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Elections européennes : “Il s’agit moins d’un vote eurosceptique que d’un vote antisystème”

Front national en France, UKIP au Royaume-Uni, Parti du peuple au Danemark… la poussée des partis populistes aux élections européennes du 25 mai a fait la Une de nombreux médias, certains y voyant même une “vague eurosceptique”. Toutefois, tempère le politologue Olivier Costa, non seulement le camp pro-européen ressort incontestablement vainqueur du scrutin, mais de plus le rejet de l’Europe n’apparaît pas comme la motivation première des citoyens qui ont choisi d’élire des députés eurosceptiques.

Nigel Farage

Quelles sont les leçons à tirer du dernier scrutin européen ?



Olivier Costa est politologue, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du système institutionnel et politique de l’Union européenne.

Olivier Costa : Tout d’abord, il s’agit comme d’habitude d’un scrutin extrêmement contrasté. Avec 28 élections nationales, les résultats sont sans réelle homogénéité. Six des sept groupes politiques du Parlement européen peuvent revendiquer la victoire dans un ou plusieurs Etats membres, sans compter le Front National en France.

Les résultats peuvent être interprétés de trois manières. On peut conclure à la victoire de la droite, puisque c’est le PPE qui est majoritaire au sein du Parlement européen. Il prétend à la présidence de la Commission et bénéficie, sur ce point, du soutien des autres grands groupes.

On peut aussi conclure à la bonne résistance des sociaux-démocrates, qui perdent peu de sièges alors que le PPE en perd plus de 60. La gauche unitaire gagne, elle, une dizaine de sièges.

On peut enfin conclure au succès des eurosceptiques. Il est toujours difficile de les compter - cela dépend des critères choisis - mais on peut considérer que le nombre d’eurosceptiques “durs” va plus ou moins doubler, et estimer à 150 le nombre total de députés eurosceptiques.

Y a-t-il eu une “vague eurosceptique” lors des européennes ?

Olivier Costa : Non. Premièrement, cette poussée reste localisée dans un nombre limité de pays : France, Royaume-Uni, Italie, et dans une moindre mesure Pays-Bas, Autriche, Grèce, Danemark. Dans certains, ce sont les partis au gouvernement qui ont bénéficié d’un fort soutien de la population, comme en Italie ou en Allemagne. Et dans la moitié des pays, il n’y a pas eu de vote eurosceptique significatif.

Deuxièmement, il s’agit moins d’un vote eurosceptique que d’un vote antisystème. Pour la plupart, les partis qui ont remporté un vote eurosceptique n’ont pas fait campagne sur des enjeux européens mais nationaux. Si le Front national a fait 25% en France, c’est parce que le Parti socialiste et l’UMP ont un problème de crédibilité. Même chose au Royaume-Uni où le parti UKIP, soi-disant spécialisé dans l’anti-européanisme, a focalisé sa campagne sur des enjeux socio-économiques, sur le rejet des élites et de l’immigration, et moins sur le rejet de Bruxelles, qui est resté accessoire. Beaucoup de ces partis sont avant tout d’extrême-droite - ou d’extrême gauche - et populistes, et ne sont eurosceptiques que “par extension” : quand on rejette les élites, on le fait aussi au niveau européen. Et bien sûr, l’Union européenne symbolise particulièrement cet élitisme.

Comment expliquer la progression de ces partis dans plusieurs pays d’Europe ?

Olivier Costa : Il s’agit bien souvent d’une triple conjonction : une crise économique, une crise sociale et une crise politique. Dans beaucoup de pays, la logique est désormais l’alternance lors de chaque élection. Une partie importante de la population y est en voie de déclassement et subit une souffrance sociale. Elle ne sait plus à quel saint se vouer et se tourne vers les partis populistes. Ceux-ci n’ont pas de solutions, mais apportent une certaine satisfaction aux citoyens en mal de repères, en dénonçant des responsables.

Il y a également une crise de l’Union européenne, qui apparait comme le cheval de Troie de la mondialisation et la responsable des politiques d’austérité. Mais les enquêtes d’opinion montrent que seule une petite minorité de citoyens pense que les solutions à la crise passent par le démantèlement des institutions européennes.

Le taux important d’abstention dans l’ensemble de l’Union européenne permet-il également de relativiser le score des eurosceptiques ?

Olivier Costa : Pas du tout. Les abstentionnistes ne sont pas allés voter et ils ont tort : il faut prendre les résultats tels qu’ils sont. Aucun parti n’a appelé au boycott des élections, aucun milicien ne nous a empêchés d’aller voter et l’offre eurosceptique a été pléthorique. Donc il faut tenir le résultat de ces élections pour ce qu’il est, il est parfaitement légitime. Le taux de participation, certes faible, s’est malgré tout stabilisé par rapport à 2009. Donc relativiser le score des eurosceptiques au vu de l’abstention, c’est faire preuve d’une totale mauvaise foi.

L’Union européenne doit-elle entendre un message envoyé par les électeurs eurosceptiques ?

Olivier Costa : C’est le caractère un peu paradoxal de ces élections, qui les rend complexes à analyser. D’un côté, on envoie à Bruxelles des députés d’extrême droite et d’extrême gauche. De l’autre, la majorité sortante sort confortée de ces élections. Et le candidat à la présidence de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, aujourd’hui soutenu par les principaux groupes du Parlement, est l’incarnation même de l’austérité imposée par l’Eurogroupe, à l’époque où il en était le Président. Bien qu’il ait affiché une plus grande considération pour les questions sociales pendant sa campagne, je ne m’attends pas vraiment à un virage spectaculaire. Le Parlement, la Commission et le Conseil étant toujours à droite, la politique européenne restera donc de droite.

Les partis eurosceptiques peuvent-ils peser sur l’agenda du nouveau Parlement ?

Olivier Costa : Je ne m’attends pas à de réels changements. Tout d’abord, depuis 30 ans les eurosceptiques ont fait preuve de leur incapacité générale à s’organiser et à être porteurs de quoi que ce soit au Parlement européen. C’est particulièrement le cas pour l’extrême-droite. Le dernier groupe en date, constitué par Bruno Gollnisch en 2007, a volé en éclats au bout de moins d’un an, en raison de propos racistes de députés de l’Ouest vis-à-vis de ceux de l’Est… aujourd’hui encore ces partis sont marqués par de profondes divisions, les uns trouvant généralement les autres infréquentables.

Bien sûr, on peut distinguer trois catégories d’eurosceptiques. Ceux qui sont absents, comme Marine et Jean-Marie Le Pen, et qui ne risquent donc pas de peser beaucoup au Parlement européen. Ceux qui sont dans une attitude de protestation, comme le chef du UKIP Nigel Farage, qui prend la parole dès que possible pour faire des déclarations tonitruantes. Enfin, quelques eurosceptiques plus modérés, capables d’entrer dans le jeu parlementaire et de proposer un certain nombre de choses, par exemple pour imposer un meilleur contrôle de la Commission européenne. Je pense notamment au député danois Jens-Peter Bonde, qui était devenu un excellent spécialiste du fonctionnement de l’Union européenne, ou à certains conservateurs britanniques.

Mais, dans leur grande majorité, les députés d’extrême droite siègent quant à eux pour avoir un mandat et une immunité parlementaire, pour bénéficier de ressources et d’une tribune médiatique. Pas pour faire fonctionner le Parlement européen.

La deuxième raison vient de la mise en place au Parlement européen de procédures très élaborées, pour éviter les stratégies d’obstruction et les comportements excessifs d’un certain nombre de députés eurosceptiques, qui risquent désormais des suspensions. Le règlement intérieur a beaucoup changé depuis l’élargissement de 2004, en raison des excès de députés polonais de la Ligue des familles - qui avaient été jusqu’aux agressions physiques. On peut aussi remarquer que lorsque les eurosceptiques sont très mobilisés, les députés pro-européens parviennent souvent à s’entendre pour travailler en bonne intelligence et à faire front.

A défaut de peser sur le Parlement, quels sont les partis eurosceptiques qui parviennent à modifier l’agenda national ?

Olivier Costa : Le parti britannique UKIP s’est spécialisé dans les élections européennes, parce que le mode de scrutin leur est plus favorable que lors des élections nationales. C’est un peu le même phénomène pour le FN en France : historiquement, il a souvent été en pointe aux élections européennes - et à certaines élections présidentielles mais qui n’ont pas de résultat direct. Aujourd’hui encore, ce parti a deux députés, deux conseillers généraux, une dizaine de maires de communes de taille moyenne, trois conseillers régionaux… mais vingt-quatre députés européens.

Le parti 5 étoiles de Beppe Grillo - 20% aux européennes - et la Lega Nord en Italie pèsent dans le fonctionnement de la démocratie, tout comme l’Aube dorée en Grèce, le FPO en Autriche ou encore le PVV aux Pays-Bas.

Tout l’enjeu, pour ces partis, est de s’installer davantage dans le paysage politique de leurs pays respectifs. En France comme au Royaume-Uni, ils ont de bonnes chances de conquérir d’autres mandats. Ça a été le cas aux dernières élections locales pour le UKIP ; ça le sera peut-être aux élections territoriales de 2015 pour le Front national.

Peuvent-ils ainsi freiner la construction européenne ?

Olivier Costa : Tout à fait ! S’ils ont une influence au niveau européen, c’est plutôt en faisant entendre leur voix au niveau national, en pesant sur la politique nationale et en modifiant l’agenda européen des gouvernements nationaux. On le voit bien avec le discours de François Hollande sur la réorientation de l’Europe suite aux élections. Au Royaume-Uni, David Cameron a beau vouloir rester dans l’Union, il est obligé d’avoir une politique européenne compliquée, par exemple en s’opposant aujourd’hui à tous les candidats à la présidence de la Commission qui ont un profil trop fédéraliste…

Les eurosceptiques vont peser de la même manière aux Pays-Bas, en Autriche, en Finlande… partout où leur représentation est significative. Car l’euroscepticisme n’est souvent que le reflet de problèmes politiques internes. Et il est bien sûr plus facile pour les responsables nationaux, comme notre président, de considérer qu’il y a un problème avec l’Union européenne plutôt que de reconnaître un problème avec leur propre politique.

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