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Révision constitutionnelle en Turquie : une véritable démocratisation ?

Un référendum important concernant la révision de 26 articles de la constitution turque aura lieu le 12 septembre 2010 en Turquie. Cette révision constitutionnelle semble être l’objet d’une intense bataille politique, entre  le parti au pouvoir (AKP, parti de la justice et du développement) et les bastions kémalistes. Si elle trouve son origine dans l’histoire contemporaine du pays, le prochain référendum apparaît également déterminant pour la future nature du régime turc.Â

Une vie politique autrefois dominée par l’Armée

La Turquie, jeune nation crée en 1923 par le traité de Lausanne, a connu une vie politique extrêmement agitée, parsemée de coups militaires (1961,1971 et 1980) qui ont chaque fois redistribué le jeu politique au grès des interdictions des partis. Il s’agissait d’une vie politique faite sur mesure pour les militaires, qui dirigeaient de facto le pays, et façonnaient les constitutions à leur image. La dernière en date, celle de 1982, écrite suite au dernier coup d’Etat de 1980, révèle bien la nature du régime mis en place : constitutionalisme sécuritaire et démocratie contrôlée sont les aspects fondamentaux de la “mission des militaires” . De nombreuses limites aux droits et libertés fondamentaux sont ainsi infligées, et le Conseil de Sécurité National, organe qui est une émanation de l’état-major, donne à l’armée le rôle de garant du système.

Pour rappel, l’armée turque est considérée comme le garant des piliers de la république turque, et comme le principal instrument de la victoire turque, à la suite de la guerre d’indépendance (1919-1922). Définie à travers les 6 flèches de Mustafa Kemal, l’armée devait être à l’image de la république et portait les valeurs suivantes : républicanisme, populisme, laïcisme, révolutionnarisme, nationalisme et étatisme. Si son interventionnisme à partir des années 60 dans la vie politique a été fortement critiqué et condamné, cette institution demeure symboliquement très forte, puisqu’elle représente l’indépendance nationale et nourrit de facto un fort nationalisme en Turquie.

Une constitution obsolète

La signature de l’accord portant sur l’Union douanière entre la Turquie et l’Union Européenne en 1995, puis au Conseil d’Helsinki de 1999 où la vocation européenne de la Turquie est reconnue, incitent le pays à plus de réformes. Une importante révision constitutionnelle a lieu en 2001 complétée en 2004, qui consacre notamment l’égalité homme/femme devant la loi, la surpression de la peine de mort, et la suprématie du droit international sur le national. Mais depuis l’installation au pouvoir de l’AKP il y a huit ans, une nouvelle révision lui a semblé nécessaire, d’autant plus dans la perspectives de l’intégration de la Turquie et l’Union Européenne. D’autres, comme le principal parti d’opposition CHP, y voit une étape de plus dans la confrontation entre “l”agenda caché” de l’AKP contre le nature laïque de l’Etat turc.

Les enjeux de la révision constitutionnelle

La révision constitutionnelle touche particulièrement l’institution judiciaire, dernier bastion du kémalisme en Turquie. Après l’affaire Ergenekon en 2005, mettant à mal l’Armée, et la crise politique de 2007 qui a vu la justice turque réclamer la tête du parti au pouvoir, cette nouvelle révision constitutionnelle apparait comme une énième confrontation entre conservateurs AKP et kémalistes.

Le climat politique s’est effectivement tendu entre les deux camps depuis l’Affaire Ergernekon de 2005, qui a vu la mis à jour d’une nébuleuse politico-militaro-mafieuse visant à renverser l’AKP par un coup d’Etat. A la suite de cette découverte de nombreuses personnalités politiques et chefs d’Etat Major turcs ont été emprisonnés. Cette affaire a largement cristallisé les tensions qui règnent en Turquie entre les islamo-conservateurs et les tenants des principes républicains turques.

C’est dans cette atmosphère tendue que la révision constitutionnelle est vue comme un moyen d’élargir le nombre de membres de la Cour constitutionnelle et du Haut Conseil de Juges et des Procureurs (HSYK) et de nommer les nouveaux membres parmi les proches du parti présidentiel. La logique sous-jacente de cet évènement serait que l’AKP chercherait à contrôler l’appareil judiciaire afin de se renforcer avant les élections législatives de 2011. En Turquie, il se dit aussi que l’AKP et le Premier ministre Tahip Erdoğan voudrait prendre une revanche sur le coup d’Etat du 12 Septembre 1980, à cause duquel, son ancien “parti islamiste du salut national” avait été interdit, et sur les militaires en général qui l’avaient emprisonnés suite à un de ses discours incitant à la haine. La date choisie par l’AKP du 12 septembre 2010, soit 30 ans après le dernier coup d’Etat, pour soumettre la révision constitutionnelle par voie référendaire contribue largement à attiser les tensions entre les islamo- conservateurs et les partisans d’une laïcité radicale.

Une révision constitutionnelle souhaitée par tous, mais pas à n’importe quel prix

Sur le fond, tous les partis politiques, syndicats et organisations de la société civile sont acquis à la nécessité absolue d’une nouvelle constitution. Cette révision constitutionnelle, si elle est acceptée par le peuple turc, devrait mettre fin aux juridictions militaires, et à la possibilité pour la justice de supprimer partialement un parti politique. Deux changements présentés comme l’autre enjeu fondamental de la révision constitutionnelle. Cela est également vu comme un recul supplémentaire de “l’Etat profond” , cette nébuleuse politico-militaire qui gouvernerait réellement le pays.

De plus cette révision favoriserait une plus grande liberté syndicale. Elle permettra également la création d’un médiateur de la république, un renforcement de l’égalité des sexes, et une meilleure protection des enfants. Cependant, si une large partie du fond de la réforme semble être acceptée par tous, la forme fait polémique. Didem Eğim, membre de l’assemblée du Parti Républicain du Peuple, affirme en effet que ” le projet de révision constitutionnelle partielle, a été préparé à huis clos par l’AKP, sans aucune recherche de consensus au sein du Parlement et en ignorant les suggestions des autres acteurs constituants la société tels que les Alévis, ONG ou syndicats” .

A deux jours du référendum, les partisans du oui représenteraient 56.2% des votants contre 43.8% contre.

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