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José Bové (Les Verts/ALE) : “Je suis toujours sur les mêmes colères, mais j’ai appris à travailler autrement”

Un an déjà ! En juin 2009 avaient lieu les élections européennes. Parmi les 736 eurodéputés élus, nombreux sont ceux qui faisaient pour la première fois leur entrée au Parlement européen. A l’occasion de cet anniversaire, Touteleurope.fr a rencontré un certain nombre d’entre eux. L’occasion de faire le bilan de douze mois de travaux, de joies, de déceptions et d’apprentissage.

Touteleurope.fr : Quel souvenir gardez-vous du soir de votre élection au Parlement européen ?

José Bové : Le soir de l’élection reste un moment un peu particulier car lié à la naissance d’Europe Ecologie et au très bon score que nous avons fait. Donc je garde le souvenir d’une soirée d’enthousiasme, où tout le monde était heureux. Et ceux qui étaient les plus heureux étaient finalement ceux qui avaient réussi à entraîner d’autres à être élus.

En effet, jamais nous n’aurions pu penser au moment où nous avons lancé la campagne des Européennes que 14 députés seraient élus ! Donc c’était un moment de joie et de grand bonheur.

Touteleurope.fr : Et quel souvenir gardez-vous de la ‘rentrée des classes’, de votre premier jour de prise de fonctions ?

J. B. : Fin juin 2009 nous avons découvert les bureaux, l’organisation, et cela ne m’a pas tellement surpris dans la mesure où j’étais déjà venu souvent à Bruxelles et à Strasbourg. J’avais même organisé à Strasbourg un congrès de la Confédération paysanne, et c’était la première organisation syndicale à faire son congrès dans l’hémicycle !

J’étais donc habitué à venir régulièrement depuis 20 ans me confronter au Parlement et aux institutions européennes. La vraie question était plutôt de savoir comment être efficace et comment, sur les thématiques qui nous étaient les plus chères, pouvoir jouer un vrai rôle. Là était le véritable enjeu.

Touteleurope.fr : Quelles fonctions occupiez-vous avant votre élection ? Continuez-vous à les exercer ?

J.B. : Jusqu’à mon élection j’étais agriculteur. J’ai été syndicaliste longtemps, porte-parole de la Confédération paysanne au niveau international. Il est évident qu’à partir du moment où j’ai été élu, j’ai arrêté d’exercer les responsabilités que j’avais pu avoir.

J’ai même fait le choix de me retirer de l’exploitation agricole où j’étais en GAEG, c’est-à-dire avec plusieurs associés, dans la mesure où cela n’avait pas de sens et que je ne pouvais pas être à la fois à Bruxelles et Strasbourg et sur l’exploitation. Je me suis donc retiré, ce qui a permis l’installation d’un jeune qui m’a remplacé.

Donc je suis député européen à plein temps et c’est ma seule activité.

Touteleurope.fr : Quel est votre meilleur souvenir de cette première année de mandat ?

J.B. : Il y a eu des satisfactions bien sûr au niveau de notre commission de l’Agriculture, et pour moi c’est quelque chose d’important. Je travaille actuellement sur un rapport sur le revenu des agriculteurs et j’espère évidemment qu’il sera adopté avec une grande majorité. Mais il s’agit de satisfactions sur la durée.

Je retiens un moment émouvant dans l’hémicycle qui est le jour où nous avons obtenu une majorité pour recaler l’accord Swift, qui est l’accord Europe/ Etats-Unis sur le secret bancaire. C’était un moment symbolique de l’autonomie du Parlement. Pour la première fois le Parlement accédait au pouvoir, pouvait réellement peser sur la discussion et affirmer son indépendance. C’était donc un grand moment de bonheur collectif.

Touteleurope.fr : Et votre pire souvenir, ou votre plus grande déception ?

J.B. : Je ne sais pas si j’ai eu des déceptions cette année. Bien évidemment on se dit que des fois les choses pourraient aller plus vite, et cela est enrageant. On a aujourd’hui la codécision, mais les chefs d’Etat n’assurent pas derrière. Donc on a l’impression d’une Europe un peu bancale, et ça c’est un peu une déception.

On a en effet un Parlement européen qui prend le pouvoir, qui devient un acteur central de l’Europe, et en face des chefs d’Etats et de gouvernement qui sont plutôt frileux et repliés sur eux-mêmes. Et quand les gens nous interpellent sur la gestion de la crise, on s’aperçoit bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas.

Touteleurope.fr : Arrivez-vous à faire le lien entre les citoyens, qui vous ont élu, et l’Europe ?

J.B. : C’est assez compliqué parce qu’en France nous sommes élus dans de très grandes circonscriptions. Je suis moi-même élu dans la plus grande circonscription française puisqu’elle regroupe l’Aquitaine, la région Midi-Pyrenées et le Languedoc-Roussillon.

Nous essayons bien sûr d’aller dans les différentes régions, de faire des réunions. Dire que l’on peut être partout en même temps serait mentir, mais nous essayons de le faire, plutôt à partir des thématiques sur lesquelles les gens nous attendent, et à partir de là d’apporter des réponses. Pour le moment, en un an, j’ai déjà fait pas mal de réunions mais c’est réellement à la fin du mandat que l’on pourra faire le bilan.

Mais il est vrai qu’il est compliqué pour les gens d’élire des eurodéputés qui doivent représenter l’ensemble des personnes de plusieurs régions. Et en même temps certains confondent le rôle d’eurodéputé et celui de conseiller régional, et nous interrogent sur des problèmes très locaux. Il faut donc aussi faire beaucoup de pédagogie pour expliquer ce qu’est le rôle réel du député européen.

Touteleurope.fr : Quel bilan tirez-vous de cette première année sur le plan du travail accompli ?

J.B. : On se rend compte que le temps de la démocratie est un temps qui est long. Sur les dossiers sur lesquels je travaille, je sais que les choses vont durer longtemps. Que certainement au bout des cinq ans on n’arrivera pas au bout. Mais avec ce mandat on aura participer à faire avancer les choses, et je crois que c’est important.

Nous sommes un peu à la croisée des chemins : est-ce que l’on va vers plus d’Europe, ou est-ce que l’on reste sur le nationalisme étroit, étriqué que l’on est malheureusement en train de vivre ? Et c’est un véritable enjeu.

Et puis j’ai la chance d’être élu à un moment un peu historique pour l’avenir de l’agriculture, puisque le PAC sera réformée en 2013, et que tout le travail législatif et réglementaire que nous faisons actuellement nous le faisons dans cette perspective, et pour moi c’est quelque chose de vraiment important.

Enfin, petit signe personnel, mais vraiment personnel, j’ai reçu vendredi 18 juin le commissaire européen à l’Agriculture Dacian Ciolos, dans le département d’où je suis originaire et dans le cadre de l’Appellation d’Origine Protégée ‘Roquefort’, à la fois sur la question de l’avenir de l’agriculture dans une région difficile et sur la question des AOC. Et quand on parle ‘Roquefort’ on pense bien entendu au boeuf aux hormones, le conflit, la sur-taxation, et ce qui a été il y a dix an un moment important dans cette bataille.

Je relisais des documents qui montraient que le premier vote au Parlement sur les hormones date de 1981, et à cette époque les députés avaient refusé les hormones dans l’élevage par 171 voix contre une. Ce qui montre qu’aujourd’hui on a gagné ce combat, les hormones sont interdites dans l’élevage, la prise en compte des questions sanitaires et environnementales est de plus en plus importante.

Pour régler la question des hormones et le conflit avec les Etats-Unis, on a commencé le combat dans nos fermes en 1980, et on a remporté la bataille en 2008. Cela montre que pour gagner il faut parfois attendre presque trente ans, mais qu’il faut être obstinés et continuer systématiquement à avancer.

Touteleurope.fr : Avez-vous l’impression d’avoir changé depuis un an, depuis votre arrivée au Parlement ?

J. B. : Il faudrait demander aux gens qui m’entourent ! Je n’ai pas l’impression d’avoir changé, mais je pense qu’on est toujours très mauvais juge de soi-même.

J’ai l’impression d’être toujours sur les mêmes colères, sur les mêmes envies d’avancer dans une certaine direction. Pour moi il s’agit de continuer mon engagement mais d’une autre manière en espérant pouvoir être aussi efficace ici mais ce qui veut dire aussi une autre façon de travailler.

Et c’est l’un des apprentissages les plus intéressant au Parlement : on ne travaille pas de la même manière. En effet on ne travaille pas dans une logique d’affrontement mais plutôt dans une recherche de compromis. Alors on n’arrive pas toujours à faire passer tout ce qu’on a envie de faire passer mais on arrive tout de même à avancer et à partager ses idées.

Et cela il faut l’expliquer dehors. Parfois lorsqu’une résolution est rendue publique, on me dit “mais tu as signé ça ? pourquoi cela ne va pas plus loin ?” . Et bien il faut comprendre que c’est déjà bien d’avoir réussi à faire signer ce texte parce que cela a été fait par consensus. C’est donc une manière très différente de faire de la politique.

Propos recueillis le 16 juin 2010

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