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“L’Europe écrit une nouvelle page de son Histoire” par Florence Chaltiel

Le “oui” l’a emporté cette fois-ci en Irlande. Florence Chaltiel, spécialiste du droit européen et coauteure avec Benjamin Angel de “Quelle Europe après le traité de Lisbonne ?” revient pour Touteleurope.fr sur les implications et les conséquences du vote irlandais.

L’Europe écrit une nouvelle page de son Histoire. Florence Chaltiel

L’infernal cycle des échecs européens est-il enfin rompu ? Il est possible de l’espérer, de l’envisager, de le penser même. L’approbation du traité de Lisbonne par le peuple irlandais ouvre enfin la voie à l’entrée en vigueur de la réforme institutionnelle après dix ans de tentatives infructueuses. En effet, depuis la signature du contesté et contestable traité de Nice en 2001, tous les efforts de rationalisation du système institutionnel furent vains. L’Europe a, au cours de cette décennie, expérimenté l’échec devant les peuples.

Le peuple irlandais, déjà, en 

“L’infernal cycle des échecs européens est-il enfin rompu ? Il est possible de l’espérer, de l’envisager, de le penser même.”
2001, rejette le traité de Nice, avant de procéder à un nouveau vote, sachant que l’ensemble des autres Etats membres avait ratifié le texte. Les peuples français et hollandais auront, quant à eux, raison du traité établissant une Constitution pour l’Europe, au prix de campagnes houleuses, souvent agressives, dans lesquelles conscience fut vite prise de la méconnaissance profonde des traités européens. L’information et la communication européenne n’ont jusque là pas permis aux peuples de ressentir et d’apprécier leur appartenance européenne. Ce ne sont d’ailleurs pas les élections européennes de juin 2009 qui peuvent infirmer cette assertion. Faible participation, méfiance sinon défiance, sont autant d’éléments que l’on ne peut et doit plus négliger.

Aujourd’hui, le traité de Lisbonne a désormais de bonnes chances d’entrer en vigueur. Les présidents tchèque et polonais ne pourront plus différer de beaucoup leurs signatures. De cette décennie, comme de cette prochaine entrée en vigueur d’un nouveau traité, il faut tirer des leçons et, déjà, regarder vers l’avenir.

Le traité de Lisbonne a pu être ratifié par l’ensemble des Etats membres au prix de reculs en deux étapes, des reculs par rapport au projet de Constitution, des reculs d’une conception à l’autre du traité de Lisbonne. Les premiers reculs se trouvent dans le traité tel que signé le 13 décembre 2007 à Lisbonne. La symbolique constitutionnelle est formellement gommée : le terme de “Constitution” disparaît, la référence aux symboles de l’Union européenne disparaît. Les seconds reculs font suite à l’échec du traité devant le peuple irlandais en 2008. La négociation a abouti à des engagements lors du Conseil européen de décembre 2008, parmi lesquels l’abandon du principe d’une Commission européenne réduite, élément attendu de longue date d’intégration et d’efficacité renforcées.

Pour autant, malgré ces reculs, réels, mais aussi formels, de substantielles avancées doivent être relevées. D’abord, si la symbolique constitutionnelle disparaît, deux éléments permettent de penser que des bases d’une intégration renforcée sont présentes dans le traité.

“Si la symbolique constitutionnelle disparaît, deux éléments permettent de penser que des bases d’une intégration renforcée sont présentes dans le traité.”
En premier lieu, les symboles, même non repris dans le traité, existent en tant que tels : drapeau, hymne, journée de l’Europe demeurent et s’inscrivent progressivement dans l’imaginaire collectif européen. En deuxième lieu, la présence d’un titre entièrement dédié à la “démocratie” dans le traité, bien que peu relevé, et peu stigmatisé par les souverainistes, est indéniablement porteur d’un renforcement de l’identité politique européenne. En effet, en inscrivant le principe de la démocratie européenne, les Etats apportent une ferme réponse à la question de savoir si la démocratie ne peut être que nationale, ce qui a longtemps été pensé et affirmé. Cette réponse est pourtant d’une logique implacable. En effet, de nombreux pans de compétences ont été transférés des Etats vers l’Union européenne. Par conséquent, si le principe démocratique est bien le principe qui nous gouverne, et nul gouvernant européen ne le contesterait, il est logique que celui-ci ne se trouve plus seulement à l’échelle nationale, mais qu’il se décline aussi à l’échelle européenne.

Le principe démocratique, ainsi affirmé explicitement, est aussi un aboutissement de la création d’une citoyenneté européenne il y a maintenant près de vingt ans. Qui dit citoyen dit en effet acteur d’un système politique. Or l’Union européenne adopte bien des décisions applicables directement à chacun des citoyens que nous sommes. Affirmer la démocratie européenne revient donc à reconnaître que les décisions européennes sont prises au nom de la Communauté des citoyens européens, peuple potentiel de l’Union.
“C’est une démocratie à plusieurs niveaux qui se met ainsi en place. Au niveau européen, le parlement représente les citoyens, au niveau national, les Parlements nationaux se voient attribuer plus de pouvoirs qu’auparavant.”

C’est une démocratie à plusieurs niveaux qui se met ainsi en place. Au niveau européen, le parlement représente les citoyens, au niveau national, les Parlements nationaux se voient attribuer plus de pouvoirs qu’auparavant. Ils pourront par exemple contester un texte européen au regard du principe de subsidiarité selon lequel l’Union ne doit agir que si elle démontre une efficacité supérieure à celle des Etats. Ce sont là des éléments de démocratie représentative, nécessaires dès lors que l’objet politique Europe dispose de véritables pouvoirs de décision. Le traité de Lisbonne reprend aussi un élément de démocratie directe, inédit dans un ensemble aussi vaste que l’Union européenne et ses plus de cinq cent millions d’habitants. Le principe de l’initiative citoyenne, permettant à un million de citoyens, au moins, de soumettre une proposition de texte à la Commission européenne, a été repris du projet de Constitution européenne.

Outre le principe démocratique européen, écrit noir sur blanc, le traité de Lisbonne apporte enfin la réforme institutionnelle attendue depuis les élargissements des années 2000. Les institutions européennes, pensées pour six Etats membres arrivaient à bout de souffle. Parmi les avancées remarquables se trouve d’abord la création du poste de président du Conseil européen pour deux ans et demi renouvelable.
“Parmi les avancées remarquables se trouve d’abord la création du poste de président du Conseil européen pour deux ans et demi renouvelable.”
S’il va de soi que l’homme ou la femme fera la fonction, la simple existence d’un personnage représentant l’Union de manière durable, ne peut donner qu’une visibilité accrue à l’Europe à la fois en son sein, et sur la scène internationale. De même, malgré l’abandon de l’intitulé de “ministre des affaires étrangères” , la création du poste de haut représentant pour les affaires étrangères, qui sera en même temps vice-président de la Commission, renforcera l’incarnation et la visibilité de l’Union européenne dans le monde. S’agissant du processus décisionnel, il devrait se trouver facilité par une double évolution. En effet d’une part le champ de la codécision, appelée désormais procédure législative ordinaire -les Etats ayant surmonté le tabou du champ lexical législatif, mais non du terme “loi”- est accru, renforçant les pouvoirs du Parlement européen, et d’autre part la prise de décision à la majorité qualifiée est encore étendue. D’ailleurs le calcul de celle-ci sera nettement simplifié puisque la majorité qualifiée sera désormais vérifiée si 55 pour cent des Etats membres représentant 65 pour cent de la population de l’Union approuvent le texte.

Il demeure une déception et des interrogations. Les deux sont liées. La déception tient dans le recul dans lequel les Etats membres se sont engagés lors des discussions avec l’Irlande, s’agissant de la Commission européenne. Celle-ci, en vertu du traité de Lisbonne, devait comporter un nombre de membres correspondant à deux-tiers du nombre d’Etats membres. Or l’engagement a été pris, lors du Conseil européen de décembre 2008, de revenir sur cette avancée et de laisser un commissaire par Etat. Ce recul suscite, outre une déception, une interrogation. Force est de constater que le traité en lui-même n’a pas été renégocié en tant que tel. Par conséquent, si le nombre de commissaires doit être égal au nombre d’Etats membres, il faudra que les Etats se fondent sur le traité lui-même pour procéder au changement. La solution juridique existe effectivement puisqu’une disposition du traité permet aux Etats, votant à l’unanimité, de modifier le nombre de commissaires. On imagine mal un Etat voter contre, et dans le même temps, il est sans doute regrettable qu’une des premières mesures adoptées sur le fondement du traité consiste à abandonner une de ses avancées..

“Malgré les reculs formels, malgré les quelques déceptions et interrogations, nous pensons que ce traité améliorera tant la visibilité que le fonctionnement de l’Union européenne.”
Malgré les reculs formels, malgré les quelques déceptions et interrogations, nous pensons que ce traité améliorera tant la visibilité que le fonctionnement de l’Union européenne. On se risquera pour terminer, à formuler quelques propositions pour l’avenir. En premier lieu, il ne semble pas opportun de remettre sur le métier l’idée d’une Constitution européenne. L’âpreté des débats est encore trop récente pour une discussion sereine. En deuxième lieu, la mise en œuvre du traité montrera ses avancées et ses faiblesses, mais d’ores et déjà, il importe que les gouvernements et les media relatent mieux les actions de l’Union européenne. Les bases juridiques données par le traité pour une meilleure association des parlements nationaux et des peuples ne pourront s’épanouir et produire leurs effets en faveur d’une vraie démocratie européenne que si les peuples s’approprient l’Union et parviennent à la conscience d’un peuple de citoyens européens. En troisième lieu, et dans cette perspective, l’organisation régulière de campagnes d’information sur ce que fait l’Europe apparaît nécessaire. Le traité de Lisbonne, on l’aura compris, est un aboutissement et une étape à la fois. Gageons que l’invitation qu’il offre à la démocratie européenne soit l’ouverture d’un nouveau cycle vertueux de l’Europe.

Florence Chaltiel

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