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En direct de Nagoya : vivez la conférence sur la biodiversité avec Sandrine Bélier

Cette semaine, Toute l’Europe vous fait vivre les négociations internationales sur la protection de la biodiversité grâce à Sandrine Bélier, députée européenne (Verts/ALE) membre de la commission Environnement, qui représente, avec d’autres collègues, le Parlement à Nagoya (Japon) depuis dimanche dernier. Contactée hier, elle revient sur ses premières rencontres et nous donne son sentiment quant à l’issue des négociations.

Le point sur l’avancée des négociations

Mercredi 27 octobre à Nagoya, la Belgique a décidé d’engager 10 millions d’euros dans le programme REDD+ contre la déforestation, suivie par le Japon qui a proposé de s’engager hauteur de 2 milliards de dollars sur 3 ans pour les stratégies nationales de sauvegarde de la biodiversité des pays du Sud. “Il s’agit là d’excellentes nouvelles : le Japon avance un chiffre intéressant et la Belgique montre par son action contre la déforestation que biodiversité et climat sont liés. A Nagoya, ces deux pays sont les premiers à montrer que la sauvegarde de la biodiversité passe aussi par des investissements publics” , s’est réjouit Sandrine Bélier.

Fin de semaine dernière, les négociations étaient bloquées sur le protocole ABS, qui concerne l’accès et le partage des avantages liés à la nature. Les négociateurs ont travaillé tout le week-end pour décider lundi qu’il y aurait un accord quoiqu’il arrive. S’il n’y avait pas d’accord, cela serait désastreux, et cela prédirait un échec des négociations futures à Cancùn (négociations sur le climat qui auront lieu en décembre, Ndlr), les deux étant intimement liés.

Mais outre le protocole ABS, il ne faudra pas négliger le travail sur le Plan stratégique pour la biodiversité (2020-2050). Là dessus, la Commission européenne est ambitieuse, et pousse les objectifs. Et pourtant, après les premiers jours de négociation on constate qu’ils ont déjà perdu beaucoup en ambition et en poids, notamment en ce qui concerne les objectifs chiffrés (le pourcentage des aires à protéger, la pêche ou encore les forêts) dont dépend la réussite de la future stratégie pour palier les échecs de la précédente.

Pour revenir sur le protocole ABS, la Commission a manifestement une position ambigüe : elle reste dans les limites du mandat que le Conseil lui a donné, mais elle le respecte presque trop strictement. La question de la rétroactivité de l’accord qui pourrait être signé est primordiale : les pays du G77 demandent une rétroactivité à partir de 1992, date à laquelle aurait dû être signé le protocole, pour réparer la biopiraterie et le pillage de la nature qui a eu lieu pendant huit ans. Sur ce point, la Commission refuse et ne veut pas discuter.

L’autre question est de savoir à quelles espèces le protocole s’applique. La position de la Commission est de l’appliquer au minimum : aux ressources génétiques mais pas aux dérivés (produits développés sur la base de ressources naturelles chimiques etc.). La présidence belge serait prête à aller plus loin, pour ne pas faire échouer les négociations. Mais ce n’est pas la présidence belge de l’Union qui décide puisque le Conseil a donné mandat à la Commission.

D’ailleurs, on voit que dans ces négociations l’Union européenne prend une vraie place sur la scène internationale. Et en même temps, l’ensemble des parties, Etats comme ONG, ne comprennent pas bien qui décide, quelle est l’institution phare, d’autant plus qu’il y a une délégation du Parlement qui est présente, qui discute, qui est organisée, et dont la position est plus ambitieuse que celle du Conseil. Elle satisfait ainsi plus de partenaires.

De plus, la Commission a mandat sur le protocole ABS mais pas sur les engagements financiers, et sur la stratégie l’Europe négocie mais cela relève des Etats, donc du Conseil. Sur la question du financement les choses sont bloquées au niveau de la Commission. Les ONG et les écologistes européens souhaitent que les Etats de l’OCDE s’engagent à hauteur de 0,3 % de leur PIB à financer leur politique de préservation de la biodiversité, mais cela est aujourd’hui à peine évoqué.

Comme pour Copenhague, on attend les ministres qui arrivent ce mercredi et pourraient débloquer la situation. Mais j’ai un peu peur que l’on s’oriente vers une fin de sommet identique : les négociateurs n’arrivent pas à sortir des aspects techniques de la négociation, attendent beaucoup des politiques en fin de semaine, mais a priori, à moins d’une surprise, et c’est ce qu’on espère, on voit difficilement comment sortir de cette situation de blocage. Il faut sortir avec un accord viable, chiffré, et non pas une simple déclaration d’intentions.

Des rencontres et des conférences notamment sur la biodiversité marine

J’ai animé mardi matin une conférence sur la biodiversité marine. C’était émouvant de se retrouver à la tribune, devant des collègues élus du monde entier. De même, lors des discussions que nous avons eues au sein des forums organisés pendant deux jours par Globe (association qui regroupe les parlementaires), j’ai constaté que nous portions tous, élus, des positions plus ambitieuses que ce qui est entrain de se négocier.

Sur la préservation des milieux marins (océans, mers, littoraux, mers intérieures et haute-mer), on a eu des exposés de scientifiques pour nous expliquer de quelle manière la mer s’appauvrit, des expériences de mise en application de protection d’espèces naturelles par Jérôme Bignon pour la France ou encore par des représentants des îles de Palau (Philippines) et du Japon. Cela m’a permis de rappeler les engagements du Parlement et de l’Union européenne sur la préservation de nos milieux marins, tel qu’énoncé dans la résolution du Parlement qui recommande de fixer des objectifs concernant les aires protégées et une politique de bonne gestion des ressources, dans nos eaux intérieures mais également en haute mer.

Nous avons appris lundi que le Brésil et le Mexique notamment bloquaient la compétence de la Convention de la biodiversité sur les eaux de haute mer. Comme ce sont des eaux internationales, elles peuvent légitimement être gérées au niveau international. Ces eaux sont des milieux naturels que l’on a un peu délaissés mais qui sont des potentiels de ressources de biodiversité absolument extraordinaires. Ce sont aujourd’hui des zones de non-droit qui, de fait, subissent des atteintes que l’on pourrait éviter avec un système de gestion adapté.

Aujourd’hui les zones protégées en haute mer représentent à peine 0,5 % de l’ensemble de la mer, sachant que l’on est sur un objectif situé entre 10 et 15 % sur l’ensemble des espaces marins. La haute mer est donc un enjeu primordial. Or, si le Brésil et le Mexique bloquent c’est parce que c’est en haute mer qu’il y a des potentiels de forage pétrolier importants. Ainsi, il y avait une position assez claire et unie sur ce point au sein de l’Union, mais l’Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni s’en sont désolidarisés.

Cette journée de mardi a également permis au Parlement, par la voix de Jo Leinen, d’interpeler de façon très diplomatique le gouvernement japonais sur sa politique de la pêche, et son impact sur la biodiversité marine. Le ministre japonais de l’Environnement a répondu un peu à côté, en plaidant que le Japon a une politique de préservation de son environnement marin, de ses zones côtières, qu’il s’est engagé à ne plus pêcher que les poissons adultes, etc. Mais une parlementaire chilienne a souhaité aller plus loin et a reposé la question, notamment sur la pêche d’espèces menacées et la position du Japon sur la CITES et la pêche du thon rouge. Puis un parlementaire allemand a insisté encore davantage en parlant plus ouvertement de la chasse à la baleine et au dauphin.

La réponse du ministre a été qu’il ne s’agit pas uniquement d’un problème politique, mais que cela engage aussi les pêcheurs et que c’est intimement lié à une tradition culturelle japonaise. Cela m’a rappelé les difficultés d’application de la directive Oiseaux en France, avec certains chasseurs qui invoquaient également cet argument culturel.

J’ai eu une conférence mardi soir avec les écologistes japonais et j’ai interrogé plusieurs personnes présentes sur la véracité de cet argument culturel. Sur la place de la baleine dans l’alimentation des Japonais, ils m’ont dit qu’au siècle dernier encore la baleine était une ressource alimentaire incontournable. Mais aujourd’hui, le Japon n’a plus aucun problème de subsistance : beaucoup de poissons sont importés, et la baleine est de moins en moins consommée. La réalité, comme on le voit dans ces négociations, c’est que la position ambitieuse telle qu’elle était définie suppose de prévoir un certain nombre de changements radicaux dans nos pratiques de pêche et agricoles, et dans nos systèmes de production en général.

L’objectif des dirigeants est d’adapter nos pratiques aux besoins de la planète sans pour autant bouleverser trop fortement nos habitudes. Pour moi, c’est vraiment un manque de courage et de cohérence de leur part que de préserver certains acteurs économiques pour des raisons électorales.


En savoir plus :

Sandrine Bélier : “A Nagoya, on obtiendra un accord global ou rien” - Touteleurope.eu

Toute l’Europe Le Mag, spécial lutte biodiversité - Touteleurope.eu

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