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Les Trios présidentiels : “une mise en cohérence des stratégies européennes” selon Elvire Fabry

Elvire Fabry, chercheuse au Think tank “Notre Europe”, est une spécialiste des affaires institutionnelles européennes. Elle revient pour Touteleurope sur le fonctionnement des trios présidentiels. Ce système de troïka réunit trois Etats membres exerçant chacune à leur tour, la présidence semestrielle de l’Union autour d’un programme commun. Ce travail à trois devient une obligation avec le traité de Lisbonne.Â

Les Trios présidentiels : “une mise en cohérence des stratégies européennes”


1) Quel bilan pour le trio français, tchèque et suédois des présidences de l’UE ?

La volonté de définir un programme commun de 18 mois avait été expérimentée par le trio précédent (Allemagne, Portugal, Slovénie). Ce fut le premier trio. On en comprend bien l’utilité puisque ce système vise à assurer une continuité dans l’organisation des conseils et donc une meilleure coordination du travail des présidences.

Le trio qui s’est achevé fin décembre (France, République tchèque, Suède) était un trio particulièrement hétérogène, mais d’une certaine façon, il était représentatif d’une certaine diversité européenne. Ces trois pays ont en effet des intérêts très divers, notamment dans le domaine économique avec d’un côté la Suède très favorable au libre-échange et de l’autre la France tentée par des mesures protectionnistes. Sur différents enjeux, il y eut pas mal de sources de conflits possibles et le fonctionnement du trio n’a pas été évident.

Elvire Fabry

Diplômée d’un doctorat de science politique de l’IEP de Paris et titulaire d’un DEA de philosophie et d’un DEA de Relations Internationales de Paris I, Elvire Fabry est spécialiste des questions institutionnelles européennes, notamment de l’intégration politique, de la perception de la mondialisation et des enjeux de régulation liés au changement climatique.
La France a affiché dès le départ des objectifs ambitieux pour sa présidence. Elle a eu à cœur de montrer que ses méthodes de gestion de crise pouvaient changer la donne par rapport à la conduite des présidences précédentes. Dans la foulée, la République tchèque, qui a pâti d’une situation nationale fragile, est apparue particulièrement faible ; et les Français ne lui ont pas fait de cadeau.

Pour sa part, la présidence suédoise a dès le départ évité les effets d’annonce. Confronté aux dossiers très complexes de la crise économique et financière, de la poursuite de la ratification du Traité de Lisbonne et de la négociation du Sommet de Copenhague, Stockholm a privilégié la prudence, en n’affichant pas de grandes ambitions et en s’en tenant à une méthode pragmatique, qui engrangeait les résultats au fur et à mesure.

On attendait cependant beaucoup de la présidence suédoise sur les trois grands enjeux cités.

Concernant la façon dont elle a géré la ratification du traité de Lisbonne, on peut dire que si le référendum irlandais d’octobre a été une étape décisive, la présidence suédoise a bien su “transformer l’essai” en accélérant la négociation finale avec le président tchèque Vaclav Klaus.

Les choix du Président permanent du Conseil et du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune ont fait pour leur part, l’objet de critiques, notamment la procédure adoptée pour mener la négociation - jugée très opaque par de nombreux observateurs -. Mais, avec du recul, on estimera sans doute que ce choix rapide a été bénéfique pour la mise en œuvre accélérée des nouveaux outils du Traité de Lisbonne. Van Rompuy lui-même n’a pas attendu le début de son mandat le 1er janvier 2010 pour prendre des initiatives, comme notamment l’annonce d’un Conseil informel sur l’économie en Février 2010.

Sur le fonctionnement du trio, on peut dire qu’il y a bien eu au départ une tentative de programme commun. Mais, bien qu’il y ait eu beaucoup de rencontres en amont et certaines initiatives encourageantes comme le soutien de la Suède à la République tchèque lorsque celle-ci a été fragilisée par la démission du Premier ministre Topolanek en mars dernier, on n’a pas l’impression que le fonctionnement à trois ait toujours été très constructif… Il faut cependant tenir compte du texte de crise (économique et financière, Georgie, Gaza, …) dans lequel s’est inscrit le travail de ce trio. Il faut également rappeler que c’était encore une période d’expérimentation et que l’institutionnalisation de ce processus par le Traité de Lisbonne devrait inciter les pays des prochains trio à de réels efforts de coopération et coordination.


2) Quel bilan pour la présidence suédoise ?

Concernant la présidence suédoise, mis à part le dossier institutionnel que nous venons d’évoquer, l’autre gros dossier sur lequel elle était très attendue, est évidemment le Sommet de Copenhague, et ceci à double titre. C’était un dossier très important pour les Européens qui se sont déjà engagés en décembre 2008 sur les objectifs du paquet Energie-Climat. Ils attendaient de la négociation de Copenhague qu’elle leur permettre d’avoir le plus possible de visibilité sur le contexte international dans lequel va s’inscrire cette stratégie européenne.

Concrètement, qu’est ce que les autres sont prêts à faire ? Du coup, va se poser beaucoup plus clairement la question très sensible du volet économique de cette politique de lutte contre le changement climatique, c’est à dire quelle concurrence vont rencontrer les entreprises européennes en intégrant toutes ces nouvelles exigences environnementales et énergétiques ? Pour la Suède, l’accord de Copenhague était en outre un enjeu qui leur tenait particulièrement à coeur car les Suédois entendent maintenir leur position de leader dans le domaine environnemental.

Au lendemain du Sommet de Copenhague, la déception qu’a provoquée la déclaration finale porte sans aucun doute une ombre sur le bilan de la présidence suédoise, mais dans la conduite de la négociation finale, c’est en grande partie la présidence danoise du Sommet qui avait un rôle à jouer pour mener à terme cette discussion et par ailleurs, c’est en fin de compte les blocages des Etats-Unis et de la Chine qui sont largement responsables de la faible ambition de la déclaration finale.


3) Qu’attendre du prochain trio ?

Puisque le travail en trio devient une obligation avec le traité de Lisbonne, il ne peut plus être négligé. Il est d’autant plus nécessaire que malgré l’instauration de la présidence permanente du Conseil, on sait que la rotation des présidences du Conseil des ministres se maintient sur une base semestrielle et qu’un travail sur 18 mois permet d’assurer plus de continuité, plus de cohérence dans le fonctionnement institutionnel : c’est une mise en cohérence des stratégies européennes.

On peut sans doute estimer que le nouveau trio - espagnol, belge et hongrois - est plus cohérent que le précédent. Il affiche une réelle volonté de travail en commun. Le logo commun et le site Internet commun du trio ne sont sans doute pas symboliques.

Maintenant, en ce qui concerne le programme commun, il est vrai qu’il est difficile dans le fonctionnement d’un trio de pouvoir afficher un programme sur 18 mois auquel il pourra se tenir jusqu’au bout, notamment le dernier pays puisque les négociations des deux premiers semestres détermineront aussi largement le déroulement du troisième semestre.

Tel que se dessine le programme à venir, il y a quelques gros dossiers du trio qui correspondent à l’agenda institutionnel, notamment la mise en oeuvre du Traité de Lisbonne, la préparation d’une stratégie post-Lisbonne, dite UE 2020 et la préparation des futures perspectives financières de l’UE pour la période 2013-2020. En ce qui concerne la stratégie UE 2020, si le Conseil de printemps devait donner lieu au lancement d’une nouvelle stratégie, il semblerait que le retard pris pour mener un débat sérieux sur la question puisse inciter la présidence espagnole à reporter la présentation de cette stratégie lors du Conseil de Juin. A moins que le président permanent Herman Van Rompuy n’entende accélérer les choses lors du Conseil informel sur l’économie de Février 2010 …

Actuellement on a le sentiment que la Présidence espagnole se montre assez prudente sur les priorités de son programme. En ce qui concerne la mise en oeuvre du Traité de Lisbonne, le gouvernement espagnol entend démontrer que son rôle est d’abord de permettre un bon fonctionnement des nouvelles règles de Lisbonne. Plutôt que d’entrer dans un jeu de concurrence avec les deux nouveaux mandats de Herman Van Rompuy et de Catherine Ashton, le premier ministre espagnol Jose Luis Zapatero et son ministre des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, devraient s’efforcer tant que possible de s’effacer pour leur laisser respectivement la place qui leur permettra de s’installer dans le nouveau cadre institutionnel européen. Cependant Zapatero vient d’obtenir de Van Rompuy qu’il puisse participer à certains sommets du printemps 2010, dont le sommet UE-US. Il est sans aucun doute difficile de renoncer aux prérogatives que le Traité de Nice donnait à la présidence tournante de l’Union mais cela montre aussi que les nouvelles règles de Lisbonne incitent les différentes institutions à fonctionner de manière plus collégiale. L’influence du chef de gouvernement de la Présidence tournante sera plus discrète qu’auparavant mais restera déterminante par le biais de son Ministre des Affaires étrangères qui devrait présider le Conseil Affaires générales ou de son représentant permanent à Bruxelles. Il aura un rôle à jouer dans la préparation de l’ordre du jour des réunions du Conseil européen en coordination avec le Conseil Affaires générales. Il aura également, lorsque le président permanent l’y invite, à assurer un rôle de rapporteur des négociations des différentes formations du Conseil et enfin à contribuer à la préparation des conclusions du Conseil européen - en coordination avec le Conseil Affaires générales.

Par ailleurs, parmi les priorités de la présidence espagnole on notera le renforcement des droits des citoyens européens (notamment l’égalité hommes femmes, la lutte contre les violences conjugales, …) et le renforcement de l’influence de l’UE dans le monde puisque pas moins de dix sommets bilatéraux sont inscrits à l’agenda des six prochains mois, sans que sur les deux dossiers ils ne soient a priori évident de fixer des objectifs clairs à partir desquels sera évaluée la présidence espagnole à la fin du semestre prochain.


En savoir plus :

Présidence espagnole - Touteleurope.fr
Présidence suédoise - Touteleurope.fr
Notre Europe

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