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Dominique Reynié : “La montée des indépendantistes belges reflète un climat européen général”

Les élections législatives belges, organisées le 13 juin dernier, ont été marquées par une victoire record des partis indépendantistes en Flandre, avec près de 46% des voix cumulées. Un phénomène belge, mais qui reflète bien la poussée des extrémismes et des nationalismes dans une Europe touchée par la crise, comme nous l’explique Dominique Reynié, professeur à Sciences po Paris et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol).

Touteleurope.fr : Avez-vous été surpris par la victoire sans précédent des partis indépendantistes en Belgique ?

Dominique Reynié : Je ne suis pas étonné par le succès des indépendantistes. Non pas que je l’avais prévu, mais parce que c’est l’une des manifestations que l’on observe depuis quelques années en Belgique d’une forme de mécontentement radical qui cherche des nouvelles formes politiques.

Nous l’avons déjà rencontrée dans un passé récent à travers le vote en faveur du Vlaams Belang dans la partie Flandre ou du Front national dans la partie Wallonie. Nous avons aujourd’hui une offre politique forte avec l’idée de l’indépendance de la Flandre, donc c’est un peu les mêmes forces qui se recomposent, qui s’expriment différemment.

Mais cela fait déjà un moment que l’on sent cette pression, cette tension, qui à mon avis est l’expression d’un malaise qui oublie certainement des singularités belges mais qui, d’une certaine manière, reflète un climat européen.

Touteleurope.fr : Est-ce que la crise économique exacerbe en Europe les revendications nationalistes, populistes ?

D.R. : On retrouve le phénomène dans de nombreux pays d’Europe, que ce soit avec la question Rom, les Hongrois pour les Slovaques, les Allemands pour certains Polonais, les Italiens du Sud pour les Italiens du Nord, les Espagnols de Castille pour les Catalans ou les Basques etc. Ce ne sont pas des petites affaires, mais des sujets très sérieux qui commencent à s’installer dans la durée en Europe.

Bien sûr, la crise économique exacerbe ces sentiments agressifs, voire xénophobes puisque cela, ne l’oublions pas, va également jusqu’au racisme, au rejet de l’étranger en tant que tel. Donc tout ceci s’explique en partie par la crise économique.

Mais finalement la crise serait une explication plutôt rassurante, puisque les crises passent. Cependant, si l’on explique cela, comme je le fais, par la globalisation, le fait que l’économie mondiale se redéploie, se réorganise, devient plus dure pour nous, cette cause va durer longtemps. Il y a donc là un motif d’inquiétude : la fin de ce cycle n’est pas pour demain.

A cela s’ajoutent des causes internes qui sont également de longue durée, et dont on ne verra pas la fin. Il s’agit à la fois du vieillissement de la population et de l’état de nos finances publiques qui va nous amener pendant 10, 15, 20 ans (qui le sait ?), au moins une décennie sans doute à réduire nos dépenses publiques.

Donc ces trois variables lourdes (globalisation, vieillissement de la population et crise des finances publiques), de longue durée, convergentes, m’amènent à penser, au-delà de la crise économique, que ces phénomènes de repli sur soi, de xénophobie, de jugement agressif à l’égard de l’autre ont malheureusement de beaux jours devant eux.

Touteleurope.fr : Peut-on réellement envisager que la Belgique se scinde en deux ?

D.R. : Je ne peux pas prédire ce qu’il va se passer après ces élections législatives. Mais l’hypothèse que je peux faire, et ce serait très ennuyeux si elle se vérifiait, est celle d’une Union européenne dont les nations qui la composent seraient beaucoup plus souvent qu’auparavant, voire toutes, touchées par ces phénomènes.

Cela impliquerait que les chefs d’Etat et de gouvernement, qui se retrouvent ensemble pour faire vivre l’Union européenne, seraient de plus en plus souvent sous la contrainte populiste, xénophobe, démagogique, séparatiste, régionaliste … que sais-je encore.

Au fond les Etats seraient fragilisés chez eux, tentés par la surenchère au niveau européen, ce qui compliquerait considérablement l’action européenne à un moment où elle a au contraire un intérêt vital à avancer mieux, plus vite, pour surmonter ce défi immédiat qu’est la crise de nos finances publiques.

Touteleurope.fr : Est-ce que les Etats membres de l’Union européenne ont conscience de l’ampleur du phénomène en Europe ?

D. R. : Non, en Europe on ne prend pas la mesure du phénomène et il y a une raison à cela, qui me frappe beaucoup, c’est que l’on imagine la comparaison avec soi comme si c’était exactement le même type de problème.

Ainsi par exemple on considère que ce qu’il se passe en Belgique est un phénomène belge, qu’il n’y a pas en France de tentation séparatiste. Oui, cela est vrai. Mais si cela se passe chez nous, ça se passera autrement par exemple à travers la poussée de mouvements protestataires, d’extrême-droite ou d’extrême-gauche, qui s’en prendront aux immigrés musulmans d’un côté, au plombier polonais de l’autre, aux élites, qui dénonceront la démocratie ou Bruxelles.

De même en Espagne ça ne se passera pas non plus de la même manière qu’en Belgique, et pourtant je pense que l’Espagne est très menacée à court terme par ce type de tensions. De même en Autriche il y a aujourd’hui deux partis d’extrême-droite, qui à eux deux frisent les 30%, et qui pourraient très bien gagner les élections générales en 2012. En Pologne, Samoobrona qui est un parti populiste de gauche, et, avec Droit et Justice, parti populiste plutôt de droite, ont intégré le système politique polonais.

Il ne faut pas chercher que des comparaisons terme à terme, on n’y verra que des singularités. Mais on se tromperait à ne pas voir à travers ces singularités un mouvement commun qui en ce moment semble en Europe prêt à prendre plus de force.

Il y a un élément européen que je souligne encore c’est qu’en termes d’opinion (dans le sens strict du terme), lorsque l’on mesure les opinions, on constate que les Européens sont de plus en plus disposés à émettre des opinions négatives à l’égard des musulmans ou des juifs. Ce sont des questions qui sont posées et les résultats sont impressionnants : plus d’une personne sur deux en Espagne et en Allemagne.

Donc il y a une tendance générale à exprimer des opinions négatives, de rejet vis-à-vis de l’autre, en-dehors des phénomènes séparatistes très particuliers que l’on rencontre en Belgique ou en Espagne.

En savoir plus

Le début de la fin pour l’unité belge ? - Touteleurope.fr

Pascal Perrineau : “Freiner l’extrême-droite passe par des politiques sociales, économiques et culturelles” - Touteleurope.fr

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