Tourner la page de l’introspection
On ne devrait pas se bercer d’illusions : la période de ratification a été l’expression d’un malaise plus profond concernant la légitimité du processus d’intégration européenne et la direction prise par l’U.E. Les résultats négatifs des référendums français, néerlandais et irlandais ont signifié clairement que les citoyens européens n’étaient plus disposés à laisser carte blanche à leurs décideurs politiques. La crise politique majeure qui s’en est suivie a contraint l’Europe à se recroqueviller sur elle-même à une periode où de nouveaux défis déferlaient sur une scène internationale soumise à des changements rapides.
sur une vaste panoplie de défis cruciaux, tant internes qu’externes, auxquels l’ UE
est confrontée dans sa quête d’influence et de pertinence à l’ère globale. Lire l’étude ici [pdf].
Peut-on en tirer les bonnes leçons ? Et peut-on le faire sans décevoir les grandes espérances et exigences placées dans l’UE par de nombreux peuples à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union ?
Les enjeux sont en effet énormes. Le monde demeure en même temps très instable, certains conflits ne sont pas résolus, des États sont en faillite, les armes nucléaires prolifèrent ; les idéologies messianiques, le terrorisme et le crime organisé se développent ; la pauvreté, de nouvelles migrations internationales, la compétition permanente pour l’accès aux matières premières et la bombe à retardement nommée réchauffement climatique constituent les autres ingrédients. Pour compléter la longue liste de ces défis inquiétants, l’histoire nous enseigne également que la transition d’un ordre politique à l’autre se fait rarement de manière apaisée.
Le centre du pouvoir se déplace vers l’Est
L’ère de l’unipolarité semble avoir été de courte durée. L’Europe n’occupe plus un rôle central. Le centre du pouvoir gravite ailleurs, et se déplace vers l’Est. Le poids relatif des pays européens, mesuré en termes de population, de revenus et de parts dans le commerce mondiale, a diminué à intervalles réguliers pendant plus de deux décennies ; il ne peut qu’encore décliner dans un avenir proche. Pris indépendamment, les pays européens ne font pas le poids en comparaison d’autres grandes puissances, et ils compteront encore moins demain. C’est la dure réalité qu’il est difficile d’accepter, surtout pour les grandes puissances européennes d’antan.
Dans les années à venir, le défi majeur pour les Européens, sera d’identifier et de défendre collectivement des valeurs et intérêts communs dans un monde où la taille importe encore beaucoup. L’avantage comparatif de l’UE réside peut-être dans son pouvoir normatif ou « soft power », même si dans certains cas les actes ne sont pas à la hauteur de la rhétorique, qui, elle, est loin de faire défaut. Mais le « soft power » peut s’avérer insuffisant dans un monde où on pratique encore largement les « arts martiaux ». Les Européens devront prendre des décisions difficiles, individuellement ou collectivement. Ils ont un modèle, du moins une expérience collective, à exporter au reste du monde, qui se trouve aux prises avec de nouvelles manières de gérer l’interdépendance globale. Ils ont également un voisinage qui comprend plusieurs pays où la pauvreté et l’instabilité se combinent pour constituer un cocktail explosif. C’est un autre défi pour l’Europe comme puissance régionale.
Façonner la mondialisation, défendre des intérêts et valeurs communes, exporter le modèle de gouvernance européen et ajouter plus de substance et d’éléments durs à sa “puissance douce” se combinent et représentent une tâche immense. L’âge global a contraint l’Union européenne à se tourner de plus en plus vers l’extérieur. Il y a, cependant, de nombreuses forces d’inerties et une multiplicité d’intérêts à réconcilier. Quand vient le moment critique, la force motrice la plus puissante peut s’avérer être une force négative, en l’occurrence la crainte d’être marginalisé dans un monde où le pouvoir devient plus diffus mais reste encore très inégalement réparti.
L’Union doit regagner la confiance de ses citoyens
L’intégration européenne est clairement à la croisée des chemins. On doit sortir du cercle vicieux : les fondations de la légitimité de l’intégration européenne ont été affaiblies, et cela agit en retour comme une limite à la capacité européenne de prendre des décisions audacieuses. L’UE devra être re-justifiée pour maintenir sa pertinence. Elle aura besoin d’un nouveau récit et de mesures concrètes pour regagner la confiance des citoyens, et assurer, renouveler et étendre ainsi la fondation sur laquelle le processus décisionnel européen repose. Plus les fondations seront robustes et plus l’action européenne sera décisive à l’avenir.
Pour certains, l’Europe en fait déjà trop et devrait être bridée. Bien qu’il y a sûrement de la place pour plus de subsidiarité dans des domaines spécifiques, ceux qui veulent revenir en arrière refusent simplement de reconnaître la réalité de l’interdépendance et les bénéfices nombreux qui y sont associés. Cependant, dans sa gestion de l’interdépendance, l’UE doit prendre en compte plus efficacement les préoccupations de ceux qui sont lésés. Quand il pleut, il est plus logique de chercher un parapluie que de menacer les nuages du doigt. Pour une majorité de citoyens européens, l’UE fournit ce parapluie, et plus encore : elle est une partie de la réponse aux nombreux défis auxquels les fières nations d’Europe sont confrontées. C’est le message que les institutions européennes et les leaders politiques nationaux devraient faire passer : avec des actes en lieu et place de mots ! On peut relever le défi !
Loukas Tsoukalis, Olaf Cramme et Roger Liddle
En savoir plus :
L’étude “Une UE à la hauteur des enjeux de l’âge global : peut-on relever le défi?”
Le site du Policy Network
Le dossier de Touteleurope.fr sur la stratégie UE 2020