une “techno” impertinente et indépendante

Trois ans à la tête du Mouvement Européen - France ont parachevé l’engagement européiste qui caractérise Sylvie Goulard en 2009, dont les convictions cherchent une concrétisation politique. Approchée par François Bayrou à l’aube des élections européennes de 2009, elle accepte de prendre la tête de la liste du MoDem dans la circonscription de l’Ouest, où elle est élue.

Moins techno, plus politique, la nouvelle arrivée au Parlement européen se fait rapidement remarquer au sein du groupe de l’Alliance des Démocrates et Libéraux pour l’Europe (ADLE) pour son expertise mais aussi ses contacts haut-placés. Avec le libéral belge Guy Verhofstadt, les écologistes franco-allemand Daniel Cohn-Bendit et belge Isabelle Durant, elle fonde en 2010 le groupe Spinelli, qui cherche à promouvoir les idées fédéralistes. Elle siège dans la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement où, fidèle à ses idées libérales, elle est l’artisane des sanctions budgétaires du six-pack pour les Etats ne respectant pas leurs obligations d’équilibre.

Réélue eurodéputée en 2014, Sylvie Goulard, qui n’est plus une novice en politique, entend bien faire passer ses convictions avant ses relations. Déjà brouillée avec François Bayrou depuis la campagne de 2009, elle s’oppose au président du groupe libéral Guy Verhofstadt fin 2016. Alors que le groupe libéral souhaite présenter un candidat à la présidence du Parlement - et que Guy Verhofstadt se verrait bien endosser ce rôle - Sylvie Goulard refuse de voir un énième “vieux monsieur blanc” briguer les hauts postes de l’Union. Elle se présente donc face à lui, sans succès. Nouvelle querelle quelques mois plus tard, lorsque l’ancien Premier ministre belge se prononce pour l’adhésion de l’inclassable Mouvement 5 Etoiles au groupe centriste du Parlement. Inacceptable pour Sylvie Goulard, que l’engagement européen mitigé du parti italien ne convainc pas.

Cette indépendance n’a pas manqué d’irriter au sein du MoDem. Vivement critiquée par les proches de François Bayrou, celle qui se montrait déjà plus proche de Daniel Cohn-Bendit, tête de liste écologiste en 2009, que de son propre parti, rejoint rapidement les rangs du tout nouveau mouvement “En Marche !” dès 2016. Conseillère “Europe” du candidat Macron pendant la campagne présidentielle, elle joue les agents de liaison entre l’équipe macroniste et les hautes sphères politiques allemandes, conduisant même à deux rencontres entre le futur président et la chancelière Merkel.

En guise de remerciement, l’européenne est nommée en mai 2017 au ministère… des Armées. Résultat des tractations avec le MoDem, le ministère des Affaires européennes revient à une proche de François Bayrou, Marielle de Sarnez. Si elle fait très rapidement la connaissance de son homologue allemande, une certaine Ursula von der Leyen, cette nomination reste un coup dur pour Sylvie Goulard, forcée de quitter son siège d’eurodéputée pour un poste très national. Michel Barnier ne la sent d’ailleurs “pas heureuse” à ce poste, et prédit qu’elle ne “restera pas six mois” . Elle claque la porte de l’Hôtel de Brienne trente-cinq jours après sa nomination.

Entre justice et institutions, son parcours chaotique des dernières années

Cette démission n’est pas une décision de confort pour autant. Elle est soupçonnée, comme plusieurs eurodéputés MoDem, d’avoir abusé de fonds européens en employant un assistant parlementaire qui travaillait en réalité pour le parti centriste. Si elle clame son innocence, son départ brutal est expliqué par une volonté de “démontrer sa bonne foi” sans entacher le gouvernement : “Vous imaginez un acte judiciaire me concernant en pleine opération militaire ou terroriste ? J’ai estimé que ce n’était pas possible” , explique-t-elle alors, dans des propos repris par Le Point. Le Parlement européen, qui mène son enquête interne, met au jour des “irrégularités mineures” . Sylvie Goulard rembourse l’argent controversé. Elle n’est pas mise en examen, et ne sera pas entendue par la police avant septembre 2019.

Sa décision entraîne également la chute de deux autres ministres issus du MoDem, François Bayrou et Marielle de Sarnez, libérant ainsi Emmanuel Macron de potentiels dissidents de sa majorité. Sylvie Goulard ne s’éloigne ainsi pas du président français : elle continue de jouer ses conseillères, comme lors de la rédaction du discours de la Sorbonne sur l’Europe du 26 septembre 2017, jusqu’à sa nomination comme second sous-gouverneur de la Banque de France. Elle retrouve à l’Hôtel de Toulouse les affaires économiques et monétaires, et l’angle européen et international qu’elle avait laissés au Parlement européen.

Poursuivant ainsi son parcours de haute fonctionnaire, Sylvie Goulard n’est pas inquiétée par les affaires dans lesquelles elle est mise en cause. Toutefois, son retour sous les projecteurs à la suite de sa candidature de commissaire européenne ravive les indignations : chez Les Républicains comme chez les Verts, on s’étonne de sa nomination.

L’enquête, en cours depuis deux ans, connaît en parallèle un nouveau souffle depuis début septembre, lorsque plusieurs personnalités du MoDem sont auditionnées par la police judiciaire. Sylvie Goulard est elle-même convoquée le 10 septembre, jour de sa nomination par la présidente élue de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, au portefeuille du Marché intérieur. Cette audition n’a pour le moment pas donné lieu à de nouveaux rebondissements judiciaires.

A cette affaire s’ajoute une activité de consultante pour le compte de l’Institut Berggruen, un think tank porté sur les questions de gouvernance, pendant son mandat d’eurodéputée. Sylvie Goulard affirme avoir participé à un groupe de réflexion sur les moyens de parvenir à une Europe unifiée. Des doutes subsistent cependant sur la réalité de sa contribution, qui lui a assuré pendant trois ans un confortable salaire de 10 000 € par mois. Enfin, Sylvie Goulard est critiquée en raison de sa proximité avec le milieu bancaire allemand, pour lequel elle est même accusée d’avoir “recopié mot pour mot” certains amendements.

Ajoutée aux deux autres affaires, cette influence supposée du lobby bancaire a couté à la commissaire désignée le vote d’approbation de plusieurs groupes politiques au Parlement européen.

En effet, ses convictions, son caractère rebelle et son expérience (très) européenne n’étaient plus à démontrer. Mais les 2 et 10 octobre, c’est de son intégrité que Sylvie Goulard a principalement cherché à convaincre les eurodéputés, qui lui avaient réitéré plusieurs questions par écrit entretemps. Si elle a reconnu des “erreurs” , le refus de Sylvie Goulard de promettre sa démission en cas de mise en examen n’a pas fait l’unanimité, et a entrainé le rejet de sa candidature à 82 voix contre 29.

Une seconde audition

La commission des Affaires juridiques n’avait pas relevé de risques de conflit d’intérêt à l’étude du profil de Sylvie Goulard. Mais le 2 octobre, la candidate a peiné à convaincre les groupes politiques du Parlement européen lors de sa première audition. Ses réponses parfois évasives aux questions relatives à son portefeuille ont également laissé perplexes les quatre commissions parlementaires qui l’auditionnaient.

Des précisions écrites lui ont donc été demandées pour le 8 octobre, qui n’ont pas satisfait les eurodéputés. Une seconde audition a donc été requise le jeudi 10 octobre, à l’issue de laquelle sa candidature a été rejetée.

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