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Pascal Perrineau : “Freiner l’extrême-droite passe par des politiques sociales, économiques et culturelles”

Hongrie, Suisse, Danemark, Pays-Bas, Parlement européen…Â les récentes élections ont semblé montrer que les partis d’extrême-droite avaient le vent en poupe. Pour Pascal Perrineau, professeur des universités à Sciences-po et spécialiste de l’extrême-droite française et européenne, la montée des forces nationalistes dans plusieurs pays d’Europe, révélatrice de profonds malaises, ne doit pas pour autant être surestimée.

Touteleurope.fr : Plusieurs élections récentes (européennes, municipales néerlandaises, législatives hongroises..) ont vu le score de l’extrême-droite progresser de manière significative. Assiste-t-on à une nouvelle ascension de l’extrême-droite en Europe ?

Principaux partis d’extrême-droite en Europe :

Autriche : Parti autrichien de la liberté (FPÖ) et Alliance pour l’avenir de l’Autriche (BZÖ) - respectivement 18 % et 11% aux législatives 2008.

Grande - Bretagne : Parti national britannique (BNP) - 6,2% aux européennes 2009

Belgique : Intérêt flamand (Vlaams Belang) - 11,9 % aux législatives 2007

Danemark : Parti populaire danois (Dansk Folkeparti) - 13,2 % aux législatives 2007

France : Front national (FN) - 10,5 % à la présidentielle 2007

Finlande : Vrais Finnois (Perussuomalaiset) - 10% aux européennes 2009

Hongrie : Alliance des Jeunes de Droite - Mouvement pour une meilleure Hongrie (Jobbik) - 14,7 % aux européennes 2009

Italie : Ligue du Nord (Lega Nord) - 8,53 % aux législatives 2008 et 10,2 % aux européennes 2009

Norvège : Parti du progrès (FrP) - 23 % aux législatives 2009

Pays-Bas : Parti pour la Liberté (PVV) : 16,9 % aux européennes 2009 et deuxième place à la Haye aux municipales 2010.

Pologne : Ligue des familles polonaises (LPR) - 8% aux législatives 2005

Suisse : Union démocratique du centre (UDC) - 29 % aux fédérales 2007


Pascal Perrineau : Il faut avoir une réponse modérée. Les situations de l’extrême-droite sont très différentes d’un pays européen à l’autre.


Dans certains on a pu voir récemment de réelles dynamiques : c’est le cas en Hongrie, où le mouvement Jobbik a dépassé les 15%, alors qu’il représentait moins de 3% des voix il y a quelques années.

C’est le cas également au Danemark, où le Dansk Folkeparti reste en permanence au-dessus de la barre des 10%.

En Norvège, le Parti du progrès, populiste et un peu particulier, compte désormais parmi les grands partis. En Suisse, l’Union démocratique du centre, également populiste et dirigée par Christoph Blocher, est devenue le premier parti suisse.

Dans tous ces pays on constate de fortes dynamiques : des partis d’extrême droite ou de type national-populiste se sont installés aux avant-postes.

Mais il ne faut pas projeter cette situation sur l’ensemble de l’Europe. L’extrême-droite est aujourd’hui quasiment inexistante, comme force électorale, en Allemagne, en Espagne, au Portugal, en Irlande, en Suède… En Grande-Bretagne le British National Party (BNP) reste une force marginale malgré quelques poussées. En Pologne, le mouvement de la ligue des familles catholiques, qui a constitué une force importante dans les années 2000, a remporté moins de 2% des voix aux dernières législatives.

En Autriche, la situation est plus complexe : le FPÖ avait connu une très forte poussée avec Jörg Haider, intégrant le gouvernement aux côtés des conservateurs. Puis l’extrême-droite a éclaté en deux partis. Mais aux dernières élections européennes et législatives, les deux partis d’extrême-droite ont cumulé 28 à 29% des suffrages : l’extrême-droite est donc revenue au premier plan en Autriche.

On a des situations contrastées en fonction des pays, et non une vague d’extrême droite qui s’étendrait de manière irrésistible sur tous les pays européens. Dans de nombreux pays elle représente une force significative, parfois s’invite dans le club des grandes forces politiques (au dessus de 20%), mais reste au dessus de 10% dans une minorité de pays européens.


Touteleurope.fr : Quelles sont les conséquences de la crise économique et sociale sur le score de l’extrême-droite ?

Pascal Perrineau : Les effets de désintégration sociale liée à la crise, mais aussi les effets de perte identitaire liées à la globalisation (économique, politique ou culturelle) semblent redonner un espace aux forces nationalistes comme celles de l’extrême droite.

On le voit par exemple avec le retour du Front national en France (à un niveau cependant inférieur à celui de la fin des années 1990 et au début des années 2000), qui s’enracine dans des terres très touchées par la crise économique et sociale, comme le Pas de Calais. En Hongrie également, où l’économie et la société souffrent particulièrement de la crise, une grande partie des citoyens touchés a pu se tourner vers le mouvement Jobbik et l’imposer comme l’une des principales forces politiques actuelles.


Touteleurope.fr : L’extrême-droite peut-elle faire un bon score lors des prochaines élections en Belgique, aux Pays-Bas… ?

Pascal Perrineau : Aux Pays-Bas il semble en effet, d’après les résultats des dernières élections municipales, que le parti pour la liberté (PVV) soit en forte hausse (en 2006 il était encore marginal avec moins de 6% des voix). Il fera certainement un score à 2 chiffres.

Mais plusieurs facteurs permettent de comprendre cette poussée : il y a bien la crise économique et sociale mais, depuis plusieurs années également, un malaise de segments importants de la population néerlandaise par rapport à l’immigration et, parfois, à un certain Islam relativement combattant dont sont porteurs certains secteurs minoritaires mais actifs de l’immigration sur le territoire des Pays-Bas.

Ainsi, ce pays très calme et consensuel a été brutalement frappé par la violence politique : l’assassinat de Pym Fortuin, de Theo Van Gogh… la société néerlandaise connait une très forte pression démographique, et ses équilibres et son identité sont perturbés par des flux migratoires importants et une cohabitation parfois difficile entre les différentes cultures. Ainsi, ce malaise offre au PVV une dynamique qui en fera certainement une force importante lors des prochaines législatives.

En Belgique, la situation est plus complexe : selon qu’on se situe en pays flamand ou wallon, l’extrême-droite n’a pas du tout la même force. En pays wallon, pourtant profondément touché par la crise économique et sociale, elle reste une force marginale : aux dernières législatives le Front national était à 2%. En revanche c’est en pays flamand qu’elle s’est implantée avec le Vlaams Belang, dont le score sera probablement encore important aux prochaines législatives. Mais cette force est une spécificité vraiment flamande, un héritage particulier du nationalisme flamand ultra.


Touteleurope.fr : Assiste-t-on à une radicalisation des droites européennes elles-mêmes, dont les politiques reprennent parfois les programmes de l’extrême-droite ?

Pascal Perrineau : Là encore, la situation est plus complexe qu’elle ne paraît. Dans certains pays la droite semble à l’abri de toute thématique d’extrême-droite : en Allemagne on n’a pas l’impression que la coalition autour d’Angela Merkel cède excessivement aux thèmes véhiculés par une extrême-droite allemande qui, de toute façon, sauf dans certains Länder de l’Est, est tout à fait marginale.

En revanche, dans d’autres pays bien sûr certaines forces d’extrême-droite ont pu contribuer à mettre à l’agenda ses thèmes classiques, en particulier sur le terrain de l’immigration et des politiques de loi et d’ordre… il s’agit bien d’une force indirecte, d’une capacité à façonner l’agenda politique et gouvernemental.

Touteleurope.fr : Que différencient et que rapprochent les partis d’extrême-droite en Europe ?

Pascal Perrineau : Ce qui les différencie, c’est d’abord le fait que ce sont des nationalismes, étroitement enkystés, enracinés dans des histoires et des mythes nationaux, qu’ils véhiculent et qui sont parfois profondément antagonistes. L’extrême-droite italienne a du mal à s’entendre avec l’extrême-droite autrichienne, l’extrême-droite allemande avec la française… je le dis régulièrement, il n’y a rien de plus difficile que de faire une internationale des nationalistes !

Aujourd’hui, le Parlement européen ne contient aucun groupe d’extrême-droite , et dans le Parlement sortant, le groupe dirigé par Bruno Gollnisch a été très éphémère, débouchant rapidement sur un affrontement entre Roumains et Italiens. On le voit aujourd’hui, les députés élus aux européennes de 2009 dans des listes d’extrême-droite ou de national-populisme se retrouvent, ou bien massivement chez les non-inscrits (c’est le cas du Front national), ou bien de manière isolée (le Danske Folke Parti) dans des groupes à dominante eurosceptique.

Ainsi on ne constate pas d’homogénéité politique, d’expression politique unifiée, de ces familles d’extrême-droite. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a aucun rapport entre tous ces partis.

Ceux-ci sont en général marqués par une préoccupation extrêmement élevée pour, et une capacité à politiser, deux enjeux : la sécurité et l’immigration. Certains observateurs voient ces partis revenus autour de l’enjeu anti-immigration, relativement négligé par les forces politiques de gauche comme de droite.

Deuxième élément : tous ces partis véhiculent un nationalisme avec une dimension ethnico-culturelle, qui chez certains peut dériver vers des positions xénophobes ou racistes. A des degrés divers, on retrouve chez tous cette sensibilité.

Assez souvent, ce sont des partis organisés autour d’un leader assez charismatique, qui manie avec une certaine facilité le discours populiste et démagogue : Jean-Marie Le Pen en France, Jörg Haider puis Heinz-Christian Strache en Autriche, Blocher en Suisse.

Enfin, au-delà du clivage gauche-droite il y a dans tous les pays européens, là encore à des degrés divers, ce que j’appelle un clivage entre sociétés ouvertes et sociétés du recentrage national. Devant les défis de la globalisation, certains segments de la société pensent être allés trop loin et souhaitent recentrer les politiques au niveau national, d’autres plus optimistes estiment que cette ouverture a des coûts mais qu’on y gagne plus qu’au recentrage national. Et à l’avant-garde des premiers, l’extrême droite n’a aucune difficulté à prôner des solutions rigoureuses de recentrage national et de dénonciation des constructions supranationales, en particulier de l’Union européenne.

Voilà les thèmes qui créent « l’unité » idéologique, programmatique et organisationnelle de ces partis.


Touteleurope.fr : Qui sont aujourd’hui les électeurs séduits par l’extrême-droite ?

Pascal Perrineau : Il y a en effet des constantes : un « portrait-type » de l’électeur d’extrême-droite en Europe serait :

  • Un homme : à travers des valeurs souvent machistes, les forces d’extrême-droite ont une grande capacité à parler à certains éléments de la population masculine.
  • Un électeur relativement jeune : il ne faut pas croire que l’extrême-droite séduit des personnes âgées nostalgiques des régimes autoritaires de l’entre-deux guerres, mais plutôt des jeunes en difficulté d’intégration sociale et professionnelle.
  • Un électeur de milieu populaire et ouvrier, dont le malaise économique et social est particulièrement important.
  • Un individu dont le niveau de diplôme ou d’éducation est plutôt moyen ou faible, et qui ne dispose pas des grilles d’interprétation permettant de donner du sens à ce qui change dans nos sociétés et nos économies, et donnant alors une large place à l’inquiétude et la « démonologie » que véhiculent l’extrême-droite.

Touteleurope.fr : Comment lutter efficacement contre la progression de l’extrême-droite en Europe ?

Pascal Perrineau : Il ne suffit pas de dénoncer les dérives de telle formation ou tel leader d’extrême-droite. Cette politique, qui peut aller jusqu’à la stigmatisation, s’est avérée la plupart du temps relativement inefficace. Agir en amont, sur les ressorts sociaux, économiques, culturels, qui nourrissent la dynamique électorale de ces partis, semble en revanche la meilleure solution.

C’est en étant présent au niveau des réponses à apporter à la crise économique et sociale dans les milieux populaires particulièrement fragilisés, et attentifs aux inquiétudes et interrogations identitaires de certains milieux, qu’on contribuera certainement à atténuer la dynamique de l’extrême-droite et faire baisser le niveau d’inquiétude sur lequel souvent prospèrent ces forces.

Enfin et on l’a vu, de la part des autres forces politiques, il s’agit d’avoir une attitude qui, sans être agressive, est claire sur les principes de l’action politique dans une démocratie pluraliste, et donc ne fait pas de concessions stratégiques à l’extrême-droite. Il s’agit alors d’être ferme sur les principes et les valeurs qui ont fondé d’ailleurs la dynamique de la construction européenne, et de revenir aux messages des pères fondateurs dans les années 1950.

En savoir plus

Page personnelle de Pascal Perrineau sur le site de Sciences-po

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