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Faut-il réformer les traités européens ?

Depuis 2009 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’Union européenne n’a pas révisé en profondeur ses traités. Alors qu’elle traverse de multiples crises, certaines voix se sont élevées pour réformer le fonctionnement de l’UE. Mais la proposition est loin de faire l’unanimité.

Maastricht, Amsterdam, Lisbonne… les traités européens ont connu plusieurs révisions depuis 1957
Maastricht, Amsterdam, Lisbonne… les traités européens ont connu plusieurs révisions depuis 1957 - Crédits : Carl Cordonnier / Commission européenne

Soulevée par des citoyens européens lors de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, la question de la réforme des traités de l’UE a récemment refait surface. Dans le rapport final de cet exercice de consultation citoyenne, les participants ont appelé à de nombreux changements – 49 propositions et pas moins de 325 mesures –, certains invitant à revoir le fonctionnement même des institutions.

Parmi ces points, on peut noter l’appel à revenir sur le vote à l’unanimité au Conseil, la volonté de donner au Parlement européen un droit d’initiative ou encore l’extension des domaines de compétences de l’UE à la santé, l’énergie ou la défense. Des apports qui nécessitent de revoir les fondamentaux de l’UE.

Une nécessité pour certains, une mauvaise idée pour d’autres. Une chose est sûre : compte tenu de la longueur du processus, cela reviendrait à ouvrir un vaste chantier.

Qui est favorable à une réforme des traités ?

“Il faudra réformer nos textes, c’est évident. L’une des voies de cette réforme est la convocation d’une Convention de révision des traités. […] J’y suis favorable”. Le 9 mai dernier, quelques jours après que les eurodéputés ont formellement exprimé leur soutien à une telle idée, c’est le président français Emmanuel Macron qui depuis Strasbourg a apporté sa pierre à l’édifice, appuyant certaines des propositions des citoyens européens. Avec un objectif qui doit les rassembler, selon le chef de l’Etat : “l’efficacité”.

Exactement un mois plus tard et dans le même hémicycle, le Parlement européen passait à l’étape suivante. Dans une résolution adoptée à une large majorité (355 voix pour, 154 contre et 48 abstentions), les eurodéputés ont appelé le Conseil européen à enclencher la procédure de révision des traités. Entretemps, le 13 mai, six Etat membres ont expliqué dans une déclaration commune soutenir le projet. “Nous restons en principe ouverts aux modifications nécessaires du traité qui sont définies conjointement”, peut-on y lire.

Réviser les traités, une idée qui ne date pas d’hier

L’idée de “réviser”, “renégocier” ou “réformer” les traités n’est pas nouvelle. En France notamment, les campagnes électorales de plusieurs partis y font explicitement référence. Si Emmanuel Macron s’y est récemment déclaré favorable, d’autres l’ont précédé, avec des projets parfois très différents.

Lors de la campagne présidentielle de 2017 notamment, le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon expliquait vouloir “renégocier les traités européens qui sont en train de nous étouffer”. Pour sa part, le candidat des Républicains François Fillon affirmait que “la réforme de l’Europe [était] une obligation vitale”. Malgré un champ lexical similaire, les positions des deux responsables sur l’issue d’un tel processus étaient assez éloignées. Le premier proposait ainsi un “changement de statut de la Banque centrale européenne”, qui “doit être engagée sur l’emploi ou le développement de l’activité, et pas seulement sur les prix”. Le second appelait quant à lui de ses vœux une “Europe politique”, centrée sur les questions migratoires et de sécurité.

Le souhait de changer le fonctionnement de l’UE n’est cependant pas l’apanage des décideurs politiques. Les propositions de chercheurs et spécialistes visant à modifier l’équilibre actuel des institutions pour instaurer plus ou moins de démocratie, de fédéralisme ou d’efficacité, sont légion.

Réviser les traités : pour quoi faire ?

Les objectifs des défenseurs d’une révision des traités sont divers. Certains souhaitent abolir, du moins limiter, la procédure du vote à l’unanimité au Conseil de l’Union européenne (voire la règle du consensus au Conseil européen). Actuellement, les domaines des affaires étrangères, de la justice, de la fiscalité ou encore de l’élargissement y sont soumis, conférant de facto un droit de veto à chaque Etat membre sur chaque projet qui en relève. “Nous avons vu, même dans cette crise ukrainienne, les conséquences du veto de la Hongrie sur les sanctions demandées à l’encontre de la Russie”, expliquait par exemple Enrico Letta à Toute l’Europe le mois dernier. Comme d’autres, ce dernier prône ainsi une réforme d’ampleur pour consacrer l’extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil de l’UE.

Autre réforme souvent évoquée : l’instauration d’un pouvoir d’initiative législative pour le Parlement européen. Aujourd’hui, c’est la Commission qui dispose du monopole sur ce sujet. Pour l’eurodéputé portugais Paulo Rangel (PPE, droite), “l’établissement d’un droit général direct d’initiative pour le Parlement est possible, souhaitable, et il répond à l’aspiration constitutionnelle d’une Europe plus légitime sur le plan démocratique”.

Le Parlement européen devrait par ailleurs “décider du budget de l’Union, comme le font les parlements au niveau national”, peut-on lire dans le rapport final de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.

Les propositions de cette dernière veulent également élargir les domaines de compétence de l’UE. Avec la pandémie de Covid-19 et l’invasion russe en Ukraine, “il est important que nous établissions une liste claire des domaines qui sont importants pour nous et pour les citoyens. En d’autres termes, une Union de la Santé et une Union de l’Énergie”, relaie ainsi l’eurodéputée allemande Gabriele Bischoff (S&D, gauche).

Les récents événements survenus en Ukraine ont par ailleurs alimenté les velléités de certains d’approfondir les questions de défense et de sécurité.

Pourquoi certains s’opposent à une révision des traités ?

Pour d’autres, les traités ne nécessitent pas d’être revus, du moins pas aujourd’hui. Telle est la position exprimée, le 9 mai dernier également, par 13 Etats membres : “Bien que nous n’excluions aucune option à ce stade, nous ne soutenons pas les tentatives inconsidérées et prématurées de lancer un processus vers un changement de traité”, expliquent ainsi la Pologne, la Roumanie, la Finlande, la Suède, la République tchèque, Malte, la Croatie, la Slovénie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, le Danemark et la Bulgarie dans une lettre commune. Car une réforme d’ampleur des traités doit passer par un long processus (voir encadré plus bas) pouvant accaparer les institutions et freinant alors d’autres dossiers.

Principal argument de ces derniers : “la façon dont l’UE a géré les crises de ces dernières années - y compris Covid-19 et l’agression actuelle de la Russie contre l’Ukraine - a clairement montré tout ce que l’UE peut faire dans le cadre du traité actuel”. En matière de santé par exemple, plusieurs initiatives ont vu le jour malgré une compétence limitée de l’UE : citons par exemple la création de l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA) ou le renforcement des mandats du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et de l’Agence européenne des médicaments (EMA).

Selon les opposants à la révision des traités, la majorité des recommandations formulées par les citoyens de la Conférence sur l’avenir de l’Europe ne nécessitent pas d’y toucher. Autre exemple des possibilités ouvertes par le traité de Lisbonne et mises en avant par les opposants à la réforme des textes : les “clauses passerelles”. Cette disposition permet “de passer au vote à la majorité qualifiée au lieu de l’unanimité dans certains domaines, à condition que le Conseil européen le décide à l’unanimité”, détaillait l’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker en 2017. Si ce dispositif n’a encore jamais été utilisé, plusieurs dirigeants européens l’ont mentionné avec insistance ces dernières semaines.

Autre motivation pour les détracteurs de la révision des traités. Le processus est très long (voir encart) et le résultat très incertain. Dans un débat sur RFI, Jérôme Creel, professeur à ESCP Business School, s’interroge ainsi sur un éventuel “risque de retour en arrière”. “Certains pays européens se mobilisent actuellement pour qu’il ne se passe rien au niveau européen”. Ce dernier explique qu’une révision des traités pourrait ne pas aboutir sur le résultat initialement escompté.

“Il ne faut pas que cette question casse l’unité qu’on essaie de préserver et qui est si précieuse dans la réaction à la crise en Ukraine”, complète Eulalia Rubio, chercheuse à l’Institut Jacques Delors dans la même émission. Dans une note rédigée pour la Fondation Robert Schuman, Eric Maurice écrit pour sa part : “C’est donc vers une révision des traités ciblée, et strictement encadrée, que pourrait s’orienter l’Union européenne, tout en examinant ce qui, dans les 326 mesures proposées, peut être mis en œuvre sans s’engager dans de longues discussions institutionnelles”.

D’autant que la dernière révision des traités a pu laisser un goût amer à certains. En 2005, la proposition de Traité constitutionnel européen (“traité établissant une constitution pour l’Europe” de son vrai nom) avait été rejetée par référendum par les Français et les Néerlandais. Deux ans plus tard, une nouvelle conférence intergouvernementale se penchait sur un traité simplifié, qui deviendra le traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009. A ce jour, il s’agit toujours de la dernière réforme des traités. La sera-t-elle encore pour longtemps ?

Comment réforme-t-on les traités ?

Une fois la demande de révision des traités effectuée par le Parlement (ou le gouvernement d’un État membre ou la Commission européenne), transmise au Conseil de l’UE puis au Conseil européen, ce dernier doit décider, à la majorité simple, s’il lance ou non une convention à cet effet. Celle-ci doit alors réunir les représentants des parlements nationaux, des chefs d’Etat et de gouvernement, du Parlement et de la Commission. Et tenter d’adopter une recommandation, par consensus, elle-même transmise à une Conférence composée des gouvernements des Etats membres. L’éventuelle révision des traités proposée par cette dernière devra alors être ratifiée par chaque pays de l’UE selon ses modalités propres, le plus souvent par voie parlementaire mais, dans certains cas, par référendum.

Cette procédure ordinaire s’applique lorsque le fonctionnement de l’UE est en jeu. Pour modifier les politiques européennes telles qu’elles sont définies dans les traités, il existe en revanche une procédure simplifiée : seul le vote à l’unanimité du Conseil européen est requis, sans convention ni conférence.

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    Lame

    /1/L’introduction d’un droit d’initiative législative pour les députés européens est essentiel : 1° Cela mettra le Parlement européen au standard de démocratie législative des chambres basses de la majorité des pays du monde, y compris des démocraties contrôlées ; 2° Les engagements des eurodéputés seront plus crédibles ; 3° On peut envisager une réduction des commissaires à 15, ce qui devrait accroître l’efficacité de la Commission.
    /2/Si l’on conserve la structure actuelle de la législature de l’Union, les députés européens devraient être groupés en délégation en fonction de leur nationalité. Le Parlement adopterait tout texte à la majorité relative des députés, puis à la majorité relative des délégations.
    /3/Il serait temps de rationnaliser le système de présidence. Les citoyens européens doivent pouvoir élire au suffrage direct un Président de l’Union qui sera le président du Conseil européen, de la Commission, du Conseil de l’Union en formation Affaires générales. Les autres formations du Conseil de l’Union serait présidée par un commissaire nommé par le Président de l’Union avec l’accord du Parlement européen. Le haut représentant de la PESD serait remplacé par un commissaire aux relations extérieures.
    /4/Pour clarification, le TUE de Lisbonne devrait définir la promotion du bien-être des peuples de l’UE comme l’édification d’une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. La promotion des valeurs et de la paix deviendraient les conditions de réalisation de cette objectif. La promotion de l”intérêt général par la Commission (art. 17) correspondrait à la promotion de la paix, de valeurs et du bien-être des peuples. Tous les autres objectifs mentionnés à l’article 3 seraient assimilés à des conditions de réalisation de la promotion de l’intérêt général de l’Union.
    /5/L’article 2 du TUE devrait spécifié que “L’identité commune des citoyens de l’Union est l’adhésion aux valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités, telles qu’elles sont définies par la Charte des droits
    fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à
    Strasbourg.
    /6/L’article 1 du TUE devrait alors préciser ceci : “Par le présent traité, les HAUTES PARTIES CONTRACTANTES instituent entre elles un pacte interétatique,
    ci-après dénommé « Union européenne » ou « Union », fondé sur une « citoyenneté de l’Union », sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et sur un cadre institutionnel auquel les États membres attribuent des compétences pour atteindre leurs objectifs communs.”