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Avec l’Euro, football et politique jouent sur le même terrain

De la Guerre Froide à la crise des dettes souveraines en passant par la guerre en Yougoslavie, l’histoire de l’Euro de football a épousé celle du continent. Retour sur 60 ans d’affrontements sportifs aux relents très politiques.

A la manière de nombreuses éditions précédentes, l'Euro 2020 n'a pas été épargné par les controverses politiques - Crédits : Marco Verch / Flickr
A l’instar de nombreuses éditions précédentes, l’Euro 2020 n’a pas été épargné par les controverses politiques - Crédits : Marco Verch / Flickr

Mardi 22 juin 2021. A la veille d’un match Allemagne-Hongrie qui voit les deux équipes se disputer une place en huitième de finale de l’Euro 2020, une décision extra-sportive vient donner un tout autre relief à la rencontre. Ce jour-là, l’UEFA, organisatrice du tournoi, annonce en effet qu’elle rejette la demande de la municipalité de Munich, qui projetait d’illuminer l’Allianz Arena, le stade de la capitale bavaroise, aux couleurs de l’arc-en-ciel.

“De par ses statuts, l’UEFA est une organisation politiquement et religieusement neutre. Etant donné le contexte politique de cette demande […] l’UEFA doit refuser cette requête”, justifie la confédération européenne dans un communiqué. Le “contexte politique” évoqué par l’instance du football continental tient en une loi adoptée par le Parlement hongrois le 15 juin dernier. Ce texte, qui interdit la diffusion de messages à caractère pornographique mais aussi homosexuel ou incitant au changement de genre dans l’espace public, n’a pas manqué de faire réagir au sein de la classe politique européenne.

Quelques jours plus tôt, en amont du lancement de l’Euro, l’UEFA s’était également immiscée sur le terrain politique en rappelant à l’ordre la fédération ukrainienne de football. Cette dernière venait tout juste de dévoiler le maillot que porteraient ses joueurs à l’occasion de la compétition. Sur le blason, la carte de l’Ukraine -incluant la Crimée, annexée par son voisin russe en 2014- apparaissait, tandis que le slogan nationaliste “Gloire aux héros”, repris par les manifestants du Maïdan cette année-là, était inscrit à l’intérieur du col. De quoi susciter la colère de la fédération russe, qui a sollicité l’UEFA pour arbitrer le litige. Après négociation, l’Ukraine a finalement eu gain de cause et les joueurs ont pu arborer ces symboles sur leur maillot.

Ces deux événements pourraient paraître anecdotiques. En réalité, ils s’inscrivent dans la longue histoire politique de l’Euro de football. Dès sa genèse, la compétition créée par Henri Delaunay est en effet marquée par des enjeux extra-sportifs. Secrétaire général de la Fédération Française de Football entre 1919 et 1955, il projette dès sa prise de fonction de créer une compétition continentale. Une compétition qui œuvrerait au rapprochement des peuples par le sport, dans la droite lignée du slogan “plus jamais ça”, repris un peu partout en Europe après la Première guerre mondiale. Mais la montée des nationalismes et les tensions diplomatiques qui fracturent le Vieux Continent durant l’entre-deux-guerres empêchent Henri Delaunay de mener son projet à bien.

Il faut attendre la fin de la Seconde guerre mondiale, marquée par le retour d’un projet politique de concorde et de construction européenne, pour que le premier Euro voit le jour en 1960. Compétition à laquelle il n’assiste pas, puisque Henri Delaunay décède en 1955. Au-delà de sa création, la compétition est ensuite entrée à de nombreuses reprises en résonance avec les mutations, changements et autres crises qui ont émaillé l’histoire de l’Europe. Illustration en cinq dates clés, commentées par Pierre Dubourg, journaliste et auteur de La Grande histoire de l’Euro de foot : matchs mythiques, Guerre Froide et buts en or (Flammarion, 2021).

1960 : le “match fantôme” Espagne-URSS, ou Franco contre Khrouchtchev

D’un côté, l’Espagne du général Franco, emmenée par un trio magique Luis Suarez, Francisco Gento et Alfredo Di Stefano. De l’autre, l’URSS de Nikita Khrouchtchev et son légendaire gardien Lev Yachine. Pour cette première édition de l’Euro, les deux équipes favorites de l’épreuve s’affrontent pour une place en demi-finale sur un aller-retour qui fait saliver les amateurs de football. Malheureusement, la double confrontation n’a jamais eu lieu. Ce “match fantôme”, résultat du contentieux historique et politique qu’entretenaient alors les deux puissances, est resté gravé dans l’histoire de l’Euro.

A l’époque, Franco nourrit une rancune tenace vis-à-vis des Soviétiques qui avaient largement soutenu les Républicains lors de la guerre civile espagnole. Pour le dictateur, il est hors de question d’envoyer les joueurs de la sélection nationale jouer le match aller à Moscou. Il considère que cela reviendrait à souiller le maillot espagnol. Il convoque donc le Conseil des ministres pour exposer son projet de boycott de la rencontre. Les discussions s’éternisent puis, quatre jours avant le match, l’Espagne annule le voyage malgré les plaintes des stars comme Alfredo Di Stefano. Avec un argument contestable, explique Pierre Dubourg.

L’analyse de Pierre Dubourg : Officiellement, Franco justifie ce choix en affirmant que des soldats espagnols de la division Azul [une unité espagnole intégrée à la Wehrmacht et envoyée sur le front russe en 1941, ndlr] faits prisonniers par l’Armée rouge n’ont jamais été renvoyés en Espagne et croupissent encore au goulag. Mais c’est une excuse de façade puisqu’on a appris ensuite que ces 341 prisonniers en question avaient été en réalité rapatriés six ans plus tôt dans le plus grand secret. Avec ce boycott, l’UEFA est confrontée au premier incident diplomatique de son histoire. Elle est contrainte d’exclure l’Espagne de la compétition. L’affaire a un grand retentissement en Europe, l’AFP titre même “ ‘Le football victime de la Guerre Froide’.

1972 : Le “choc des blocs” RFA-URSS ou le triomphe du monde libre

Bien que la Guerre Froide entre dans une période de désescalade au même moment, la finale de l’Euro 1972 s’apparente bien à un choc entre Est et Ouest. Avec d’un côté la République fédérale d’Allemagne (RFA), championne du monde libre emmenée par Sepp Maïer, Gerd Müller, mais surtout Günter Netzer et Franz Beckenbauer. Et de l’autre, l’URSS, en quête d’un deuxième titre international après l’Euro 1960. Le match tourne à la démonstration, les Allemands de l’ouest humiliant les Soviétiques, complètement dépassés (3-0). Une rencontre restée dans l’histoire comme un “choc des blocs”.

L’analyse de Pierre Dubourg : “Cette équipe de RFA est encore aujourd’hui considérée comme la meilleure équipe allemande de tous les temps. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle était emmenée par deux grandes figures : Franz Beckenbauer, le brun, le leader qui incarne le miracle économique ouest-allemand et le capitalisme, et Günter Netzer, le blond, l’anticonformiste talentueux qui incarne les mouvements contestataires et la révolution culturelle qui agitent le monde occidental à l’époque. A eux deux, ils représentent les deux facettes d’une même société et pratiquent les prémices du football total, un jeu fluide et élégant qui déboussole complètement les Soviétiques. La différence de niveau est telle que cette rencontre symbolise la victoire de l’homme occidental sur l’homo sovieticus. D’ailleurs, après cette défaite, Moscou se désintéresse du football. Elle n’en fait plus une vitrine sportive de sa réussite. C’est donc aussi la fin de l’âge d’or du football soviétique.

1988 : Pays-Bas-RFA, ou la revanche de 1940

21 juin 1988. Futurs vainqueurs de la compétition, les Pays-Bas de Marco van Basten viennent de remporter leur demi-finale contre l’Allemagne de l’ouest à Hambourg 2-1. Face aux journalistes, le gardien batave Hans van Breukelen ose : “Je suis heureux d’avoir fait ce cadeau aux anciens qui ont vécu la guerre”. Une déclaration aux relents belliqueux qui témoigne de l’intensité du contentieux opposant les Pays-Bas à l’Allemagne, et par ricochet de la portée symbolique de cette victoire.

L’analyse de Pierre Dubourg :Ce match de folie se joue dans un climat étouffant car les Néerlandais vouent une rancune voire une haine tenace aux Allemands depuis l’occupation nazie lors de la Seconde guerre mondiale. Dans la mémoire collective, plusieurs événements tels que le pilonnage de Rotterdam sont devenus des traumatismes qui se transmettent dans les familles. Les joueurs de la génération de Marco van Basten ont donc grandi dans cette germanophobie, qui leur a été transmise par leurs parents et grands-parents, qui ont vécu cette période.

Outre cette dimension mémorielle, les Néerlandais entretiennent aussi un lourd contentieux sportif avec l’Allemagne de l’Ouest. Ils n’ont plus battu l’Allemagne depuis 32 ans et gardent en travers de la gorge la défaite en finale de Coupe du monde 1974. Tous les ingrédients sont donc réunis pour une rencontre explosive. Sur la pelouse, les tacles sont virils, les insultes nombreuses, mais van Basten inscrit le but de la victoire à la 88ème minute. Les supporters hollandais, mais aussi ses équipiers, sont en transe, au point que le défenseur Ronald Koeman fait mine de s’essuyer le postérieur avec le maillot du joueur allemand Olaf Thon. Ce jour-là, 60% de la population hollandaise est derrière son poste de télé, ce qui montre que ce match allait bien au-delà du football.

1992 : le conte de fées danois sur fond de guerre civile yougoslave

Dix jours avant le début de l’Euro 1992, l’ONU décide de placer la Yougoslavie, en proie à une violente guerre civile, sous embargo. Le conflit, qui a éclaté en 1991, durera dix ans pour un bilan de 140 000 morts. Dans la foulée de cette décision onusiennne, l’UEFA exclut le pays de l’Euro malgré les tentatives d’appel à l’unité du sélectionneur bosniaque et de plusieurs joueurs serbes. La génération dorée des joueurs balkaniques composée de Boban, Šuker, Savićević ne disputera pas la compétition. Le début d’un effet papillon puisque le Danemark est repêché in extremis. En vacances sur la Costa Brava, les joueurs débarquent en tongs en Suède, où se tient la compétition. Le sélectionneur était quant à lui occupé à poser sa nouvelle cuisine et doit interrompre le chantier en urgence.

L’analyse de Pierre Dubourg :En début de compétition, personne ne mise un kopeck sur ces touristes, d’autant que leur meilleur joueur Michael Laudrup s’était brouillé avec le sélectionneur et n’était donc pas convié. Pourtant, ils éliminent les Pays-Bas aux tirs aux buts et en finale ils l’emportent contre l’Allemagne fraîchement réunifiée. Les Danois, qui ont voté non au traité de Maastricht quelques semaines plus tôt, gâchent la fête. Entre la chute de l’URSS et la guerre en Yougoslavie, le pays a profité d’une Europe en pleine mutation pour s’engouffrer dans cet interstice et remporter un prestigieux trophée.

2012 : Allemagne-Grèce, ou le “match de la dette”

Alors que la crise de la dette et la cure d’austérité qui s’ensuit font des ravages en Grèce - le pays affiche un taux de chômage de 25%, un taux de suicide multiplié par deux et une augmentation des infections au VIH de 50% - les joueurs hellènes affrontent l’Allemagne en quart de finale de l’Euro 2012. Or, l’opinion publique grecque impute la responsabilité du naufrage économique du pays à Berlin, très attachée à la rigueur budgétaire en Europe. La presse ose des titres tels que “Vous nous imposez votre FMI, nous mettrons en pièces votre Euro”, tandis que des manifestants brûlent des drapeaux nazis dans les rues d’Athènes. En parallèle, une partie de la classe politique demande à l’Allemagne 300 milliards d’euros de réparations financières pour l’occupation nazie. Côté allemand, le quotidien Bild réplique en titrant “Notre équipe va vous mettre en banqueroute”. Un contexte explosif que tentent d’apaiser les acteurs de la rencontre.

L’analyse de Pierre Dubourg : Fernando Santos, alors sélectionneur de la Grèce, demande à ses joueurs de ne pas chercher de motivation dans ces polémiques et affirme que son équipe respecte le peuple allemand. De son côté, Angela Merkel se rend au stade pour assister au match, qui se solde par une victoire allemande 4-2. Au vu du rapport de forces entre les deux équipes, c’est un bon résultat pour la Grèce, qui n’est pas humiliée et fait honneur à son maillot. Cette rencontre illustre bien la manière dont le spectre de la crise de la zone euro a plané sur la compétition.

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