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Cyril Buffet : “Face à la chute du Mur, des sentiments européens mitigés”

Pour le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, Touteleurope.fr a demandé à plusieurs témoins, hommes politiques, journalistes ou historiens, de nous livrer leurs commentaires sur cet évènement déterminant qui, pour beaucoup, marque la fin du XXè siècle. Cyril Buffet, historien et auteur du livre Le jour où le Mur est tombé, revient sur les causes et les conséquences pour l’Europe de cet évènement inattendu.

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Que s’est-il passé le 9 novembre 1989 ?

Le 9 novembre 1989, vers 23h30 (on n’a pas l’heure exacte), s’est produit un évènement totalement inattendu : l’ouverture du Mur de Berlin. Depuis 1961, ce Mur fermait la frontière entre les deux parties de Berlin, et l’on ne pouvait passer qu’après un contrôle très serré…

En cette nuit surprenante, le régime de RDA a promulgué une nouvelle loi qui permettait aux Allemands de l’Est de partir, théoriquement, définitivement ou provisoirement, de RDA. Mais la formulation et surtout l’annonce de cette loi a été faite de manière très confuse et ambiguë.

Pour les dirigeants est-allemands, cette loi ne devait entrer en fonction que le lendemain et ne devait être que provisoire : il fallait que les Allemands de l’Est se dotent d’un passeport et fassent une demande. Dans leur esprit, il n’y avait donc aucune idée d’ouverture. Il s’agissait au contraire d’essayer de “colmater” les fuites des Allemands de l’Est, et d’ordonner ce mouvement.

Dans Le jour où le Mur est tombé, aux éditions Larousse, Cyril Buffet retrace au jour le jour, à partir d’archives est-allemandes et soviétiques, l’épisode le plus marquant de l’Europe à la fin du XXe siècle.

Or, l’annonce a été faite en public, lors d’une conférence de presse qui était retransmise en direct à la télévision. Et le dirigeant qui l’a annoncé [Günther Schabowski, ndlr] n’était pas au courant de tous les détails : il a simplement lu le texte de cette loi sans préciser qu’elle entrait en vigueur le lendemain. Les Allemands de l’Est qui regardaient la télévision ont entendu cette nouvelle et ont voulu aller se rendre compte sur place, en se rendant aux points de contrôle de Berlin, et ont demandé aux gardes de passer, puisque c’était autorisé.

Les gardes, eux, étaient sans nouvelles, ils essaient d’avoir des directives mais n’ont trouvé personne. Et, au fil des heures, les gens qui étaient d’abord là par dizaines, sont passés à quelques centaines, puis quelques milliers et finalement quelques dizaines de milliers, qui se sont massés dans les différents points de contrôle. La pression était si forte que les gardes, complètement dépourvus d’instructions, ont décidé d’ouvrir les portes vers 23h30. Et là, ça a été la ruée des Berlinois de l’Est vers l’autre côté, inaccessible pour eux depuis 28 ans. 



Quelles sont les raisons de la chute du Mur ?

D’abord, le dépérissement progressif de la RDA sur le plan économique avait privé le régime de tout soutien réel. Ensuite, la volonté des Allemands de l’Est de quitter en masse la RDA. Le nombre de demandes officielles n’a cessé d’augmenter au cours des années 1980.

Mais le changement essentiel est, en 1985, l’arrivée de Gorbatchev au pouvoir en URSS, parce que celui-ci va remettre en cause toute la politique traditionnelle soviétique, en renonçant notamment à s’immiscer dans les affaires intérieures des pays satellites.

Cela va poser un problème dramatique pour la RDA, Etat purement idéologique, construction artificielle qui n’existe que par le soutien théoriquement infaillible de Moscou et par le fait qu’elle a construit un Mur pour empêcher la population de partir. De plus la population, qui a désormais moins peur de la Stasi, n’hésite plus à demander des dossiers pour émigrer définitivement.

A partir de 1989 se produit un nouveau phénomène : les manifestations de rue. Jusqu’alors, il y en avait eu, mais elles étaient tout de suite réprimées. A partir de la fin de l’été 1989, il va y avoir de plus en plus de gens qui vont aller dans les rues pour demander à partir, protester contre le régime ou demander des réformes semblables à celles faites au même moment à Moscou par Gorbatchev. Tous ces mouvements vont se conjuguer et on va arriver à une explosion, et même une implosion du régime, puisqu’en fin de compte le régime lui-même ne va pas réussir à trouver la parade face aux revendications multiples des manifestants.


Quels furent le rôle et la réaction de l’Europe lors de cet évènement ?

A l’égard de la RDA, les Européens ont été antérieurement assez “neutres” : l’Europe occidentale (notamment la France) a surtout soutenu la RFA, en signalant que l’aspiration naturelle des Allemands était à vivre dans un même Etat et que l’aspiration des Allemands à la réunification était légitime et naturelle.

Après la chute du Mur, les réactions ont été un peu différentes. Les Américains ont été les soutiens quasiment infaillibles de la RFA, et ont soutenu le chancelier Kohl, notamment quand celui-ci a vu ensuite qu’il y avait une opportunité historique à saisir pour obtenir le rétablissement de l’unité allemande.

Dans les pays Européens (notamment les principaux), il y avait des sentiments assez mitigés. Les Britanniques (et notamment le Premier ministre de l’époque, Margaret Thatcher) étaient à l’époque très hostiles à la réunification, parce que cela modifiait toute l’architecture européenne, mais aussi parce que cela risquait d’affaiblir Gorbatchev. A ce moment-là, ils préféraient que l’on reste dans un cadre plus convenu.

Le président français François Mitterrand a maintenu la position de principe de soutenir la réunification, mais a demandé, parfois peut-être de manière maladroite, à ce que ce processus se fasse de manière “pacifique” et “démocratique” , revendications un peu surprenantes dans la mesure où jusqu’alors il n’y avait eu aucun débordement et que, après 40 ans, l’Allemagne de l’ouest avait fait ses preuves comme régime démocratique.

M. Mitterrand avait manifesté une autre inquiétude (que les Polonais entretenaient), à savoir que l’Allemagne pourrait avoir la volonté de réviser sa frontière orientale, la frontière Oder-Neisse. Mais cela aussi faisait partie du fantasme, même si le chancelier Kohl l’a lui-même un peu entretenu, en souhaitant ménager (pour des raisons électoralistes) les associations d’anciens réfugiés des territoires de l’Est devenus Polonais, qui étaient présentes en Allemagne de l’Ouest. Mais en Allemagne, il n’y avait strictement aucune revendication territoriale. Cela ne faisait absolument pas partie des préoccupations des Allemands, et le 8 novembre, la veille de la chute du Mur, le Bundestag (le Parlement allemand) avait réaffirmé par une écrasante majorité que la frontière orientale de l’Allemagne était la frontière Oder-Neisse.

Il y a donc eu des craintes du côté français, ce qui a un peu pourri les relations franco-allemandes pendant 2 ou 3 mois. On est sorti de cette impasse par une relance de la construction européenne : l’engagement de Mitterrand et de Kohl en faveur d’un approfondissement de la construction européenne était flagrant. Au début des années 1990, ils se sont entendus pour lancer le processus qui débouchera sur le traité de Maastricht.


Quelles ont été les conséquences de la chute du Mur pour l’Europe ?

Evidemment, la chute du Mur est un évènement phare de la seconde moitié du XXe siècle. D’une part parce qu’elle permet la réunification d’une ville et d’un pays, mais surtout d’un continent divisé depuis la seconde guerre mondiale et, à terme, l’intégration des pays de l’Est dans l’Union européenne.

Seul bémol : les Européens, dans leur ensemble, n’ont pas réussi à établir des rapports de confiance avec la Russie. Evidemment, celle-ci n’est pas perçue, comme du temps de la guerre froide, comme un ennemi. Mais malgré les bouleversements survenus, on est resté dans un cadre stratégique et géopolitique assez similaire, et la Russie reste toujours un point d’interrogation pour les Européens, qui ont des difficultés à gérer ces rapports.


20 ans après, le clivage entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est est-il marqué ?

Non, parce que, sur le plan économique ou juridique, il y a eu des rattrapages ou des assimilations faites entre les deux parties. Les différences sont surtout dans la tête des gens, et cela dépend aussi des générations. Entre ceux qui ont connu la période de la guerre froide, qui ont grandi, ont été éduqués et socialisés dans des mondes différents, oui, les comportements et les attitudes varient. Mais parmi les jeunes générations, on ne voit quasiment plus de différences. Il y a vraiment une dimension européenne qui a été acquise dans les 20 dernières années. C’est assez surprenant : à l’échelle historique, c’est très rapide, c’est vraiment un bouleversement incroyable.


Le 9 novembre 2009, que célèbre-t-on ?

Plusieurs choses à la fois. Les Allemands eux-mêmes célèbrent leurs retrouvailles, en faisant toujours attention à mêler leurs retrouvailles nationales aux retrouvailles continentales. Et de ce côté, on peut célébrer le fait qu’on a maintenant une liberté au sein du continent européen.

On célèbre aussi le fait qu’on a mis fin à un fossé culturel, qui s’était creusé depuis une quarantaine d’années, et le fait qu’on puisse avoir une liberté de bouger, ce qui était la première revendication des gens qui ont manifesté en RDA, à savoir de pouvoir se déplacer normalement d’un côté à un autre.

C’est pour cela que le Mur de Berlin a su saisir cette période, parce qu’il a montré à la fois l’anormalité, la monstruosité de cette division entre l’Est et l’Ouest. Visuellement, en quelques mètres, on avait l’impossibilité physique, au risque de sa vie, de passer d’une rue à une autre, parfois la même, avec le même nom, qui continuait de l’autre côté.

C’est pour cela qu’il s’agit aujourd’hui d’une fête, d’une célébration relativement joyeuse, même s’il y a toujours des difficultés qui peuvent avoir surgi par la suite. Quoi qu’il en soit, c’est réellement une fête, comme elle va être célébrée à Berlin, et notamment par les jeunes générations.


Tous les Européens vont-ils célébrer cet anniversaire ?

Je l’espère ! Parce que, quand même, ça a été la clé, même si les Polonais étaient un peu en avance sur la RDA et ont maintenu l’esprit de résistance. Mais, d’un autre côté, on oublie un peu que les premiers qui se sont révoltés dans le bloc soviétique étaient les Berlinois de l’Est, en 1953, évènement qu’on a tendance à occulter. Il faut que tous les peuples d’Europe se réjouissent d’être ensemble à nouveau, et que l’on puisse à nouveau circuler librement dans toute l’Europe.

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