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Bernard de Montferrand : “La volonté de dialogue franco-allemand finit toujours par l’emporter”

Les dirigeants européens se réunissent ce soir pour un dîner centré sur la crise de la zone euro. Entre le discours de croissance porté par le nouveau président français et la rigueur prônée par la chancelière allemande, quel projet l’emportera ? Pour l’ancien ambassadeur de France en Allemagne Bernard de Montferrand, les divergences ne sont pas si importantes qu’il y paraît.

Touteleurope.eu : Le dîner de ce soir est annoncé comme une confrontation entre deux visions pour sortir de la crise : d’un côté la croissance, de l’autre l’austérité. Quel compromis peut en résulter ?

Bernard de Montferrand est diplomate, ancien ambassadeur de France en Allemagne et président de Platform, regroupement des Fonds régionaux d’art contemporain. Membre du cabinet Roland Berger Strategy consultant, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les relations franco-allemandes, dont France-Allemagne : l’heure de vérité, Le choc des modèles, Éditions Tallandier, 2011.

Bernard de Montferrand : Je crois que l’on amplifie beaucoup les divergences entre la France et l’Allemagne. Le nouveau président de la République française a répété sa résolution de respecter les engagements pris pour réduire les déficits. Du côté allemand, de nombreux hauts responsables ont déclaré qu’il fallait favoriser la croissance, en mettant notamment à contribution la Banque européenne d’Investissement et les fonds structurels.

Depuis plus de deux ans, et on ne le souligne pas assez, les deux tiers de la croissance allemande sont tirés par la demande intérieure. Celle-ci va d’ailleurs être à nouveau stimulée par des augmentations importantes de salaire.

Il y a en Allemagne une ligne rouge à ne pas franchir : celle du respect des engagements de réduction des déficits. Mais pour les Allemands, soutenir la croissance passe par d’autres moyens : ceux-ci considèrent que c’est précisément l’excès des déficits qui contrarie la confiance nécessaire à la croissance. Il y a donc un compromis possible, qui consiste à respecter le pacte de stabilité budgétaire en y ajoutant un second volet sur la croissance et en libérant toutes les marges de manœuvre.

Touteleurope.eu : L’OCDE vient à son tour d’accorder son soutien aux euro-obligations pour mutualiser la dette. Angela Merkel pourrait-elle finir par accepter un tel projet ?

Bernard de Montferrand : J’observe qu’il y a encore quelques années, le terme d’eurobonds était totalement tabou en Allemagne… Aujourd’hui non seulement ce n’est plus le cas, mais il fait partie du débat public et certains admettent que ce pourrait être une solution mais en fin de processus, lorsque toutes les règles auront été mises en place pour qu’un tel mécanisme ne déresponsabilise pas les moins vertueux.

Pour en savoir plus sur le projet de Covered Eurobonds, voir l’article de Charles-Edouard Bouée et Bernard de Montferrand du 15 mai 2012 dans le Huffington Post : La France et l’Allemagne peuvent se retrouver sur un soutien efficace à la croissance européenne.

Pour mutualiser la dette européenne, il faut être sûr que ceux qui y participent respectent leurs obligations, en termes de réduction de la dette et de retour à l’équilibre budgétaire. Si c’est le cas, les Allemands pourraient accepter un tel dispositif, mais il est encore un peu tôt.

Il y a peut-être des voies intermédiaires à explorer, par exemple les “Covered Eurobonds” , garantis par une société européenne dans laquelle chaque pays cantonnerait des actifs privatisables ou non, et qui limiteraient la responsabilité des Allemands.


Touteleurope.eu : A quel point les propositions françaises et allemandes pour sortir de la crise sont-elles antagonistes ? Reflètent-elles une différence entre deux modèles ?

Bernard de Montferrand : Je ne crois pas trop aux modèles, mais plutôt qu’il y a des différences de traditions, ou de sensibilités, en matière de politiques économiques. Pour l’Allemagne, diminuer les dépenses collectives est bon pour l’emploi, car cela diminue les charges et permet de recruter davantage de personnel. C’est également positif pour le pouvoir d’achat, car cela diminue le salaire indirect au profit du salaire direct, disponible pour la consommation.

En France, dès qu’on parle de réduction de déficit, on entend “austérité” voire “récession” . Mais à 5 ou 6% de déficit public aujourd’hui dans de nombreux pays européens, on est loin de l’austérité ! Quant à la France elle dépense encore beaucoup plus que ce qu’elle gagne. D’ailleurs le rapport entre dépenses publiques et richesse nationale est en France l’un des plus élevé en Europe, pour des résultats parmi les plus médiocres en termes d’emploi et de croissance. Sur ce point donc, il faut des discussions, et poursuivre un rapprochement entre la France et l’Allemagne en termes de complémentarité puisque nous devons revenir à des finances publiques mieux tenues. Mais l’Allemagne doit utiliser ses marges de manœuvre du côté de la demande.

Touteleurope.eu : Comment le couple franco-allemand est-il amené à évoluer ? Entre un président français nouvellement élu et une chancelière allemande en difficulté pour sa campagne électorale, le rapport de force est-il équilibré ?

Bernard de Montferrand : Les Français et les Allemands me semblent “condamnés” à s’entendre, et c’est leur intérêt. L’Europe est la condition de leur existence dans le monde : sans ce levier, ils ne pèsent guère. L’euro et le marché intérieur sont, il faut le souligner, fondamentaux pour leurs entreprises. Le coût d’un abandon de l’euro et d’un rétablissement des frontières en Europe serait exorbitant.

On peut parler de “rapport de force” dans le sens où chacun tente de défendre ses intérêts. Mais le plus important, et ils le savent parfaitement, est que chacun doit avoir conscience des limites de l’autre. En Allemagne, Mme Merkel doit vendre au Bundestag et à son opinion certaines mesures qui tranchent avec l’orthodoxie libérale traditionnelle. De l’autre côté, François Hollande est porteur d’engagements électoraux, dont une partie au moins doit être traduite dans les faits.

Entre Français et Allemands, il y a toujours des négociations extrêmement difficiles, tant nos cultures, nos structures et nos intérêts sont parfois différents. Mais la volonté réciproque de dialogue finit toujours par l’emporter, car ce que nous gagnons à ces compromis apporte beaucoup plus de bénéfices que les options nationales.

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