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De la CECA au Brexit : Paul Collowald, témoin privilégié de la construction européenne

Le 18 avril 1951, le traité de Paris marque l’aboutissement du Plan Schuman pour réconcilier la France et l’Allemagne, et le début d’une forme inédite de coopération internationale. A l’occasion du 70e anniversaire de l’évènement, Toute l’Europe retrace le parcours de Paul Collowald, l’un des derniers témoins des prémices de la construction européenne.

Paul Collowald (à droite) aux côtés de Robert Schuman en 1954
Paul Collowald (à droite) aux côtés de Robert Schuman en 1954 - Crédits : archives de Paul Collowald

Août 1949, Strasbourg. Le Conseil de l’Europe fraîchement créé tient sa toute première session plénière. Parmi les principaux protagonistes de l’événement, Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères français. Dans l’assistance massée dans les travées du Palais universitaire de la ville, où se tient la réunion, Paul Collowald, journaliste de 26 ans, ne perd pas une miette des débats. Mieux, le jeune homme, qui vient de réaliser un portrait de celui que l’Histoire retiendra comme l’un des “pères fondateurs” de l’Europe, s’arrange pour interpeller Robert Schuman au cours d’une promenade dans la capitale alsacienne. Les deux hommes échangent alors sur la jeunesse allemande, sur les erreurs commises lors de la signature du Traité de Versailles de 1919 et sur la seule solution que tous deux entrevoient pour garantir une paix durable : la construction européenne. Une heure d’échanges qui marque à jamais la vie du jeune Alsacien. Au moment de se quitter, Schuman lui souhaite un “bel avenir”. “Il ne pouvait pas savoir, et moi non plus, que mon avenir serait surtout européen”, s’amuse Paul Collowald.

Schuman faisait bien 10 cm de plus que moi, donc il me regardait de haut, mais avec une gentillesse et une attention pour le jeune journaliste que j’étais. […] C’était le ministre des Affaires étrangères quand même !” L’ancien journaliste, bientôt 98 ans, se remémore “avec une émotion certaine” cette rencontre fondatrice. Car 72 ans plus tard, Paul Collowald continue de parler de l’Europe, “pour transmettre”, précise-t-il. Un projet qu’il a “vu naître” et qui a permis de maintenir la paix entre les deux frères ennemis qu’étaient alors la France et l’Allemagne. Du journalisme à la haute fonction communautaire, Paul Collowald a su conserver toutes ces années cette passion pour la construction européenne, sans pour autant mettre de côté son esprit critique.

La paix franco-allemande comme motivation première

Si Paul Collowald a structuré sa vie d’homme autour de l’idéal fédéraliste, il est avant tout un enfant des frontières. A sa naissance en 1923, depuis son village de Wissembourg, il peut quasiment apercevoir les premières villes allemandes, situées à une dizaine de kilomètres. Alors qu’il n’a que 17 ans, en 1940, cette frontière se déplace et Paul Collowald devient Allemand. La Seconde guerre mondiale n’en est encore qu’à ses débuts, mais la débâcle française pousse déjà l’Alsace dans les bras du régime nazi. La région bascule, le destin du jeune homme aussi. Lui qui rêve de Saint-Cyr et d’une carrière dans l’armée française devient un “malgré-nous” et se retrouve enrôlé de force dans la Wehrmacht en Pologne.

De retour de la guerre, il ne garde aucune animosité de son passage dans l’armée allemande, et préfère s’estimer heureux de s’en être sorti. Un recul qui lui permet également de mesurer la violence de l’histoire récente de sa région, l’Alsace, marquée par trois conflits majeurs en 70 ans. Plutôt que de nourrir de la rancœur à l’égard des voisins allemands, Paul Collowald prend conscience de l’importance de construire la paix sur les deux rives du Rhin. “Je me suis convaincu qu’après tant de ruines matérielles et tant de haines, la seule préoccupation qui compte, c’est celle des hommes”, confiait-il à Sabine Menu, autrice d’une biographie qui lui est consacrée en 2018.

Reporter de frontière

Fort de cette conviction, le jeune homme s’installe à Strasbourg en 1945 et s’inscrit à la faculté de lettres de la ville. La capitale alsacienne continue d’être la cible de bombardements et un système de tickets de rationnement perdure jusqu’en 1947. Une période d’indigence durant laquelle il se lance dans le journalisme pour payer ses études. Ce goût pour le métier, imposé par les circonstances, s’affirme rapidement . Dès 1946, il traverse pour la première fois librement le Rhin pour un reportage. Il y découvre une jeunesse allemande “encore plus déboussolée que la sienne”, une expérience qui achève de cimenter sa conscience européenne.

S’il prend le pouls de la jeunesse et des peuples, Paul Collowald rencontre aussi les grands hommes de son temps. Trois d’entre eux le marquent particulièrement : les “pères fondateurs” de l’Europe. Konrad Adenaeur, Alcide De Gasperi et, bien sûr, Robert Schuman. Des “hommes des frontières”, écrit-il dans ses articles, au sens où il admire leur capacité à embrasser “naturellement le point de vue de l’adversaire” ainsi que leur “manière de travailler ensemble et de s’apprécier”, paraphrasant Jean-Charles Snoy et d’Oppuers, ministre belge et négociateur de la Belgique pour le traité de Rome.

L’Europe comme solution pour la paix

De ces trois “pères fondateurs”, c’est donc Robert Schuman qui marquera la carrière du jeune journaliste. A ses yeux, sa déclaration aboutissant le 18 avril 1951 à la signature du traité de Paris et les débuts de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), demeure l’un des piliers de l’idée européenne, mais aussi du couple franco-allemand.

Il n’hésite d’ailleurs pas à faire le parallèle avec le traité de l’Elysée, signé en janvier 1963 par le Général de Gaule et son homologue allemand Konrad Adenauer. Même si “toute la presse française a dit que c’était le début de la réconciliation allemande”, Paul Collowald ne manque pas de souligner ironiquement que “le 9 mai, [date de la déclaration Schuman] précède quand même chronologiquement”. Pour lui, cela ne fait pas de doute, l’origine de la réconciliation est bien là.

Avec le traité de Paris signé en 1951, une Haute autorité voit le jour à Luxembourg, symbole du partage de la souveraineté. “Ce sont des mots difficiles à prononcer en France : partage de la souveraineté”, s’amuse l’Alsacien, soulignant le caractère exceptionnel de cette nouvelle construction. “Nous étions à 6, avec des convictions bien partagées”, explique-t-il, regrettant tout de même le fait que l’Europe n’ait pas poursuivi dans cette direction. S’il invoque des “circonstances atténuantes” en rappelant qu’il est “beaucoup plus difficile à 27 de prendre des décisions”, il pense toutefois que les chefs d’Etat et de gouvernement ont conscience du fait qu’à 27 “on est beaucoup plus forts face aux Etats-Unis, la Chine ou Poutine”.

Article dans le journal Le Monde en 1955
Article dans le journal Le Monde en 1955 – Crédits : archives de Paul Collowald

Observateur puis acteur de la construction européenne

Pour reprendre le titre d’un de ses ouvrages, paru en 2014, Paul Collowald a “vu naître l’Europe”. Il saisit d’ailleurs rapidement ce qui est en train de se jouer, et voit là la promesse d’une paix durable sur le continent. Dans les années 1950, il écrit beaucoup sur le sujet, d’abord pour le quotidien catholique Le Nouvel Alsacien, puis pour le journal Le Monde en tant que correspondant à Strasbourg, traitant tour à tour de la CECA, du Conseil de l’Europe, ou encore du projet avorté d’une Communauté européenne de défense.

De simple observateur de la construction européenne, il devient acteur à partir de 1958, évoluant d’abord comme porte-parole des cabinets de deux vice-présidents de la Commission européenne, Robert Marjolin et Raymond Barre, puis comme directeur de l’information au sein de la direction générale de l’information de l’exécutif européen, un service qu’il a contribué à créer. Il termine sa carrière au Parlement européen, notamment comme chef de cabinet du président Pierre Pfimlin, un autre alsacien. Durant ces années, passées entre Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg, son destin croise celui de Simone Veil, de Leopold Sedar Senghor ou encore de Jacques Delors.

Durant ses années bruxelloises, il n’hésite pas à répondre aux multiples reproches de certains politiques français faits à l’encontre de l’Europe. En avril 1976, il demande l’autorisation de sortir de son devoir de réserve de fonctionnaire et publie une tribune dans le journal Le Monde, dénonçant une “terrible époque où les mots sont si souvent galvaudés”.  “Être ‘nationaliste’ aujourd’hui, ce n’est plus être patriote, c’est se résigner au contraire à compromettre l’indépendance de la patrie”, écrit-il à l’époque. Aujourd’hui le sujet continue d’ailleurs de le faire réagir : “on peut très bien être patriote et européen”, affirme Paul Collowald.

Première salle de presse de la Commission européenne en 1960
Première salle de presse de la Commission européenne en 1960 - Crédits : Commission européenne
Leopold Sedar Senghor, président du Sénégal, salué par Paul Collowald en 1973
Leopold Sedar Senghor, président du Sénégal, salué par Paul Collowald en 1973 - Crédits : Commission européenne

Les combats menés au sein des institutions continuent de l’animer, bien après la fin de sa carrière. Il poursuit notamment le combat mémoriel en l’honneur de Robert Schuman, et s’implique encore davantage auprès de l’association ATD-Quart Monde, dont il est “allié” depuis les années 1970.

L’information sur l’Europe, son combat de toujours

Retraité en 1988, Paul Collowald n’abandonne pas l’Europe pour autant. Il reste à Bruxelles et ne s’en est éloigné que de quelques kilomètres pour s’installer dans une résidence aménagée à Waterloo. Depuis sa chambre, il reste un fidèle lecteur du journal La Croix, mais aussi du Monde qu’un voisin lui prête, et continue de suivre assidûment l’actualité française et européenne, inévitablement marquée par la pandémie de Covid-19.

L’Europe ? Qui s’y intéresse, qui la comprend ? Hormis un groupe réduit de professionnels de l’Europe, d’intellectuels et de citoyens, elle est perçue depuis les origines de son intégration dans les années 1950 comme lointaine et complexe”, écrit Sabine Menu en introduction de la biographie qu’elle consacre à Paul Collowald en 2018. Une interrogation que l’infatigable suiveur de l’Europe partage aujourd’hui plus encore. Lorsqu’on lui demande si l’information européenne est aujourd’hui mieux traitée qu’auparavant, il parait désabusé.  “C’est un cercle vicieux. Si les médias pensent que le citoyen est emmerdé par l’Europe, et si le citoyen n’a pas d’information sur l’Europe, comment peut-il s’y intéresser ?

C’est en tout cas l’autre combat qu’il a mené tout au long de sa vie, et l’une des raisons pour lesquelles il a accepté de nous parler : tenter d’offrir une information simple et accessible sur l’Europe à l’ensemble des citoyens. Mais l’information semble plus difficilement franchir les frontières que Paul Collowald.

Paul Collowald en compagnie du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker en 2015
Paul Collowald en compagnie du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker en 2015 – Crédits : Commission européenne

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