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Un an de gestation pour la diplomatie européenne

Le 1er décembre, Catherine Ashton a réuni les ambassadeurs européens pour fêter l’anniversaire de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. L’évènement était détendu et festif, mais n’a donné lieu à aucun point presse, et très rares en ont été les retombées médiatiques. Un élément qui interpelle, tout juste un an après que l’Europe se soit donnée l’ambition de mener une diplomatie plus active et visible. C’est aussi l’occasion pour Toute l’Europe de revenir sur la première année de mandat de la haute représentante pour la politique étrangère, et la mise en place du service européen d’action extérieure.

Une nomination surprise

La désignation par les Etats membres, le 19 novembre 2009, de Catherine Ashton pour diriger la diplomatie européenne prend tout le monde par surprise, y compris la principale intéressée. Cette baronne britannique de 53 ans, commissaire en charge du Commerce depuis un an à peine, avoue ne pas avoir préparé de discours. Seul élément qui marque les esprits : lorsque cette mère de famille affirme ne pas être prête à “faire 300 000 km par an” , comme son prédécesseur Javier Solana, haut représentant pour la PESC.

En effet, la nomination pour les nouvelles figures européennes de personnages sans grande expérience internationale et peu connus sur le continent, en vertu d’un complexe équilibre de nationalité, de genre et d’appartenance politique, passe mal auprès des médias et des opinions publiques. Les critiques pleuvent chez les uns, laissant à d’autres le devoir de modérer les réactions, afin de ne pas saboter le nouveau système : l’eurodéputée socialiste française Sylvie Guillaume préfère accorder à Catherine Ashton et Herman Van Rompuy une “présomption de compétence” . Aussi la haute représentante est-elle attendue de pied ferme dans l’hémicycle du Parlement européen au moment de son audition, le 11 janvier 2010.

Avec la création du poste de haut représentant, sorte de ministre des Affaires étrangères européen, et de son service diplomatique, le traité de Lisbonne espère renforcer le rôle de l’Union européenne sur la scène internationale en créant une vraie diplomatie portée par des choix stratégiques communs.


Mais Catherine Ashton déçoit. Le discours qu’elle délivre est trop générique pour convaincre, et cadre mal avec les ambitions affichées par le traité de Lisbonne. Pour les eurodéputés, elle manque de connaissance des dossiers, de vision pour le poste, et pour certains ne se détache pas assez de la ligne diplomatique du Royaume-Uni, son pays d’origine.

Des débuts difficiles

Son premier test de terrain ne se fait pas attendre : un tremblement de terre d’une violence extrême coûte la vie à 200 000 Haïtiens, en blesse 300 000 autres et détruit les infrastructures déjà maigres du pays. Le monde entier se mobilise pour venir en aide aux Haïtiens, et les ministres des Affaires étrangères des principaux pays du monde se rendent à Port-au-Prince pour manifester leur solidarité et annoncer leur aide.

Mais Catherine Ashton est la grande absente de cette mobilisation internationale. L’Europe est pourtant la plus grande contributrice publique au monde en ce qui concerne l’aide au développement et l’aide humanitaire, avec un budget quatre fois plus important que celui fourni par les Etats Unis.

A Bruxelles et dans les capitales, tous regrettent cette occasion manquée, un mois et demi seulement après l’entrée en vigueur d’un traité qui promettait une visibilité accrue pour l’action diplomatique de l’Europe. “Je ne suis ni un docteur, ni un pompier” , se défend Mme Ashton, qui justifie son choix de rester pour mener un travail de coordination des efforts européens “sans chercher à faire les gros titres” , et sans “détourner l’attention et les rares ressources d’aide” . Elle dénonce le “tourisme du désastre” , rappelant que les avions des hautes personnalités paralysent l’aéroport de Port-au-Prince, empêchant les ravitaillements d’arriver. Des arguments valables, mais qui ne prennent pas en compte la dimension symbolique de son choix.

Certains Etats membres (Finlande, Luxembourg, Allemagne), inquiets de l’impact de la mauvaise presse qui est faite à Catherine Ashton, vont multiplier les déclarations en sa faveur.


Au-delà de cette crise, la haute représentante a du mal à habiter sa fonction. Absente d’un certain nombre de rendez-vous importants (comme la réunion des ministres mondiaux de la Défense fin février 2010), elle se laisse prendre la place par d’autres personnages, comme le directeur général de la DG Relex (Relations extérieures). Ses premiers déplacements diplomatiques évitent les zones les plus “chaudes” du globe.

Ce n’est qu’à partir du mois de mars qu’elle choisit de se rendre au Proche Orient et dans la bande de Gaza. A partir de ce moment, les critiques à son égard se calment, et elle parvient mieux à honorer ses obligations. Elle a tout de même quelques difficultés à s’affirmer, commet quelques ratés (en Thaïlande, ou lors de l’affaire de la flottille de Gaza…), et continue à faire des choix d’agenda contestables.

L’organigramme du SEAE : deux visions concurrentes

Il faut dire qu’un dossier accapare toute son attention : la mise en place du Service européen d’action extérieure (SEAE), un exercice extrêmement délicat.

Créé par le traité de Lisbonne, le service nécessite le vote de trois règlements pour pouvoir fonctionner : un premier pour définir la manière dont il sera organisé (l’organigramme), un second pour en arrêter le budget, et un troisième concernant son personnel.

Ces trois sujets nécessitent un accord entre les trois institutions européennes, accord qui sera particulièrement difficile à trouver tant les visions du Conseil et du Parlement seront divergentes.

L’aspect le plus litigieux est évidemment celui de l’architecture du service. Le 18 mars, Catherine Ashton propose un organigramme : d’organisation hautement hiérarchique, il est dirigé par un secrétaire général très puissant et indépendant de la Commission européenne. Cette configuration est très loin des desiderata du Parlement européen, qui contre-attaque quatre jours plus tard en en présentant une version bien différente : un grand service, étroitement lié à la Commission, et qui couvre un large éventail de thèmes Relex (développement, aide humanitaire, etc.).

Les députés en profitent pour annoncer le reste de leurs requêtes : sur le budget, ils exigent une ligne budgétaire par mission ; sur le personnel, ils veulent pouvoir auditionner les candidats aux postes importants du service, et insistent sur un équilibre de genre et de provenance dans les recrutements.

Le 19 avril, c’est au tour des Etats d’afficher leurs préférences : ils proposent une structure un peu plus horizontale pour le service, qui comprendrait, plutôt qu’un unique secrétaire général, un trio de secrétaires sur un pied de quasi-égalité.

Le combat du Parlement

Les cartes désormais sur table, de très vives négociations se poursuivent entre les deux législateurs, Parlement et Conseil. Emblématique de cet affrontement, l’opposition frontale entre le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes Pierre Lellouche et le chef du parti libéral au Parlement européen Guy Verhofstadt. Pour Pierre Lellouche, “le Parlement et la Commission doivent cesser leur combat d’arrière-garde” , qui s’apparente à une “querelle de chapelle incompréhensible” : “soyons sérieux, la diplomatie, ce sont les nations avant tout !” , estime-t-il. Guy Verhofstadt dénonce quant à lui “une bataille acharnée où tous les coups bas, jusqu’à la veille de ce vote, ne nous auront pas été épargnés” .

En réalité, le Parlement n’est pas en position d’imposer ses choix en matière diplomatique, qui reste l’affaire des Etats. Il réclame depuis longtemps un rôle en matière de politique étrangère, ce que le Conseil s’obstine à lui refuser. Mais c’est le mode de fonctionnement historique du Parlement européen que de commencer avec peu et d’étendre au fur et à mesure ses propres compétences par le biais de combats circonstanciés. De ses revendications sur le SEAE, le Parlement a fait un symbole des pouvoirs rénovés que lui confère le traité de Lisbonne : bien que simplement consulté sur l’organigramme, il a résolument lutté, en s’appuyant notamment sur les armes dont il disposait : un poids décisif sur le budget et le statut du personnel.

Pour débloquer les discussions, Mme Ashton présente au Parlement le 21 juin une “lettre d’engagement politique” : sans trop lui concéder dans les textes, elle prend des engagements dans l’exercice de sa fonction, comme celui de venir s’exprimer devant lui quand il le demande. Ce geste permet d’empocher l’accord. Le Parlement le vote en plénière le 9 juillet.

Bien que la plupart des commentateurs y voient une défaite du Parlement, puisque l’organigramme final est à peu de choses près celui des Etats, Guy Verhofstadt insistera sur les éléments arrachés aux Etats : un budget autonome contrôlé par le Parlement, 60% de fonctionnaires statutaires, une audition par les parlementaires des candidats des Etats. Enfin, “la coopération au développement ou encore la politique de voisinage ne seront pas des variables d’ajustement des politiques nationales, et les commissaires en garderont la haute main devant le Parlement” , explique-t-il. N’oublions pas non plus qu’au départ le Parlement n’avait aucun droit de regard sur les affaires diplomatiques.

Le 26 juillet marque la naissance officielle du service, avec la décision du Conseil fixant l’organisation et le fonctionnement du SEAE, et l’avis favorable du Parlement, voté à une majorité finalement très large.

Les deux autres aspects (le budget et le personnel du service) mettront encore quelques semaines à être arrêtés par le Parlement et le Conseil. Le compromis fixe que les effectifs seront constitués au moins à 60% de diplomates de l’UE, et au moins à un tiers de diplomates nationaux. Quant au budget, il sera sous contrôle parlementaire. Le dernier règlement est approuvé le 20 octobre. Deux jours plus tard tombe la décision sur le lieu d’installation du service.

Remplir l’organigramme

Les ambassadeurs sont chargés d’une mission “de représentation, de coordination et de négociation pour le compte de l’UE” .

Parallèlement à ces débats, la haute représentante avait commencé dès le début de l’année à nommer les ambassadeurs de l’UE, d’abord sans consultation préalable des Etats membres, ce qui n’a pas manqué de les irriter. La nomination de Joao Vale de Almeida, directeur général de la DG Relex, à l’ambassade de Washington, avait pris les dirigeants européens de court. La France, la Suède et le Royaume Uni avaient riposté par des lettres exigeant leur aval pour toute nomination future.

Aussi lorsque les nominations reprennent, à l’automne, c’est sous l’œil attentif des Etats membres, et même avec leur active participation. Les candidatures nationales affluent, mais se concentrent sur les lieux les plus attractifs. Les nominations se font par vagues successives. Les nommés aux postes les plus stratégiques sont auditionnés par le Parlement, mais l’ambiance est tendue. Les parlementaires estiment que l’équilibre géographique n’a pas été respecté ; ce qui n’est pas entièrement involontaire, la Haute représentante ayant annoncé des recrutements fondés uniquement sur le mérite des candidats. L’exaspération grandit de part et d’autre, et certaines auditions sont reportées.

Le 6 septembre, Herman Van Rompuy annonce qu’il souhaiterait lui-même se doter d’un “petit” service diplomatique, une annonce qui surprend beaucoup mais qui ne fera pas long feu.


Avec l’approbation définitive de tous les règlements fixant les modalités de fonctionnement du SEAE le 20 octobre, Catherine Ashton peut enfin nommer son équipe dirigeante. Sans surprise, c’est le Français Pierre Vimont qui hérite du poste de secrétaire général. Il est assisté de deux adjoints, l’Allemande Helga Schmid et le Polonais Maciej Popowski. L’Irlandais David O’Sullivan sera quant à lui responsable administratif.

Quel bilan pour cette année difficile ?

Le 1er décembre, afin de fêter l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, et donc la création de son poste et de son service, Catherine Ashton a réuni ses ambassadeurs et dressé le bilan de son action en 2010. L’ambiance était détendue et festive. La haute représentante a tenu un discours touchant, sans notes, sur son parcours personnel des mois passés. Pourtant, l’événement n’a donné lieu à aucun point presse, montrant qu’elle n’a pas encore tout à fait retenu la leçon concernant sa visibilité.

Le site Bruxelles2 remplit au fur et à mesure l’organigramme du SEAE.

Voir le schéma

Aujourd’hui, les nominations des ambassadeurs et de l’équipe du service ne sont pas terminées. Mais certains Etats (Suède, Bulgarie, Pays Bas) ont déjà fermé des ambassades, comptant désormais sur celles de l’UE.

Avec le recul, et malgré des débuts difficiles, certaines voix s’élèvent pour saluer le travail de Catherine Ashton. C’est le cas de Jean-Luc Sauron, qui à l’occasion d’une interview accordée à Toute l’Europe a rappelé l’importance du débat entre le Parlement et le Conseil qui a compliqué la tâche de la haute représentante. Pour lui, Catherine Ashton a bien travaillé. En effet, ces six mois de débats, s’ils peuvent paraître longs de prime abord, ne pèsent en réalité pas lourd comparé au circuit européen habituel. C’est un bon résultat que d’être parvenu à finaliser un travail si important en un an.

Mais contrairement à la monnaie unique, la diplomatie européenne ne supprime pas les vingt-sept diplomaties nationales. Or le nouveau service ne doit pas devenir une vingt-huitième cellule diplomatique : les Etats auront peut-être du mal à lui laisser la place qui lui est due. De même, la Commission européenne devra accepter de partager ce qui étaient auparavant ses propres délégations. Ainsi l’équipe du SEAE devra-t-elle faire preuve de volonté et d’initiative pour exister. Cela tiendra largement à la personnalité de Catherine Ashton, qui doit encore convaincre, et faire mentir le triste constat de l’eurodéputée libérale française Marielle de Sarnez : “plus nous procédons à des nominations plus nous créons des fonctions et des titres, moins nous existons” .

En savoir plus :

Le service européen d’action extérieure - Touteleurope.eu

La haute représentante - Touteleurope.eu

Bruxelles2, source d’information sur l’Europe de la défense

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