A la fin des années 1950, lorsque les Etats-Unis et l’URSS lancent leurs premiers satellites, la France et le Royaume-Uni mettent à peine en place leurs programmes spatiaux nationaux. Les deux Etats européens peinent à rivaliser avec les deux puissances qui se livrent une bataille effrénée pour la conquête de l’espace dans un contexte de guerre froide. Rapidement, la communauté scientifique européenne pousse en faveur de la création d’un programme spatial scientifique européen.
Le 1er décembre 1960, une conférence réunissant onze pays européens acte le lancement de la Commission préparatoire européenne pour la recherche spatiale (COPERS). Ses travaux aboutissent à la création en 1962 de deux entités : le Conseil européen de recherches spatiales (CERS, ESRO en anglais) et le Centre européen pour la construction de lanceurs d’engins spatiaux (CECLES, ELDO en anglais).
En parallèle voit également le jour en 1963 la Conférence européenne des télécommunications par satellite (CETS), une institution informelle créée par les pays européens pour définir une politique commune concernant les systèmes de télécommunications par satellite en cours de mise au point à cette époque. Son rôle est ensuite repris par l’ELDO et l’ESRO à partir de 1968, avant que la CETS ne finisse par disparaître en 1970.
L’ESA : une organisation indépendante de l’UE
Rapidement, ces trois organisations montrent leurs limites et ne parviennent pas à remplir leur objectif : permettre à l’Europe de placer en orbite ses satellites sans dépendre de l’URSS ou des Etats-Unis. Les échecs successifs de la fusée Europa, notamment causés par des moyens financiers limités et un manque de coordination entres les différents contributeurs, finissent par imposer aux dirigeants européens la nécessité de réorganiser la coopération spatiale en Europe. Le 30 mai 1975, 11 Etats européens signent la Convention de l’Agence spatiale européenne (ASE, ESA en anglais), créant ainsi cette nouvelle organisation en lieu et place des entités précédemment citées. Une nouvelle stratégie spatiale qui s’accompagne d’une hausse substantielle du budget, à la hauteur des ambitions européennes en la matière.
Bien qu’elle voie le jour de la volonté d’Etats européens et pour la plupart membres de l’actuelle Union européenne, l’Agence spatiale européenne est une organisation intergouvernementale indépendante de l’UE. L’ESA et l’UE ont des compétences, des Etats membres et des règles et procédures différents. Ce qui n’empêche pas ces deux entités de travailler étroitement ensemble depuis l’origine de l’ESA. L’Agence spatiale européenne a par exemple signé un accord avec l’UE pour une constellation, baptisée “Iris2”, visant à favoriser un accès autonome de l’Europe à internet. Elle a également conçu et développé des éléments du programme spatial de l’UE, comme les satellites de Galileo (voir plus bas).
Les bases de cette coopération entre l’ESA et l’UE sont posées en novembre 2000 : elle est régie par un accord-cadre de partenariat financier (FFPA), révisé à plusieurs reprises depuis. Celui-ci implique notamment un investissement financier de l’UE à hauteur de 9 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Il définit également les rôles et responsabilités de tous les partenaires : la Commission européenne, l’ESA et l’agence du programme spatial de l’UE (UESPA). Ainsi, la mise en œuvre du volet spatial de l’UE est officiellement confiée à l’ESA. L’accord-cadre garantit le niveau d’autonomie nécessaire de l’Agence spatiale européenne pour développer et mettre en œuvre efficacement ces programmes.
Un budget annuel de 7 milliards d’euros
En 2023, le budget annuel de l’Agence spatiale européenne s’élève à 7,08 milliards d’euros, ce qui en fait la troisième agence spatiale mondiale après la Nasa américaine et la CNSA chinoise. Il est financé aux deux tiers par les Etats membres de l’ESA en fonction de leur produit national brut. L’Allemagne est donc logiquement le principal contributeur au budget de l’ESA, à hauteur de 1,05 milliard d’euros cette année, juste devant la France (1 milliard d’euros). A contrario, la Lettonie a contribué à hauteur de 1,1 million d’euros au budget de l’ESA en 2023. 24 % du budget annuel de l’Agence spatiale européenne est financé directement par l’Union européenne et les 10 % restants proviennent d’autres sources de financement.
Les dépenses de l’agence sont très diversifiées : 7 milliards d’euros de budget général se répartissent entre 13 postes de dépenses. Le principal concerne l’observation de la Terre (25 %, 1,8 milliard d’euros). Viennent ensuite la navigation (16 %, 1,1 milliard d’euros) et le transport spatial (12,6 %, 892 millions d’euros). Tous les Etats membres financent les activités de base de l’ESA, à l’inverse des programmes “facultatifs” qui n’impliquent que certains d’entre eux, libres de décider de leur niveau de participation.
Des domaines d’activité variés
Depuis bientôt 50 ans, l’ESA a bien évolué et est parvenue à diversifier ses activités. Elle compte aujourd’hui 22 Etats membres : 19 pays de l’Union européenne (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Suède et République tchèque) et trois autres nations européennes (Norvège, Royaume-Uni et Suisse). Quatre Etats bénéficient du statut de membre associé (Lettonie, Lituanie, Slovaquie et Slovénie), quatre autres sont considérés comme des Etats coopérants européens (Bulgarie, Chypre, Croatie et Malte). Enfin, l’ESA a conclu avec le Canada un accord de coopération de longue durée.
Tous ces pays associés dans le champ d’action de l’ESA collaborent ainsi ensemble, partageant leurs ressources financières et scientifiques dans le but d’obtenir les meilleurs résultats dans le domaine spatial. Aujourd’hui, l’ESA est active dans l’ensemble des domaines du secteur spatial. Elle construit et lance des fusées et des satellites, forme des astronautes, observe la Terre, explore l’espace et tente de répondre aux questions scientifiques fondamentales à propos de l’Univers. Voici quelques exemples concrets de ses missions et projets.
Galileo : un système de navigation unique au monde
En travaillant avec la Commission européenne, l’Agence spatiale européenne a construit Galileo, un système de navigation par satellites unique au monde. Composé de 26 satellites en orbite et de stations au sol disséminées tout autour du globe, Galileo permet de fournir des informations de positionnement précises dans le monde entier. En activité depuis décembre 2016, il est aujourd’hui le système de navigation par satellite le plus précis au monde, utilisé par plus de 1,5 milliard de smartphones et appareils connectés.
Copernicus : le programme d’observation de la Terre
Depuis 25 ans, le programme Copernicus a totalement changé la manière dont nous observons la Terre. Il est aujourd’hui le plus important programme de surveillance environnementale au monde. Chaque jour, Copernicus fournit 16 téraoctets de données de haute qualité sur l’évolution de notre planète bleue. Celles-ci, récoltées par une série de satellites appelés “Sentinel”, permettent d’observer et de surveiller très finement l’atmosphère, l’environnement marin, les terres, le changement climatique ou les catastrophes naturelles. Une autre dimension du programme est le service de sécurité, qui vise à soutenir les politiques de l’UE en fournissant des informations en réponse aux défis de l’Europe relatifs aux zones de conflit, aux frontières…
Ariane et Vega : des lanceurs made in Europe
Maîtriser les lancements de ses propres engins spatiaux est un objectif pour l’ESA depuis sa création. Depuis 1979, l’Agence spatiale européenne dispose ainsi de ses propres lanceurs, qu’elle développe, construit et utilise. Le lanceur Ariane 5, dernier en date, a permis de placer en orbite des satellites de télécommunications. Le 5 juillet 2023, cette version d’Ariane a réalisé son 117e et dernier lancement réussi, après 23 années de service. Elle sera remplacée par le lanceur Ariane 6, actuellement en développement. Le lanceur Vega, opérationnel depuis 2012, permet quant à lui de mettre en orbite basse de petits satellites. Ces lanceurs et leurs satellites décollent du Centre spatial guyanais, basé à Kourou en Guyane française, base de lancement attitrée de l’ESA.
Vols habités : des Français dans l’espace
A l’inverse des agences spatiales américaine ou russe, l’ESA n’avait pas pour objectif initial d’organiser des vols habités, privilégiant la recherche scientifique. Aujourd’hui encore, le poids du spatial habité demeure faible dans le programme spatial coordonné par l’UE et l’ESA. Le principal projet rattaché à ce domaine est la participation de l’ESA à la construction et au fonctionnement de la Station spatiale internationale (ISS).
L’Agence spatiale européenne a créé en 1990 le Centre des astronautes européens, situé à Cologne en Allemagne, pour préparer l’Europe à participer à des missions habitées à bord de l’ISS. Le rôle de ce centre est de sélectionner et d’entraîner de futurs astronautes pour ces missions : ceux-ci forment ainsi le Corps européen des astronautes. La troisième campagne de sélection (2008-2009) a permis de recruter un certain… Thomas Pesquet. Le spationaute français a passé près de 400 jours dans l’espace au cours de deux missions à bord de l’ISS, un record en Europe. En 2022, la quatrième promotion d’astronautes de l’ESA a été dévoilée : une Française, Sophie Adenot, y figure.
Avec son nouveau quartier général à Paris, l’ESA veut s’ouvrir aux citoyens
Après cinq années de travaux, l’Agence spatiale européenne a inauguré mi-septembre son nouveau quartier général à Paris. Ce bâtiment flambant neuf de 11 600 m² se situe au cœur du 15e arrondissement parisien, rue Mario-Nikis, où la direction de l’organisation a élu domicile depuis 1975. D’un style architectural futuriste, sobre et moderne, ce nouveau QG donne presque l’impression d’être à bord d’un vaisseau spatial.
Grande nouveauté de ce siège rénové, un espace destiné à recevoir le public a été aménagé à l’entrée du bâtiment : l’Astrolabe. Une sorte d’exposition permanente immersive, interactive et ludique qui permet aux visiteurs, petits et grands, novices comme amateurs, de s’imprégner du travail de l’ESA et de ses 2 200 salariés. Des casques de réalité virtuelle permettent même d’entrer dans la combinaison de Thomas Pesquet le temps d’un instant.
Pour la direction du siège parisien de l’Agence spatiale européenne, “l’Astrolabe symbolise les nouvelles ambitions de l’ESA de s’ouvrir aux citoyens et de faire connaître [leur] travail, avec pour objectif d’inspirer les générations futures”. Un “space shop” a également ouvert au même endroit, proposant une gamme de produits dérivés de l’ESA, dont l’agence espère qu’ils auront le même succès que les t-shirts et autres tasses estampillées du logo de la Nasa.
L’Astrolabe, situé au 6, rue Mario-Nikis, dans le 15e arrondissement parisien, est ouvert au public toute la semaine : les lundis, mardis, jeudis et vendredis de 10 heures à 14 heures et les mercredis de 10 heures à 17 heures. Plus d’informations sur le site internet de l’ESA.
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Que paient les membres individuels de l’ESA sur une base annuelle ?