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La France dans la nouvelle Europe

Les premiers pas, les désillusions, les nouvelles opportunités : la construction européenne ressemble à un Bildungsroman. Soixante ans après la déclaration Schuman, l’Union européenne semble avoir atteint l’âge d’adolescence et la traditionnelle crise de personnalité se fait sentir, exprimée par les rejets du traité constitutionnel et du traité de Lisbonne. Dans cette relation nouvelle à l’Europe qui est en train de se dessiner, la France occupe une place révélatrice, qu’analyse Christian Lequesne dans un essai intitulé “La France dans la nouvelle Europe”.

La chute du mur et des illusions françaises

Le livre part de l’hypothèse selon laquelle la fin de la guerre froide a déstabilisé les rapports entre les élites politiques françaises et l’Union européenne. Socialisés dans la “petite” Europe (de l’Ouest), les dirigeants politiques français étaient habitués à ce que Lequesne appelle le “fonctionnalisme tranquille” de la décennie 1980, caractérisé par un assentiment tacite des citoyens français à l’égard d’un projet européen conduit surtout par les élites politiques et administratives.

La fin de la guerre froide a mis un terme à cet état des choses. Christian Lequesne cite la chercheuse roumaine Antonela Capelle Pogãcean, pour qui la France est, elle aussi, un pays postcommuniste qui a dû s’adapter à la chute du bloque soviétique et aux nombreuses transformations dans les pays de l’Europe centrale et orientale. La réaction de la France après les événements de 1989 a été d’appeler à la création d’une confédération européenne “qui associera tous les États de notre continent” , selon la formule de François Mitterrand dans ses vœux aux Français à la fin de cette année-là. Cette initiative s’est soldée par un échec, puisque les nouveaux pays de l’Europe centrale se voyaient comme des membres à part entière de l’Union européenne plutôt qu’associés, dans une vague confédération, à la fois aux vieux pays du continent et à une URSS en voie de désintégration. De cet épisode date l’image de la France perçue comme un pays cherchant à ralentir l’adhésion à l’UE des pays postcommunistes, mettant toujours en avant les risques de cet élargissement.

D’autres causes expliquent les réticences françaises à l’égard de cet élargissement. Parmi celles-ci, la peur d’une fin du leadership franco-allemand sur les politiques européennes, du fait de la proximité des pays d’Europe centrale et orientale avec les positions britanniques. L’auteur mentionne aussi la difficulté des élites françaises à comprendre que pour les Européens de l’Est, démocratie et économie de marché sont inséparables.

D’où l’image de la France répandue dans les nouveaux États membres : celle d’un pays qui a peur du marché, d’un pays pro-russe et anti-américain, d’un pays qui, finalement, se comporte comme un pouvoir hégémonique. Aux yeux des nouveaux entrants, la France préférait la “petite” Europe et peine à s’adapter au nouveau cadre européen.

Entre peurs et opportunités

Christian Lequesne propose des solutions pour améliorer l’image négative de la France dans les nouveaux pays membres de l’UE. Celle-ci doit d’abord tirer un bilan honnête de l’élargissement. D’un côté, il lui faut accepter que l’Europe rêvée par les pères fondateurs et désirée par les élites françaises, une Europe politique, ne correspond pas forcement au “retour à l’Europe” invoqué par les Européens de l’Est. D’un autre côté, l’Europe élargie n’est pas, non plus, “la victoire cruelle du marché sur les politiques communes” , comme l’ont proclamé les députés socialistes Arnaud Montebourg et Christian Paul . Le déferlement des populations venues d’Europe de l’Est comme des nouveaux barbares n’a pas eu lieu. Le plombier tant redouté s’est transformé en argument publicitaire pour le tourisme polonais.

La France doit accepter l’Union à vingt-sept comme une Europe normative et démocratique, et voir l’élargissement comme une opportunité pour donner un nouvel élan à la construction européenne. Pour Christian Lequesne, élargissement et approfondissement ne sont pas opposés. En revanche, un changement de méthode s’impose puisque l’intégration autour d’un noyau dur franco-allemand est caduque. Tout aussi caduque est l’allusion à deux “camps” , qui rappelle par trop la guerre froide : la distinction entre une nouvelle Europe et une vieille Europe, faite par Donald Rumsfeld n’est pas opérante. L’Europe doit se penser comme une unité et se concentrer autour des politiques qui font consensus, telle la lutte contre le changement climatique.

À la recherche du paradis perdu

Il était une fois une Europe idéale dans laquelle tout allait bien : les élites françaises et allemandes se mettaient d’accord sur les mesures à prendre et les citoyens leur faisaient confiance. Après la chute de communisme et l’instauration du marché unique, tout a changé : les citoyens français ne soutiennent plus aussi spontanément la construction européenne, et l’élargissement a porté un coup au condominium franco-allemand. Un happy end est-il possible ? Le trouvera-t-on dans “l’Europe qui protège” , comme le voulait le slogan de la présidence française du Conseil de l’UE du deuxième semestre 2008 ? Christian Lequesne répond par la négative. L’Europe ne doit pas être protectrice, mais porteuse d’opportunités. L’intégration de nouveaux membres qui voient dans l’UE une garantie de la liberté, de la démocratie et du respect de la vie humaine donne le bon exemple d’un récit historique positif.

L’essai de Christian Lequesne vient combler un déficit dans la réflexion sur les relations entre la France et les pays d’Europe centrale et orientale dans l’Union à vingt-sept. Les points de vue des deux cotés sont fidèlement exposés et le diagnostic convainquant. Malgré cela, on peut se demander si le traitement proposé est suffisant. Peut-on construire un espace public européen autour de la seule rhétorique de la liberté et des droits de l’homme ? Ce lien est-il suffisant pour maintenir ensemble les peuples européens en l’absence d’une solidarité basée sur une identité commune ? Christian Lequesne ne donne pas de réponse à ces questions qui tourmentent depuis bien longtemps les observateurs de la réalité européenne.

Alina GIRBEA

La France dans la nouvelle Europe
Auteur : Christian Lequesne
Éditeur : Presses de Sciences Po
Date de publication : 30/11/08

Cette chronique a été publiée initialement sur le site de notre partenaire Nonfiction.fr, le portail des livres et des idées.

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