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Du Printemps des peuples à la chute du Mur : comment les crises politiques ont façonné l’Europe

Aux XIXe et XXe siècles, les grands épisodes de contestation européens (1848, 1918-1919, 1968, 1989) se caractérisent par leur récurrence, leur ampleur et leur dimension universaliste. Ils contribuent à la construction d’un espace public, d’un modèle et d’une culture politiques en partie partagés au sein des nations.

 porte de Brandenburg
Foule sur le mur de Berlin près de la porte de Brandenburg le 9 novembre 1989. Source : Wikimedia Commons.

“Est-ce que vous ne ressentez pas, par une sorte d’intuition instinctive qui ne peut s’analyser, mais qui est certaine, que le sol tremble de nouveau en Europe ? Est-ce que vous ne sentez pas… que dirais-je ?… un vent de révolution qui est dans l’air ?”

Ces lignes extraites des Souvenirs d’Alexis de Tocqueville et rédigées en janvier 1848 soulignent que les crises politiques en Europe ont très tôt pris un caractère continental. S’affranchissant des frontières nationales, ces crises transnationales ont rapidement fait de l’Europe le continent de la contestation dans le monde. De la prise de la Bastille à la chute du mur de Berlin, de la Marseillaise à l’Internationale, de La Liberté guidant le peuple aux affiches de 68, les crises politiques européennes ont forgé des représentations et des modèles au rayonnement universel.

Certes, de telles crises politiques ont eu lieu ponctuellement ailleurs dans le monde avec parfois une dimension continentale (Amérique latine) ou du moins transnationale (Printemps arabe), mais elles ne prirent jamais un caractère universaliste et aussi récurrent ailleurs que dans l’Europe des XIXe et XXe siècles. L’ampleur et la radicalité de la transition politique, sociale et intellectuelle qui mit fin à l’Ancien Régime sur le Vieux Continent expliquent sans doute en partie cette spécificité.

Plus qu’ailleurs dans le monde, ces crises ont contribué à la construction patiente et à l’approfondissement régulier du modèle politique de la démocratie libérale en Europe. Cependant cette modalité fut loin d’être exclusive comme en témoigne la stabilisation politique apaisée que connurent les pays d’Europe de l’Ouest dans les années 1950. Les crises politiques sont ainsi peu à peu devenues un élément fondateur de l’histoire, de la culture et de l’identité européenne en construction.

L’Europe, épicentre des crises mondiales

Dans la plupart des cas, les crises politiques en Europe à l’époque contemporaine n’ont pas été à proprement parler des crises européennes, mais bien des crises mondiales dont l’Europe fut l’épicentre ou l’un des centres principaux. Ce fut le cas du Printemps des peuples en 1848 qui affecta également l’Amérique latine, de la “grande lueur à l’Est” et de sa contagion révolutionnaire mondiale dans les années 1918-1919, de la révolte estudiantine qui toucha le monde de l’Amérique au Japon en passant par l’Europe dans les années 1968.

Ces crises politiques étaient ainsi des crises nationales à dimension transnationale, continentale ou mondiale, au sein desquelles le sentiment européen demeura toujours limité. Contrairement aux crises politiques en Amérique latine ou dans le monde arabe, les crises politiques en Europe ne furent que très peu associées à un rêve d’unité continentale qui prit son essor parallèlement autour de l’idée de coopération économique entre les peuples. Elles furent au contraire, en 1848 comme en 1918-1919 et en 1989 avec la chute du mur de Berlin, des moments d’affirmation de la nation qui se jouèrent dans des espaces politiques nationaux, limitant par conséquent leur portée européenne.

Une forte dimension transnationale

L’Europe des crises politiques n’en a pas moins toujours été caractérisée par une très forte dimension transnationale. Les transferts, les circulations d’idées et d’hommes, la constitution de réseaux politiques parmi les élites par la création de partis et de clubs, la diffusion de l’écrit à travers livres, brochures et journaux ont favorisé l’émergence d’un espace public dépassant largement les frontières nationales.

Ce contexte spécifique explique en particulier le rôle fondamental des idéologies dans les crises politiques du continent, en particulier dans l’émergence intellectuelle et le corpus conceptuel des mouvements de contestation : ce fut le cas du libéralisme du premier XIXe siècle et dans le dernier quart du XXe, ainsi que du marxisme tout au long de la période intermédiaire.

Les crises politiques ont également contribué à diffuser et à légitimer à l’échelle du continent un répertoire d’actions politiques caractérisé par une certaine violence contre l’ordre établi : les grèves et les manifestations de rue, de même que les barricades et le terrorisme ont marqué l’histoire politique européenne depuis deux siècles sans lui être bien sûr exclusivement limités. Ce répertoire d’actions reflète notamment la difficile entrée des masses populaires en politique en Europe au cours de la période.

Une géographie européenne des crises

Enfin, il existe une géographie européenne des crises politiques, des espaces spécifiques de diffusion de la contestation en Europe. Ainsi, l’Europe occidentale et centrale, autour de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, joua souvent un rôle moteur dans les crises politiques. Celles-ci appartiennent désormais à l’héritage de certaines capitales européennes, à commencer par Paris, ville des révolutions à partir de 1789, celle des barricades en 1830, 1848, 1871 comme de Mai 68. “Quand Paris éternue, l’Europe s’enrhume” disait Metternich.

Au-delà de la capitale française, d’autres villes ont également joué un rôle de pivot dans le déclenchement ou la diffusion des crises politiques en Europe. Berlin fut par trois fois au cœur des mouvements révolutionnaires du XXe siècle : en 1919 lors de l’épisode spartakiste, en 1968 avec l’organisation du congrès international contre la guerre du Vietnam, et enfin en 1989 lors de l’effondrement du bloc soviétique.

Au contraire, Rome, Vienne et Saint-Pétersbourg furent plutôt les capitales de la contre-révolution. Elles n’en furent pas moins au centre de certaines crises politiques, les deux premières en 1848, la dernière en 1917.

De ce tour d’horizon des capitales européennes, Londres semble absente, jamais affectée directement par les grands mouvements révolutionnaires qui bouleversaient le continent, tout en jouant en amont un rôle fondamental dans la transmission des idées et la constitution des réseaux, abritant Marx et Engels et diffusant la pop culture dans les années 1960.

Ce tableau de la géographie urbaine des crises ne serait pas complet sans évoquer Milan, Prague, Bruxelles et surtout Francfort, ville de la Paulskirche - premier parlement allemand en 1848-1849 - comme de l’école intellectuelle éponyme qui influença les soixante-huitards. Le rôle des villes européennes dans les crises politiques illustre à la fois la géographie profondément nationale du phénomène et l’importance décisive de ces pivots internationaux dans sa diffusion.

Une convergence de la culture politique

Malgré la faible ampleur européenne des crises politiques, leur caractère transnational a ainsi permis aux cycles de contestation continentaux d’être de puissants moments de convergence de la culture politique européenne.

Les aspirations libérales de 1848 ont débouché sur un mouvement d’adoption de constitutions. De même, en 1918-1919, la rédaction de nouvelles constitutions s’est traduite par la diffusion du système parlementaire dans une large partie du continent. Les mouvements de 68 ont par la suite contribué à accélérer la démocratisation sociale des pays d’Europe de l’Ouest, avant que les crises de l’année 1989 n’aboutissent à une convergence sans précédent par adoption du modèle occidental de la démocratie libérale à l’Est.

Moments privilégiés d’intégration du politique dans l’espace public européen en construction tout au long de l’époque contemporaine, les crises politiques ont ainsi participé à l’élaboration et à la diffusion d’un modèle politique, mais également d’une culture politique désormais en partie partagée au sein des nations européennes.

Article publié en partenariat avec l’Encyclopédie d’Histoire Numérique de l’Europe (EHNE).

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    Redaction

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