Dans le cadre des traités européens, les Etats membres de l’Union européenne doivent combattre toutes les activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, et ériger cette fraude en infraction pénale passible de sanctions.
Cette disposition vise à garantir que l’argent issu du budget de l’Union européenne est utilisé correctement. Par exemple en vérifiant que les fonds européens ne sont pas détournés, qu’ils sont dépensés à bon escient ou que la TVA est bien perçue, puisqu’une partie en est reversée au budget de l’Union européenne.
Mais la compétence pénale étant exclusivement réservée aux Etats membres, les systèmes nationaux de répression des fraudes n’ont pas tous les mêmes capacités. Les sanctions prévues pour un même délit, allant de la simple amende à de lourdes peines carcérales, diffèrent également. Les compétences des juridictions nationales sont par ailleurs limitées aux frontières des Etats : elles ne permettent donc pas de lutter efficacement contre la criminalité financière transfrontière, qui constitue l’un des principaux volets de la fraude au budget européen.
Enfin, les autres organes de l’UE (OLAF, Eurojust, Europol…) ne sont pas habilités à mener des enquêtes et poursuites pénales dans les États membres.
Quelle est l’ampleur des fraudes aux intérêts de l’Union ?
La fraude contre les intérêts financiers de l’Union européenne est aujourd’hui largement répandue. Dans une communication de 2011, la Commission remarquait déjà que “du fait des différences entre les cadres juridiques des États membres et des entraves aux enquêtes transfrontalières (d’ordre opérationnel et organisationnel) qui en résultent, les intérêts financiers européens ne sont pas protégés de manière uniforme dans l’ensemble de l’Union”.
En 2018, la fraude à la TVA aurait représenté à elle seule 140 milliards d’euros de pertes pour les budgets des Etats membres. Un chiffre qui pourrait avoir atteint 164 milliards d’euros en 2020 en raison de la crise du Covid-19, selon les estimations de la Commission européenne.
Entre 2010 et 2019, l’Office européen de lutte contre la fraude (OLAF), habilité à mener des enquêtes administratives, a quant à lui recommandé le recouvrement de plus de 7,3 milliards d’euros pour le budget de l’UE, et présenté plus de 2 700 recommandations de mesures judiciaires, financières, disciplinaires et administratives. Des mesures que les autorités compétentes des États membres et de l’UE sont invitées à prendre, l’office n’ayant pas lui-même de pouvoir de sanction. Or les Etats membres classent régulièrement ces affaires “sans suite” après un “examen sommaire” , juge la Commission.
Qu’est-ce que la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ?
Si les contrôles douaniers ont été supprimés au sein de l’Union européenne, un montant de TVA continue cependant à s’appliquer pour l’exportation de biens et de services d’un pays membre à un autre.
En principe, cette taxe doit être acquittée dans l’Etat membre où le bien est consommé. Mais des entreprises peuvent monter des opérations frauduleuses pour ne pas s’en acquitter ou jouer sur le manque d’harmonisation des taux entre les Etats membres.
La fraude à la TVA est souvent liée à la criminalité organisée et affecte à la fois les Etats membres et l’Union européenne, dont une partie des recettes repose sur la TVA récupérée par chaque Etat. Même si, dans le cadre de coopérations, les administrations fiscales des Etats membres peuvent partager des informations, cet échange n’est ni systématique ni exhaustif.
Pourquoi un Parquet européen ?
Un pouvoir d’enquête de dimension européenne comme celui du Parquet européen se veut donc une réponse à ces lacunes. Il s’agit de la première instance européenne indépendante avec des compétences judiciaires propres.
Sa mission est de diriger des enquêtes et mener des poursuites pénales contre des infractions portant atteinte au budget de l’UE, telles que la fraude, la fraude transfrontière à la TVA (en cas de préjudice dépassant 10 millions d’euros) la corruption, le détournement de fonds ou d’actifs de l’UE par un agent public, ou le blanchiment de capitaux et la criminalité organisée.
Il exerce l’action publique devant les juridictions des États membres, c’est-à-dire qu’il peut engager des poursuites directement au niveau national (le projet ne prévoit pas la création d’un tribunal européen).
Pourquoi n’entre-t-il en fonction que le 1er juin ?
Le Parquet européen, basé à Luxembourg aux côtés de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et de la Cour des comptes européenne, aurait dû entrer en fonction au mois de novembre 2020. La pandémie de Covid-19, mais aussi le retard de certains Etats membres dans la désignation de leurs procureurs délégués, a cependant retardé cette échéance.
La nomination de l’ensemble - ou presque - des procureurs délégués était un préalable au fonctionnement effectif de l’organisation. Mais en novembre 2020, seuls 40 procureurs délégués européens de 15 pays avaient été nommés.
Le 7 avril 2021, la procureure en chef, Laura Kövesi, a proposé la date du 1er juin 2021 pour l’entrée en fonction du Parquet européen. Deux mois plus tard, celui-ci compte 88 procureurs délégués de 20 pays, un nombre qui suffit pour débuter les travaux, bien que les procureurs délégués de Finlande et de Slovénie manquent encore à l’appel.
Le gouvernement slovène de droite populiste, qui prend la présidence du Conseil de l’UE le 1er juillet, a récemment refusé de reconnaître les deux candidats de son pays au poste de procureur européen. Une décision qui a entraîné la démission de la ministre slovène de la Justice et que Mme Kövesi a qualifié de “très mauvais signal” lors d’une interview à Politico, soulignant le “manque de coopération sincère” du gouvernement. La Finlande, elle, doit encore résoudre un débat sur la possibilité pour les procureurs européens de travailler également comme procureurs nationaux, explique le média en ligne.
Qui en est membre ?
La Commission européenne a présenté une proposition de règlement portant création du Parquet européen en 2013. Mais après l’échec des négociations à Vingt-Huit (lire ci-dessous), les ministres français et allemand de la Justice ont finalement proposé en décembre 2016 d’instaurer cet instrument via le mécanisme de la coopération renforcée.
Aujourd’hui, 22 États membres de l’UE participent à cette coopération : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie.
La Hongrie, la Pologne et la Suède ont décidé de ne pas participer au parquet européen - la Hongrie a néanmoins signé un accord de coopération avec l’organisme le 9 avril 2021. Le Danemark et l’Irlande disposent d’une dérogation (opt out) sur les questions de justice et d’affaires intérieures.
Coopération renforcée
“Pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union”, l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) permet à un groupe composé d’au moins neuf Etats membres d’aller de l’avant en cas d’absence d’unanimité au Conseil concernant la création d’un Parquet européen.
En juin 2017, ce sont finalement 20 Etats membres qui sont parvenus à un accord politique sur la création d’un parquet, dont le règlement est entré en vigueur en novembre 2017. Deux Etats, Malte et les Pays-Bas, y ont adhéré en 2018.
Qui y siège ?
Le 16 octobre 2019, la procureure générale de Roumanie Laura Codruta Kövesi a été nommée procureure du Parquet européen pour un mandat de sept ans non renouvelable.
Le collège se compose par ailleurs d’un procureur européen par État membre, choisis par le Conseil au sein des trois candidatures soumises par État. En juillet 2020, le collège des 22 procureurs européens a été désigné pour six ans (avec une rotation partielle tous les trois ans pour un tiers des États). Parmi eux figure le Français Frédéric Baab.
Au niveau décentralisé, des procureurs européens délégués sont chargés de mener les enquêtes et les poursuites pénales dans chaque pays en lien avec les autorités nationales. 5 d’entre eux ont été nommés par la France.
Deux autres candidats étaient en concurrence pour la direction du Parquet européen : le Français Jean-François Bohnert et l’Allemand Andres Ritter. Début février 2019, Mme Codruta Kövesi a été désignée par un comité d’experts comme la candidate favorite pour le poste. Bien que le Français ait été préféré par le Conseil de l’Union européenne, la Roumaine a obtenu le soutien des eurodéputés le 26 février en commission. Après un accord conclu le 23 septembre, le Conseil de l’UE puis le Parlement européen ont officialisé sa nomination.
Quelles sont les limites des autres organes de lutte contre la fraude ?
Le Parquet européen doit travailler main dans la main avec les autorités nationales. Il collabore également étroitement avec d’autres acteurs tels que l’OLAF, Eurojust, Europol et les parquets nationaux.
L’OLAF : Bien que muni d’un pouvoir d’enquête indépendant, l’Office européen de lutte anti-fraude n’émet que des “recommandations”, que les États membres sont ensuite libres de suivre ou non. De plus, l’OLAF est limité aux enquêtes administratives, ce qui n’est pas le cas du Parquet. Ce dernier peut en outre directement mener des poursuites à l’échelle nationale, en respectant les lois en vigueur dans l’État membre.
Eurojust : Son rôle est d’améliorer la coopération et la coordination entre les autorités judiciaires, mais il ne peut procéder lui-même aux enquêtes ou aux poursuites.
Europol : L’Office européen de police a pour mission de coordonner et faire coopérer les forces de police des États membres. Mais Europol ne peut pas non plus mener d’enquêtes policières ou de poursuites.
Les parquets nationaux : Pour lutter contre la fraude, chaque État membre dispose de son propre système. A minima, chacun possède un “service de coordination antifraude”, qui peut être complété par une politique nationale. En France par exemple, le Parquet national financier créé en 2014 s’occupe de délits boursiers, de fraude fiscale ou encore de faits de corruption. Ces organismes nationaux traitent néanmoins en priorité les affaires intérieures. Les affaires européennes, souvent transfrontalières, demandent une coordination des différentes forces nationales, que le Parquet européen doit faciliter.
Un projet qui a fait son chemin
L’idée d’un Parquet européen remonte à plusieurs décennies.
Dès 1988, une unité de coordination de lutte anti-fraude (UCLAF) est créée au sein du secrétariat général de la Commission européenne. En 1995, une Convention sur la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (PIF) est signée.
En 1996, la création d’un Parquet européen est évoquée plus précisément, à la fois par le président du Parlement européen de l’époque, Klaus Hänsch, et par 7 juges via l’appel de Genève qui dénonce les carences de l’entraide judiciaire internationale.
L’ouvrage Corpus Juris, commandé en 1997 par la Commission européenne et dirigé par la juriste française Mireille Delmas-Marty, marque un vrai tournant pour la création du Parquet européen. Il propose pour la première fois la création d’un ministère public européen spécialisé composé d’un procureur général européen et de procureurs européens délégués dans les Etats Membres.
En 1999, dans le cadre de la convention PIF, l’Office européen de la lutte anti-fraude est créé en remplacement de l’UCLAF, approfondissant la politique anti-fraude de l’Union européenne.
Un livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un Procureur européen est publié deux ans plus tard, affirmant la volonté de l’Union européenne de créer un Parquet européen.
La création d’une telle instance est officiellement inscrite dans le traité de Nice (2001), puis dans celui de Lisbonne (2007) avec l’article 86 TFUE.
En 2011, la Commission publie une communication relative à la protection des intérêts financiers de l’Union européenne par le droit pénal et les enquêtes administratives, dans laquelle elle soutient l’idée de la création d’un “ministère public européen spécialisé, comme le Parquet européen” .
En 2013, elle présente officiellement une proposition de règlement du Conseil portant sur la création d’un Parquet européen.
Mais les discussions sont bloquées par l’opposition ferme de certains pays, comme les Pays Bas, la Suède, la Pologne ou la Hongrie.
Les réticences de certains Etats membres tenaient, pour la plupart, dans la crainte de céder certaines prérogatives nationales à l’Union européenne. En effet, permettre à une instance européenne d’agir directement dans le champ juridique national constitue un pas conséquent vers une Europe plus intégrée, que craignent certains pays.
C’est donc finalement la coopération renforcée qui a permis à 16 Etats membres, puis 20, puis 22, de mettre en place un Parquet européen. Les Pays-Bas et Malte ont ainsi changé d’avis en 2018 et adhéré au projet.
1 commentaire
A l’attention de Madame Laura Kövesi
Madame la Procureure,
Nous voulons porter à votre connaissance, le soutien inconditionnel que nous apportons à Madame Virginie Joron et les autres député(e)s pour l’action qu’ils mènent, depuis plusieurs mois pour établir l’entière vérité sur les vaccins de pfizer, les contrats exhorbitants et le rôle obscure de la Présidente de la Commission Européenne.
Salutations distinguées.