Toute L'Europe – Comprendre l'Europe
  • Portraits

La Dame de fer n’est plus

L’ex-Premier ministre britannique Margaret Thatcher est décédée lundi 8 avril à l’âge de 87 ans à Londres, victime d’une attaque. Elle était atteinte depuis plusieurs années de la maladie d’Alzeihmer. De 1979 à 1990, la chef du parti conservateur en Grande-Bretagne imprima sa marque sur le pays en menant une politique de libéralisme économique intransigeant qui lui valut le surnom de Dame de fer. Célèbre pour avoir été la première femme à diriger le gouvernement d’un grand pays occidental, elle l’est également pour son rejet viscéral du compromis. Sauveur du pays pour ses partisans, tyran pour ses détracteurs, “Maggie” n’aura elle-même jamais fait consensus.

De Margaret Hilda Roberts au thatchérisme

Tout dirigeant politique ne peut pas s’enorgueillir d’avoir laissé à l’histoire un modèle économique, qu’il fut populaire ou non. Margaret Thatcher, décédée ce 8 avril à Londres, le pouvait. Onze ans à la tête du gouvernement britannique, soit le plus long mandat jamais assumé à ce poste, pendant lesquels elle mène une véritable “révolution conservatrice” à l’image de la politique dirigée de l’autre côté de l’Atlantique par Ronald Reagan.

Margaret Hilda Roberts naît à Grantham (Angleterre) dans un milieu modeste, sa mère étant couturière et son père épicier. Mais ce dernier va connaître une ascension sociale, grâce au travail et à l’épargne, qui va même lui permettre d’être brièvement maire de Grantham, pour le parti conservateur local dont il est membre. Un père qui va très tôt intéresser la jeune Margaret à la politique mais également lui inculquer les principes méthodistes de la réussite par le travail. “Nous étions méthodistes, confiera un jour Mme Thatcher, c’est-à-dire que nous aimions l’ordre, la précision et la rigueur.”

Elle entre en 1943 à l’université d’Oxford où elle étudie la chimie (elle travaille de 1947 à 1951 dans la recherche en chimie et l’industrie plastique) et est désignée candidate conservatrice dans la circonscription de Dartford dès 1949. Première femme britannique candidate à une élection législative, elle échoue malheureusement en 1950.

Elle entame alors des études juridiques, étudiant le soir et le week-end, et devient avocate. Elle se marie le 13 décembre 1951 avec Denis Thatcher. En 1959, elle entre pour la première fois à la chambre des Communes, où elle sera réélue sans discontinuer jusqu’en 1992. Sa première proposition de loi, qui vise à permettre à la presse de relater les délibérations des conseils municipaux, est adoptée en 1960 : “une étoile est née” titre alors la presse britannique. C’est à cette époque qu’elle rencontre Keith Joseph, un parlementaire conservateur dont elle restera très proche.

“Je suis pour le consensus. Le consensus sur ce que je veux faire” Margaret Thatcher

Elle devient ministre de l’éducation entre 1970 et 1974, et prend, en 1975, la tête des Tories. Elle y adopte une attitude anticommuniste qui lui vaut le surnom de “Dame de Fer de l’Occident” , donné par le journal du ministère de la Défense soviétique, L’Étoile rouge, et popularisé par Radio Moscou. Pour se forger une stature internationale, elle se rend dans trente-trois pays et rencontre de nombreux dirigeants, parmi lesquels Gerald Ford, Jimmy Carter, Valéry Giscard d’Estaing, Anouar el-Sadate, Mohammad Reza Pahlavi, Indira Gandhi, Golda Meir. En 1978, avec la plupart des chefs de partis conservateurs européens, elle participe à la création de l’Union démocrate européenne.

“La bouche de Marilyn et le regard de Caligula”, François Mitterrand

Le 3 mai 1979, face à un parti travailliste usé, le parti conservateur remporte 43,9% des voix lors d’élections anticipées. Le lendemain elle devient Premier ministre. Elle se lance alors dans un vaste programme de réforme, jouissant d’une assise démocratique indéniable. Lors de son premier mandat, elle s’attaque ainsi à l’assainissement de l’économie britannique qui passe par une réduction des dépenses publiques visant à réduire le déficit et la dette publics. Réélue triomphalement en 1983 (elle enregistre le meilleur score du parti conservateur depuis la Seconde Guerre mondiale), elle lance une vaste campagne de privatisation (notamment la British Airways en 1987 et la British Steel en 1988) et musèle les syndicats. Une position qui lui vaudra de gérer de nombreuses grèves.

Margaret Thatcher entend rétablir le prestige de l’ex-Empire britannique : en 1982, les généraux qui gouvernent l’Argentine prennent possession des îles Malouines. Après le choc, rapide de la nouvelle, Mme Thatcher décide d’envoyer des troupes récupérer ces possessions britanniques. La guerre des Malouines se solde par une défaite argentine et la gestion du conflit renforce l’image d’intransigeance de la Dame de fer. “Je suis pour le consensus. Le consensus sur ce que je veux faire” , avouait-elle elle-même.

Mais la barre des 3 millions de chômeurs est dépassée en Grande-Bretagne et l’échec de la réforme qu’elle tente de faire passer lors de son troisième mandat, un impôt local (la “poll tax”) signe sa chute. Lâchée par son parti, elle démissionne en 1990 de son poste de Premier ministre, les larmes aux yeux.

Margaret Thatcher et l’Europe : “I want my money back”

Les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne n’ont jamais été simples, comme l’attestent aujourd’hui encore les positions du Premier ministre britannique David Cameron, notamment sur le budget. Elles furent plus que difficiles lorsque le pays était représenté par Mme Thatcher. Le fameux “I want my money back” c’est elle, ou plus précisément “We are simply asking to have our own money back” (Nous voulons récupérer notre argent). “Je ne peux jouer les Père Noël de la Communauté alors que mon propre électorat est prié de renoncer à des améliorations dans le domaine de la santé, de l’éducation […] et ainsi de suite” explique-t-elle à ses partenaires des Communautés européennes. Un discours de nouveau d’actualité alors que la Grande-Bretagne milite en faveur d’une diminution du budget de l’UE en pleine crise économique.

“Nous n’avons pas réussi à repousser les frontières de l’État avec succès en Grande-Bretagne pour nous les voir réimposées au niveau européen, avec un super-État européen exerçant une nouvelle domination depuis Bruxelles, Margaret Thatcher

Elle obtient gain de cause en 1984, se voyant accorder le fameux “chèque britannique” . A l’époque, ses relations avec le président de la Commission européenne, le Français Jacques Delors, sont exécrables. Elle laisse de cette époque une image d’eurosceptique, renforcée par son discours de Bruges en 1988 à l’occasion duquel elle milite contre une Europe fédérale et un accroissement des pouvoirs de Bruxelles. Elle y défend trois idées fondamentales : l’Europe doit fonctionner selon la méthode coopérative, elle doit être l’outil de la création du marché commun, et les États membres doivent se placer dans une logique internationaliste. Elle s’est également opposée à ce que la Communauté européenne dispose de ressources propres.

Elle soutient donc le marché unique, et signe l’Acte unique européen en 1986. Mais ses positions européennes très frileuses sont loin d’être partagées par l’ensemble de son parti et ses déclarations participent aux dissensions internes qui précipitent sa chute à la fin des années 1980.

Les réactions européennes à sa disparition ont bien sûr été très nombreuses, respectueuses, et les grands dirigeants ont salué la femme de pouvoir, même si son eurosceptisisme revendiqué a laissé des traces. Ainsi, le président de la Commission José Manuel Barroso a dans un communiqué officiel salué “une grande femme d’État, la première femme Premier ministre dans son pays (…) une actrice circonspecte mais engagée dans l’Union européenne” . Il a également indiqué qu’on se ” souviendra d’elle pour à la fois ses contributions et ses réserves vis-à-vis de notre projet commun” .

Même mesure pour le président du Parlement européen, Martin Schulz, pour qui Margaret Thatcher “a marqué la vie politique britannique et européenne” . “Malgré nos différences politiques évidentes, Margaret Thatcher est une figure historique” , a-t-il déclaré. S’il a rappelé qu’au début de son mandat, elle était une “Européenne engagée” qui avait poussé à la signature et à la mise en oeuvre de l’Acte unique européen en 1986, il a précisé “qu’on soit d’accord ou pas avec ses politiques, Margaret Thatcher a montré que la politique avait encore la capacité d’être une force de changement” .

L’actuel Premier ministre britannique David Cameron a rendu hommage à Mme Thatcher, “grand leader, un grand Premier ministre et une grande Britannique” , et prévu d’écourter sa tournée européenne (il était aujourd’hui en Espagne) pour rentrer au pays pour les funérailles de l’ex-chef du gouvernement, qui recevra les honneurs militaires.

François Hollande a de son côté salué la relation “toujours franche et loyale” de Margaret Thatcher avec la France. “Tout au long de sa vie publique, avec des convictions conservatrices qu’elle assumait pleinement, elle fut soucieuse du rayonnement du Royaume-Uni et de la défense de ses intérêts” , a-t-il poursuivi dans un communiqué officiel.

Votre avis compte : avez-vous trouvé ce que vous cherchiez dans cet article ?

Pour approfondir

À la une sur Touteleurope.eu

Flèche

Participez au débat et laissez un commentaire

Commentaires sur La Dame de fer n'est plus

Lire la charte de modération

Commenter l’article

Votre commentaire est vide

Votre nom est invalide