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La fin du Traité de l’Elysée sonne le ré-enchantement du franco-allemand

Alors que s’ouvre à Paris le Conseil des ministres franco-allemand, à l’occasion duquel Angela Merkel et Nicolas Sarkozy devraient annoncer des mesures concrètes et très attendues pour redynamiser les relations entre la France et  l’Allemagne, Olivier Breton, Directeur du Magazine mensuel franco-allemand ParisBerlin, nous livre son analyse de ces relations.

Force est de constater que le 22 janvier 2010 - date anniversaire du Traité de l’Elysée signé par le chancelier Adenauer et le président De Gaulle en 1963 et qui scelle officiellement la réconciliation franco-allemande- est passé quasiment inaperçu des deux côtés du Rhin.

En Allemagne, Angelika Schwaal-Düren (Députée SPD) s’est exprimée publiquement pour le déplorer ; quant à la France, à peine y a t-on vu quelques manifestations très modestes : l’inauguration d’une nouvelle exposition sur “l’Allemagne multi-facettes” au ministère de la Santé et des Sports, des déclarations d’intention du ministre Luc Châtel sur la énième relance de programmes d’apprentissage de la langue, quelques cycles de conférence pour publics avertis….

Le traité de l’Élysée a été signé entre la République fédérale d’Allemagne et la République française au palais de l’Élysée le 22 janvier 1963 par le chancelier allemand Konrad Adenauer et le président français Charles de Gaulle. Il fixe les objectifs d’une coopération renforcée entre l’Allemagne et la France dans les domaines des relations internationales, de la défense et de l’éducation. Ce traité a permis notamment la création de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (Deutsch-Französisches Jugendwerk en allemand), de lycées franco-allemands et a favorisé les échanges internationaux.

Et à chaque fois peu ou pas de journalistes. Ceux- ci se contentant de murmurer tout bas, “mais à quoi sert ce Traité ? et d’ailleurs les jeunes générations ne savent même pas de quoi il s’agit…”

Faut-il s’en inquiéter alors que s’ouvre le Conseil des ministres conjoint ? ou faut-il se féliciter de ce silence relatif ? et croire en la banalisation de nos relations franco-allemandes pour s’en réjouir : enfin une commémoration de moins, preuve que des années de réconciliation ont porté pleinement leurs fruits.


Assurément. Depuis plusieurs années de nombreux observateurs se demandent tout bas à quoi sert la commémoration du Traité de l’Elysée et déjà en 2003 pour son quarantenaire les présidents Chirac et Schröder avaient tenté de le relancer en proclamant de grands projets restés pour la plupart lettre morte.

Doit-on aujourd’hui le ré-inventer alors que même sa force symbolique si chère aux français a été dépassée depuis longtemps par la poignée de main Mitterrand-Kohl puis de manière aussi spectaculaire par la récente présence de Angela Merkel le 11 novembre sous l’Arc de Triomphe ?

Doit-on se satisfaire de fêter un bilatéralisme devenu insuffisant dans le concert des nations ? Sans doute pas.

Evidemment il ne s’agit pas ici de nier l’importance du franco-allemand et sans lui point d’Europe.

A cet égard, les chiffres sont têtus : la France et l’Allemagne représentent 48,8% du PIB de la zone euro ; 36% du financement du budget européen ; 33% de la population de l’UE ; 31% des voix dans le nouveau conseil issu du Traité de Lisbonne ; les deux pays restent premier client et premier fournisseur pour l’un et pour l’autre ; 2700 entreprises allemandes sont installées en France, contre 2200 françaises en Allemagne ce qui représente quelques 350 000 emplois cumulés ; quelques 5000 associations traitent du franco-allemand et 2200 accords de jumelage entre collectivités territoriales existent… autant de données qui nous obligent à considérer le franco-allemand comme une relation, incontournable, à part, dont il faut saluer les réussites tant économiques, que politiques, mais qui doit se tourner résolument vers le futur plutôt que vers le passé.


Car aujourd’hui le franco-allemand bascule brutalement dans un autre monde, dans un autre cycle et presque par surprise, l’œuvre que le franco-allemand a forgée est certes la réconciliation mais celle-ci n’a été possible que par la création d’un périmètre plus large qui ne les oppose plus.

Et cet ensemble est une Europe qui lui doit (presque) tout : sans ce “moteur” il n’y aurait pas eu de Plan Schuman débouchant sur le Traité CECA (1950) ; pas de Traité de Rome (1957) ; ni la création du Conseil européen en 1974 ; ou celle du Système Monétaire Européen en 1979 ; ni la nomination de Jacques Delors à la présidence européenne sur intervention de Kohl qui débouchera sur les réformes du Traité de Rome ; puis Maastricht en 1992 basé sur un accord franco-allemand, pas de monnaie unique etc. etc.


Bref un ensemble d’actions, de négociations souvent âpres qui aujourd’hui nous autorise à rêver que nous conserverons malgré tout un rôle dans les nouveaux équilibres internationaux qui se dessinent.


Mais qui sont loin d’être abouties : notre isolement lors de la conférence sur le climat à Copenhague, nos actions dispersées face à la catastrophe de Haïti, nous rendent a minima modestes, nous obligent à accélérer l’unité européenne, à commencer par le renforcement de l’axe franco-allemand.

A ce propos la crise a joué un rôle positif pour ce tandem en stoppant radicalement nos divergences sur la mise en place de nos politiques économiques respectives (même si demain la solution de nos déficits publics se posera).

Un fait qui nous rend modérément optimiste parce que tempéré par la très relative pro-activité allemande.

Non pas que Berlin ignore Paris et l’importance du franco-allemand mais Angela Merkel est confrontée à une coalition plus difficile qu’hier : elle avait géré la grande coalition avec les socialistes avec une impressionnante maîtrise ; la nouvelle cohabitation (CDU, CSU et Libéraux) issue des urnes en septembre 2009 l’oblige paradoxalement à des orchestrations diplomatiques bien plus complexes qui limitent son volant de manœuvre et surtout la ralentissent.


Cela dit cette fenêtre temporelle est historique et doit permettre au franco-allemand de montrer la voix et hausser la cadence de son rapprochement. Non plus en commémorant, en “fêtant le passé” , mais en créant, en inventant des passerelles effectives, des collaborations encore plus étroites entre la France et l’Allemagne qui jouent un rôle d’exemple pour les 25 autres pays européens.

Le “Club ParisBerlin” s’emploie chaque jour à rapprocher France et Allemagne avec les acteurs majeurs politiques et économiques du franco-allemand (EADS, Arte, Siemens, Bosch, CMS-BFL ….) auxquels se mêlent des européens convaincus de toute tendance et pour cela vient d’apporter sa pierre en publiant un Livre blanc qui comprend 99 propositions concrètes pour mettre le franco-allemand au service de l’Europe, son seul futur.

Des propositions concrètes tirées à 12000 exemplaires et diffusées à tous les députés (français, allemands, européens) qui doivent toutes converger pour que nos deux peuples profitent du cadre constitutionnel issu du Traité de Lisbonne, et qu’ils s’identifient à des institutions partagées.

Ces 99 propositions présentent l’avantage de rapprocher les deux pays en matière économique, sociale, diplomatique, scientifique … et ne demandent qu’à être mises en pratique.

Le Conseil des Ministres franco-allemand du 4 février va suivre cette même direction et déjà on y annonce la discussion de seize “propositions phare” et d’une quarantaine d’initiatives concrètes restées pour l’heure, secrètes.

Au terme de ce Conseil certaines d’entre elles devraient être actées et on ne peut que s’en réjouir.


Quoiqu’il en soit cet activisme est de bon augure, et nous parait utile pour nourrir un axe bilatéral indispensable à la construction européenne. Il est le fruit de débats parfois compliqués dans leur approche : alors que les français se placeraient dans le moyen terme (3 ans) la chancelière insiste sur des actions de plus court terme.


Les débats sont parfois “complexes” , ils rappellent comme le souligne à juste titre Reinhard Schäfers (Ambassadeur d’Allemagne en France) qu’il ne faut pas avoir une fausse idée de l’harmonie qui règne entre les allemands et les français, seulement la preuve d’échanges francs et constructifs.

Bref, les différents existent mais notre force réside dans notre capacité à les dépasser. Donc nonobstant ces différences d’approche, les discussions sont prospères et devraient accoucher d’un texte appelé “Agenda 2020” .

Un texte qui expliquera l’étrange absence de notre Secrétaire d’Etat aux
Affaires européennes Pierre Lellouche, et son homologue allemand Werner Hoyer, lors des “cérémonies” du Traité de l’Elysée de ce 22 janvier.

C’est que tous deux travaillaient activement à faire entrer le franco-allemand dans une nouvelle ère (celle là même qui doit viser à ce que l’Europe puisse exister dans le processus de mondialisation) : de fait ils ont passé leur matinée avec Angela Merkel au Bundestag puis d’un bond se sont rendu auprès de Nicolas Sarkozy à l’Elysée juste avant la présentation des vœux du président
au Corps diplomatique pour valider les contenus du Conseil du 4 février.


Alors il est vrai que dans ce ballet diplomatique et au cœur de ces nouvelles préoccupations le Traité de l’Elysée paraît bien loin et qu’il a bel et bien vécu dans son esprit et dans ses missions premières, même si à titre historique on se doit de le relire et qu’il reste un des fondements de notre présent.

Au final on ne peut que se réjouir de ce constat, louer ceux qui l’ont conçu et
maintenant vite faire place à une relance du franco-allemand assise sur le pragmatisme et des propositions concrètes qui doivent être pensées en regard des nouvelles contraintes communautaires issues du Traité de Lisbonne.

Les chantiers sont nombreux : recherche de positions communes sur la Russie et la Chine, création d’une agence européenne d’achat du gaz, rapprochement des services diplomatiques, statut des VIE, encouragement à la mobilité, positions communes sur les politiques d’immigration ….

Pour tout cela nul besoin de nouveaux cadres institutionnels pour dynamiser le tissu du franco-allemand et le placer sous l’angle du résultat et de la recherche de synergie …. Non, les crédits, les idées, les structures associatives
existent (il faut seulement les orchestrer, les rationnaliser), les plus hautes autorités de nos états sont conscients des urgences, l’heure est venue de structurer, de prioriser, d’inventer le futur, d’associer les nouvelles générations à cette construction où l’audace et l’intelligence sont requises…


Reste à en convaincre le plus grand nombre, à organiser un grand écho médiatique, et à montrer qu’outre les opportunités qui existent (plus de 4500 emplois de cadres ne sont pas couverts dans le franco-allemand) un nouveau monde se dessine, qu’il reste à inventer et que comme tel il est passionnant, excitant et incontournable. Il devra compter sur l’Europe et donc sur le franco-allemand.

Par Olivier Breton, Directeur du Magazine mensuel franco-allemand ParisBerlin ; Auteur de “99 propositions de ré-enchantement des relations franco-allemandes” ; créateur et animateur du Club ParisBerlin.

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