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Droits d’auteur : Pink Floyd et Radiohead contre la Commission européenne

“Nous sommes très déçus par votre choix de défendre les intérêts d’une minorité de managers et d’investisseurs”, peut-on lire dans une lettre adressée par plusieurs artistes à la Commission européenne. Le batteur des Pink Floyd Nick Mason, le chanteur anglais Robbie Williams, ou encore le guitariste des Radiohead Edward O’Brien n’ont pas aimé la proposition de directive publiée le 11 juillet par l’exécutif européen. “Vous avez volé nos espoirs”, accusent les artistes.

“Money, it’s a crime!”

dark side of the moon“L’argent est un délit” , chantaient les Pink Floyd en 1973. L’argent est pourtant à l’origine du conflit entre le palais Berlaymont et le groupe anglais. Mercredi 11 juillet, la Commission européenne a publié une proposition de directive pour “faciliter l’octroi de licences de droits sur les œuvres musicales dans le marché unique” . En d’autres termes, Bruxelles souhaite s’engager sur deux objectifs complémentaires : rendre plus transparentes les sociétés de gestion collective de droits d’auteurs (comme la SACEM en France), et faciliter l’utilisation en ligne des œuvres musicales.

“Nous avons besoin d’un marché unique européen du numérique qui soit au service des créateurs, des consommateurs et des prestataires de services” , a déclaré Michel Barnier, commissaire européen en charge du Marché intérieur et des services. Aujourd’hui les relations entre ces trois acteurs sont en effet difficiles, affirme la Commission. Alors que la demande de contenus culturels en ligne ne cesse de croître, les prestataires de services (comme Amazon ou iTunes) ont du mal à obtenir des licences “multiterritoriales” et “multirépertoires” , et quant aux artistes, ils rencontrent souvent des difficultés à être rémunérés.

Le nouveau cadre juridique européen pourrait donc permettre de sortir de cette impasse, selon la Commission. Les quelque 250 sociétés de gestion collective de droits d’auteurs respecteraient la même loi européenne, une plus grande transparence serait assurée aux artistes et le marché numérique musical pourrait se développer, tout en réduisant le risque de piraterie.

Pour les sociétés de gestion de droits d’auteur, la directive va dans la bonne direction. “Dans de nombreux cas, les règles et pratiques des sociétés d’auteur sont déjà conformes aux normes du projet de directive” , estime Véronique Desbrosses, directrice générale du GESAC. Pour le groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (qui représente 34 des plus importantes sociétés de gestion de l’UE), la proposition de Bruxelles aide le regroupement des répertoires et rend plus efficace l’octroi des licences.

Pourquoi les artistes protestent-ils ?

La directive proposée par la Commission européenne est un texte de 52 pages et d’une quarantaine d’articles. En grande partie, le travail de Bruxelles est dédié à l’organisation des sociétés de gestion collective et à l’usage des droits d’auteur. La directive prévoit par exemple que les artistes puissent confier leurs droits à une société de gestion de leur choix, ou encore qu’ils ne subissent aucune discrimination. Sur ces points, les artistes n’ont rien à reprocher à la Commission. La situation change lorsqu’on examine le titre 2, paragraphe 2 : “gestion des produits des droits d’auteurs” .

En 2010, les sociétés de gestion européennes n’ont pas payé environ 3,6 milliards d’euros aux artistes, estime la Commission européenne.


L’exécutif européen constate qu’en 2010 les sociétés de gestion européennes n’ont pas payé quelques 3,6 milliards d’euros aux artistes. En outre, la Commission souligne qu’environ 10% des paiements sont versés avec 3 ans de retard.

Pour pallier ce dysfonctionnement, Bruxelles propose que les sociétés de gestion respectent ces deux principes (art. 12) : la rémunération des artistes doit être effectuée dans les 12 mois qui suivent l’encaissement, et si au bout de 5 ans les sociétés n’ont pas réussi à identifier les destinataires des droits, elles peuvent “statuer” sur l’utilisation de ces fonds. Autrement dit, elles peuvent les garder.

“Vous légitimez ainsi une des formes les plus problématiques de détournement de fonds pratiquée par les sociétés de droits en Europe” , regrettent les artistes signataires de la lettre adressée à la Commission européenne.

Les sociétés de gestion vues par les artistes : la SACEM pour Da Silva



En 2012, Da Silva a sorti son quatrième album, La Distance. Il est actuellement en tournée dans tout la France. Voir le site officiel.

Compositeur et interprète, le chanteur français Da Silva est sociétaire de la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) chargée de la collecte et de la répartition des droits d’auteurs des œuvres musicales en France.

Selon lui, ce système est “parmi l’un des meilleurs au monde ; il reverse 85% des droits perçus aux artistes” . “La transparence et la rigueur dans la gouvernance des sociétés de gestion collective me paraissent bien entendu essentielles” , explique Da Silva, “mais cette transparence, tout du moins en matière de répartition des droits, est déjà assurée par la Sacem qui reverse chaque trimestre aux artistes les droits perçus sur leurs œuvres, et qui fournit des feuillets de répartition très détaillés” . La société de gestion française, donc, n’aurait pas du mal à s’adapter à la proposition de la Commission, qui impose un délai maximum de 12 mois pour rémunérer les artistes.

“Les artistes français” , poursuit Da Silva, “ont confiance en la Sacem, mais nous n’avons pas vraiment le choix puisqu’elle détient le monopole de la perception et de la répartition de nos droits” . Le chanteur français ne verrait pas d’un mauvais œil que la Sacem puisse être mise en situation de concurrence sur le territoire français.



“Nous n’avons pas la moindre idée de la manière dont nous sommes rémunérés par ces plateformes”

Da Silva regrette également le flou qui entoure la conclusion d’accords entre les sociétés de gestion de droits, les maisons de disques et les plateformes payantes de diffusion des œuvres, comme Spotify ou YouTube. “Les artistes devraient être consultés, ou au moins être informés. Nous n’avons pas la moindre idée de la manière dont nous sommes rémunérés par ces plateformes” , regrette-il. “Ce flou a tendance à opposer créateur et consommateur” , déplore Da Silva, le premier pouvant se sentir dépossédé de son œuvre tandis que le second utilise une plateforme légale qui, de plus, est payante.

“Accroître la diffusion européenne de la musique peut être une bonne chose mais il faut que cela soit encadré, sinon cela peut être dangereux. Un cadre européen pourrait cependant permettre une meilleure diffusion des œuvres en Europe, non pas car il existe des barrières juridiques et techniques insurmontables mais parce que les maisons de disque françaises sont dans une espèce de fatalité, l’idée que la musique française ne s’exporte pas” , explique Da Silva. “Un projet européen pourrait lever ces verrous psychologiques. L’Europe (excepté le Royaume-Uni dont le marché est très fermé) apprécie beaucoup les artistes étrangers. Il y a un vrai marché, il faut que l’on cesse d’être repliés sur nous-mêmes” , conclut-il.

Une société de gestion en difficulté : la SIAE vue par Ethienne



Fondé en 2011, ce groupe indie italien a publié son premier album, The old and the new world, qu’en version électronique. Voir la page officielle.

“Nous avons fait connaissance de la SIAE [la Société Italienne des Auteurs et des Editeurs], quand nous avons commencé à chercher une maison de production pour notre premier album” , raconte Marco Longo, guitariste dans le groupe vénitien Ethienne. “Être inscrit à la SIAE est obligatoire” , poursuit M. Longo. Pour toute inscription, la société italienne demande une centaine d’euros, puis une trentaine d’euros par an.

“Lorsque l’on cherche un producteur, il faut préparer des ‘samplers’, c’est-à-dire des copies de l’album enregistré à envoyer aux différentes maisons de disques” , explique le musicien italien. “Cependant, avant de pouvoir envoyer ces copies, il faut obtenir l’autorisation de la SIAE, qui confirme que les chansons sont originales et pas copiées” . Les “samplers” ont été les seuls CD physiques produits par le groupe de Venise, car la musique d’Ethienne n’est disponible qu’en ligne.

“Nos ventes en ligne sont gérées par notre maison de disque : la Deep Elm Records, un label américain” , poursuit M. Longo. “L’accord prévoit que l’on perçoit 50% des ventes, et que l’autre moitié revient au producteur. La SIAE n’intervient pas dans cela” , conclut-il. La société de gestion italienne devrait intervenir, par exemple, lorsque la musique d’Ethienne est diffusée par une radio, mais cela n’a pas été le cas quand en 2011, une émission de la BBC a diffusé une chanson du groupe italien. “La BBC a fini pour nous contacter directement et nous avons réglé ainsi les termes de la diffusion” , commente le guitariste.

siaeLa société de gestion italienne est gérée par une administration judiciaire depuis 2011, et elle a une dette d’environ 800 millions d’euros envers les auteurs et les éditeurs inscrits. En outre, en 2008 la SIAE a perdu quelques 35 millions après avoir investi dans la banque Lehman Brothers, juste avant sa faillite. Selon un journaliste de l’Espresso, un important magazine italien, la proposition de la Commission pourrait finalement mettre en discussion le monopole de la SIAE et lui imposer plus de transparence.

Le point de vue des sociétés de gestion selon l’un des administrateurs de la SACEM

“Le projet de la Commission européenne présente quelques imprécisions” , affirme Nicolas Galibert, président de Sony/ATV et administrateur de la SACEM. “C’est à la fois une bonne nouvelle, car cela veut dire qu’il est flexible et que cela laisse une marge de négociations pour les Etats membres, mais c’est également mauvais signe” , explique l’un des administrateurs de la société de gestion française. Avant tout, “il y a un problème de définition de ce qu’est une société de gestion collective” , poursuit-il, “elle doit appartenir à ses membres, les auteurs, les compositeurs et les éditeurs, et doit avoir un conseil d’administration représentatif de ses membres et élu par ses membres. Mais dans certains pays ce n’est pas le cas, comme dans les pays de l’Est ou même en Grèce où c’est une société privée qui gère les droits d’auteurs” .

sacemConcernant l’article 12 de la proposition de la Commission européenne, le délai de 5 ans qui a suscité une vive réaction de la part des artistes anglais, Nicolas Galibert est moins catégorique. “Il arrive que des sociétés de gestion des droits n’arrivent pas à identifier le titulaire des droits. C’est ce qu’on appelle les ‘irrépartissables’, des droits qui ne sont pas répartis” , explique-t-il. “Cela est de moins en moins souvent le cas grâce à l’informatique, mais si les droits sont perçus à l’étranger cela augmente les risques” , ajoute-t-il. Selon M. Galibert, “l’introduction d’un système européen harmonisé pourrait rendre les choses plus rapides et efficaces, et éviter les ‘irrépartissables’ ” . Avant qu’elle ne soit adoptée, la directive proposée par la Commission devra encore être discutée par le Parlement européen et le Conseil de l’UE.


En savoir plus

Proposition de directive concernant “la gestion collective des droits d’auteur” et “la concession de licences multiterritoriales” - 11/07/12 - Commission européenne

SIAE, addio al monopolio e governance trasparente - L’Espresso

L’Europe veut mettre de l’ordre dans la discothèque numérique - Libération

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