Le secret avait été bien gardé jusqu’au dernier moment. En dehors de quelques proches conseillers d’Ursula von der Leyen, personne ne savait quelle allait être la teneur du discours sur l’état de l’Union prononcé ce mercredi 13 septembre.
Pour la quatrième et dernière fois de son mandat, et pendant un peu plus d’une heure, la présidente de la Commission européenne s’est prêtée à cet exercice censé donner le ton pour l’année à venir. En 2022, le SOTEU (pour State of the European Union en anglais) avait ainsi été particulièrement scruté, notamment les annonces en faveur du soutien à l’Ukraine après l’agression russe et celles en faveur de la réduction de la dépendance énergétique.
Mais à neuf mois des prochaines élections européennes, la donne était cette fois un peu différente. Le bilan y prenait plus de place, l’Allemande assurant avoir traduit en actions “plus de 90 %” des orientations présentées en 2019.
Dresser le bilan et répondre aux interrogations
Sans trop de surprises, Ursula von der Leyen a rappelé dès le début de son intervention la tenue prochaine du scrutin européen, du 6 au 9 juin 2024. L’occasion pour les citoyens “de décider du type d’avenir et du type d’Europe qu’ils souhaitent”.
Elle est ensuite revenue sur les avancées de l’UE durant ses quatre années de mandat, marquées par des crises successives : Covid-19, invasion de l’Ukraine, crise énergétique et sociale qui en ont découlé… sans oublier le Brexit, loin d’être soldé au moment de sa prise de fonction.
Sur le Pacte vert, la défense de la démocratie ou l’élargissement de l’Union, les eurodéputés des différents groupes politiques attendaient des réponses. Si la présidente n’a sans doute pas levé toutes ces interrogations, elle a tenté de ménager le plus grand nombre de sensibilités. En témoigne l’utilisation fréquente du mot “dialogue” lors du discours.
En listant les avancées de son mandat, Ursula von der Leyen est longuement revenue sur la question de l’égalité femmes-hommes, évoquant par exemple la ratification par l’UE de la Convention d’Istanbul ou l’adoption de la directive sur la représentation des femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises.
Puis la présidente de la Commission européenne a fait passer un message clair : “Non, c’est non”. Cette dernière souhaite inscrire “dans la loi ce principe fondamental de lutte contre la violence à l’égard des femmes”. Etats membres et eurodéputés discutent actuellement d’une proposition visant à protéger les femmes victimes de violences. Mais les Vingt-Sept ont exclu le viol du texte, au grand dam du Parlement européen pour qui il s’agit d’une ligne rouge. Avec cette déclaration, Ursula von der Leyen a donc pris clairement position.
Garder le cap du Pacte vert…
Après un été record en termes de chaleur et des catastrophes naturelles d’ampleur (incendies, inondations) dans le sud du continent, qu’allait déclarer Ursula von der Leyen au sujet de son Pacte vert, la feuille de route environnementale de l’Union européenne ? D’autant qu’il a été récemment marqué par un épisode difficile : en juillet, l’un de ses principaux textes - la loi sur la restauration de la nature - avait failli dérailler, contesté par le Parti populaire européen (PPE), la propre famille politique de Mme von der Leyen.
Si elle n’a évoqué cet épisode qu’entre les lignes en “[rendant] hommage aux agriculteurs”, la présidente de la Commission a surtout insisté pour continuer à déployer le Pacte vert et maintenir le cap de la transition écologique. “Nous restons ambitieux. Nous nous en tenons à notre stratégie de croissance. Et nous nous efforcerons toujours d’assurer une transition juste et équitable”, a-t-elle souligné. Dans le détail, elle a notamment annoncé la mise en place d’un train de mesures en faveur de l’énergie éolienne.
Dans la foulée, elle a formulé la “promesse solennelle de ne laisser personne de côté”. Une déclaration qui fait écho aux craintes formulées par plusieurs membres de sa famille politique, à l’image de la présidente du Parlement européen Roberta Metsola (PPE). Dans une interview, la Maltaise avait récemment émis des craintes sur l’éventuel impact des règlementations environnementales sur le vote populiste.
… sans compromettre les entreprises et les agriculteurs
Consciente de ces critiques, Ursula von der Leyen a notamment tenté de rassurer les entreprises européennes. Dans le cadre du Pacte vert, elle a par exemple évoqué le lancement “dès ce mois” de dialogues sur la transition énergétique avec chaque filière industrielle.
Mais l’annonce la plus forte de ce discours intervient quelques secondes plus tard. Accusée par certains de se montrer trop clémente avec la Chine et ses pratiques anti-concurrentielles dans de nombreux secteurs, la présidente a expliqué qu’elle lançait “une enquête antisubventions sur les véhicules électriques en provenance de Chine”. “Les marchés mondiaux sont désormais inondés de voitures électriques chinoises moins chères. Et leur prix est maintenu artificiellement bas par d’énormes subventions publiques. Cela fausse notre marché”, avance-t-elle pour justifier cette décision.
Ursula von der Leyen a aussi consacré une importante partie de son discours à la transition numérique. Elle a notamment appelé de ses vœux la création d’un panel mondial sur l’intelligence artificielle, sur le modèle du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
En dehors des aspects de concurrence et du Pacte vert, la présidente de la Commission a identifié plusieurs problèmes majeurs pour l’industrie européenne, auxquels elle souhaite répondre au cours des neufs prochains mois. Consciente des pénuries de main d’œuvre et de compétences dans certains domaines, elle explique vouloir trouver des solutions en convoquant en début d’année prochaine les partenaires sociaux pour un sommet à Val Duchesse en Belgique, là où le dialogue social européen est né en 1985 sous l’impulsion de Jacques Delors. La cheffe de l’exécutif européen a également souligné l’impact de l’inflation sur les entreprises, notamment les PME, qu’elle souhaite accompagner. Elle veut ainsi diminuer de 25 % les obligations de déclaration qui pèsent sur ces dernières, tant au niveau européen que national.
Lors du vote sur la restauration de la nature, les tracteurs avaient pris place devant l’hémicycle strasbourgeois pour protester contre ce texte. Là encore, Ursula von der Leyen a voulu se montrer rassurante en exprimant “[sa] reconnaissance à nos agriculteurs” et en les remerciant “de nous nourrir jour après jour”. Elle souhaite impliquer ces derniers, particulièrement concernés par les impacts du réchauffement climatique, au sein d’un dialogue stratégique sur le futur de l’agriculture européenne.
Les questions migratoires devraient figurer à l’agenda européen dans les prochains mois. Dans son discours, Ursula von der Leyen a ainsi défendu le Pacte sur la migration et l’asile, actuellement en phase de négociation. “Un accord sur le pacte n’a jamais été aussi proche” a-t-elle déclaré, enjoignant au Parlement et au Conseil de le faire aboutir.
En outre, la présidente de la Commission européenne a indiqué que la Roumanie et la Bulgarie étaient, selon elle, prêtes à intégrer l’espace Schengen, alors que les deux pays avaient été recalés en décembre dernier.
Une Europe élargie et approfondie ?
Elément central du discours d’Ursula von der Leyen l’année dernière, l’Ukraine a également fait l’objet de déclarations durant cette édition. Après avoir rappelé l’ensemble des décisions prises par l’Union en faveur du pays et annoncé la prolongation du système de protection temporaire pour les réfugiés ukrainiens, la présidente de la Commission a souhaité lancer un message d’espoir.
Elle a ainsi souligné les “énormes progrès” effectués par l’Etat ukrainien en vue de rejoindre les Vingt-Sept. “Le futur de l’Ukraine est dans notre Union”, tout comme celui des Balkans occidentaux et de la Moldavie, a-t-elle martelé. “Dans un monde où la taille et le poids comptent, il est clairement dans l’intérêt stratégique et sécuritaire de l’Europe de compléter notre Union”, a ensuite répondu Ursula von der Leyen à ceux qui l’attendaient sur l’élargissement, sans donner plus de précisions sur un éventuel calendrier. Mais elle n’a pas caché que le principe d’une Europe à “30 ou à 35″, demain, était une réalité à prendre en compte, impliquant sans doute une évolution de la gouvernance européenne.
L’élargissement est-il l’ennemi de l’approfondissement de l’intégration européenne ? Pour Ursula von der Leyen, la réponse est claire : “nous pouvons et nous devons faire les deux”. Se déclarant ouverte à une modification des traités “si nécessaire”, elle a expliqué que son institution allait travailler “sur toute une série d’examens […] pour déterminer comment chaque domaine pourrait être adapté à une Union élargie”.
Dans sa conclusion, l’Allemande a affirmé que “l’avenir du continent dépend[ait] des choix que nous faisons aujourd’hui”. Un avenir (post-élections) avec ou sans Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne ? Si certains ont tenté de déceler ses intentions entre les lignes de son discours, la principale intéressée est (sans surprise) restée silencieuse sur cette question. Réponse définitive dans un peu plus de neuf mois. Pour le moment, le secret reste bien gardé.