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Isabelle Jégouzo : “Nous sommes dans un moment déterminant pour l’Europe”

Pour Isabelle Jégouzo, cheffe de la Représentation de la Commission européenne en France, les Consultations citoyennes organisées dans les 27 pays de l’UE, puis les élections européennes en 2019, installent l’Europe dans un moment important de son histoire. Elle encourage les citoyens européens à saisir cette opportunité pour faire entendre leur voix dans les débats et dans les urnes.

Isabelle Jégouzo

Quel est l’engagement de la Commission européenne dans les Consultations citoyennes ? Et qu’en attendez-vous ?

La Commission s’est félicitée de cette initiative du Président Macron qu’elle soutient de deux façons. D’une part en accompagnant le mouvement d’une consultation en ligne, lancée le 9 mai, avec un questionnaire établi par un panel de citoyens européens réunis à Bruxelles. D’autre part en participant à différents évènements au sein d’entreprises, universités, lycées, associations… qui permettront des contacts directs avec les citoyens.

Mais ce principe n’est pas nouveau pour la Commission, qui est très attentive à ce que les membres du collège puissent aller à la rencontre des citoyens dans tous les Etats membres. Ainsi, depuis 2014 nous avons organisé plus de 500 Dialogues citoyens en Europe, et l’an passé près d’une cinquantaine en France. C’est donc un mouvement qui existe depuis longtemps et qui est très positif. Il permet aux citoyens de partager leurs préoccupations et à la Commission d’expliquer son action.

Certains Etats membres étaient sceptiques à l’annonce de cette initiative, finalement tous adhèrent au projet. Est-ce également un signal intéressant pour la Commission ?

Les Dialogues citoyens, animés par la Commission, existent déjà dans tous les Etats membres. Que ce mouvement soit amplifié et relayé par les autorités nationales à travers les Consultations citoyennes est une excellente chose, car l’essentiel est que l’on parle d’Europe et que les citoyens comprennent que leurs choix peuvent influencer les décisions européennes. Il y aura l’année prochaine des élections européennes, les citoyens doivent s’en emparer.

Justement, en vue des élections, les propositions des citoyens seront-elles vraiment reçues par les dirigeants européens comme ils s’y sont engagés ?

Nous sommes engagés dans ce processus. S’il est suffisamment puissant, personne ne pourra l’ignorer et je suis très confiante sur ce point. Tout le monde a bien conscience que ce moment d’échange et d’écoute est important, alors que nous vivons une montée des populismes et que beaucoup de critiques s’expriment partout dans l’Union européenne. Ce débat est essentiel : “qui sommes-nous Européens et que voulons-nous faire ensemble ?” . Nous sommes dans un moment assez déterminant pour l’histoire de l’Europe et ces consultations s’inscrivent dans ce cadre général.

Nous aurons ensuite un débat politique et démocratique. La légitimité démocratique s’exprime d’abord dans les urnes.

En 2017, la Commission a organisé près de 50 Dialogues citoyens en France. Quelles sont les principales préoccupations lors de ces débats ?

J’entends très souvent l’expression d’un besoin d’Europe, la conscience que la réponse doit être européenne face à certains enjeux mondiaux comme la lutte contre le réchauffement climatique, le numérique, la transition énergétique, la gestion des migrations, le terrorisme ou l’économie…

Sur d’autres sujets, comme le commerce, c’est sans doute plus compliqué, on l’a vu dans les nombreuses discussions autour du CETA. En même temps, dans de nombreux domaines, je pense que nous sommes en train de prouver que si l’Europe parle d’une voix unie, elle peut se faire entendre au niveau international. C’est l’un des grands enjeux à venir : maintenir l’unité.

Vous êtes inquiète sur ce maintien de l’unité européenne ?

Disons qu’il y a des risques de fractures Est/Ouest ou Nord/Sud. Avoir conscience que l’Europe ne peut préserver ses valeurs et peser sur le cours du monde que si elle reste unie : c’est l’un des grands enjeux. Je crois que cette idée existe chez beaucoup. Mais elle est aussi très souvent masquée par une apparence de complexité, des difficultés de compréhension du fonctionnement des institutions et un procès en démocratie qui est injuste.

Relancer l’économie serait sûrement une raison pour les citoyens de croire à nouveau en l’Europe ?

La réponse économique est une réponse essentielle aux interrogations. Aujourd’hui, nous avons une Europe qui retrouve le chemin de la croissance, c’est une très bonne nouvelle. En retrouvant la croissance on redonne de l’espoir. C’est ce que la Commission a voulu impulser avec le plan Juncker, qui est une réussite. La France en est le premier bénéficiaire avec 42,3 milliards d’investissement, sur les 284 milliards investis dans l’UE. Ce plan, porté à 500 milliards, est prolongé jusqu’en 2020.

Grâce au marché unique, les entreprises européennes et françaises ont accès à 500 millions de consommateurs, qui permet d’atteindre une taille critique et d’exporter plus facilement. 60% des exportations françaises se font dans l’UE, ce qui représente 3,2 millions d’emplois en France !

Dans les propositions de budget de la Commission pour la période 2021-2027, on sent l’affirmation forte de choix politiques…

Oui, clairement. On voit dans ce budget une expression de choix politiques, alors que nous vivons un moment exceptionnel avec le Brexit et la perte d’un pays contributeur net [la contribution nette du Royaume-Uni se situe entre 12 et 14 milliards d’euros par an, ndlr]. Nous avons voulu un budget ambitieux et optimiste, qui est un pari sur l’avenir et une volonté de répondre aux préoccupations principales des Européens. Ce budget est en hausse [1,11% du PIB de chaque Etat membre contre 1% sur la période 2014-2020] et prend en compte le besoin de protection clairement exprimé par les Européens : nous avons mis l’accent sur la sécurité, la surveillance des frontières, la défense, qui bénéficient de 20 milliards d’euros alors qu’aucune ligne spécifique n’était prévue pour ces domaines dans le budget précédent. Ce sont des signaux importants.

Comme le sont les propositions, dans un autre registre, sur la recherche et Erasmus ?

C’est un budget qui regarde vers l’avenir pour faire de l’Europe une zone du monde pleinement intégrée dans l’innovation. Ainsi, nous augmentons considérablement les budgets de la recherche et d’Erasmus [dont le montant est doublé], qui est un vrai succès, le moyen pour les jeunes de toucher cette richesse de l’UE. Et c’est aussi un investissement pour l’avenir.

Nous préservons les politiques anciennes : le coût du Brexit est partagé entre des économies et l’apport de nouvelles ressources. Nous proposons des économies sur la politique de cohésion (-6%) et sur la PAC (-5%), tout en renforçant le “verdissement” , avec un effort qui ne portera pas sur les petits agriculteurs comme je l’entends dire, c’est un faux procès.

Ce budget repose aussi sur des propositions de ressources propres. Trois nouvelles sources de revenus sont avancées : l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (ACCIS), le marché du carbone et la taxe sur les plastiques non recyclés. Est-il réaliste d’envisager une mise en œuvre dès janvier 2021 ?

L’UE réfléchit depuis longtemps au meilleur système pour dégager des ressources propres, considérant que le budget est trop assis sur les contributions des Etats membres. C’est une demande forte du Parlement européen, qui nous presse d’avancer. Ce sujet est sensible : non seulement il faut un accord consensuel au Conseil européen et un vote au Parlement, mais en plus s’agissant des ressources propres il faut une ratification de chaque Etat membre. Ce n’est pas facile, mais nous avons des ambitions et il faut trouver le moyen de les financer.

Parmi les questions sensibles, il y a la volonté de conditionner l’octroi des fonds européens au respect de l’état de droit…

Cela concerne tous les fonds et tous les Etats membres ! Si dans un Etat membre on se retrouve face à un problème systémique de non fonctionnement de l’état de droit, alors la Commission pourra proposer de diminuer ou suspendre les paiements de l’Union européenne. La commission proposera et les Etats membres pourront s’y opposer avec une majorité qualifiée inversée. Une proposition législative est sur la table. La Commission prend ses responsabilités, car il n’est pas acceptable que les fonds européens ne soient pas gérés de manière correcte et transparente. Un certain nombre d’Etats membres sont des contributeurs nets, il faut que ces crédits soient utilisés en respect des règles.

La Commission mène deux négociations parallèles : le budget et le Brexit. Les enjeux ne sont pas les mêmes, mais ils sont liés dans le destin européen. Le délai sera-t-il tenu ?

Le 31 mars 2019, le Brexit sera effectif. Il est clair que les négociations de sortie doivent aboutir en octobre de cette année, le temps de mettre en place ensuite tous les processus de ratification.

Il faut par ailleurs boucler le budget avant les élections de mai 2019. Sinon il y aura un blanc de six mois entre les élections européennes et l’installation de la nouvelle Commission (mai-novembre), puis la reprise des négociations fin 2019. N’oublions pas que le cadre financier actuel s’achève le 31 décembre 2020. Si nous n’aboutissons pas suffisamment tôt, nous ne pourrons pas être dans un nouveau cadre en janvier 2021, ce qui créera une période trouble.

En juin, nous fêterons un drôle d’anniversaire pour l’UE : le choix des citoyens britanniques de quitter l’UE. Avec le recul de deux années, peut-on dire que le Brexit a finalement provoqué une prise de conscience salutaire au sein de l’Union ?

Le Brexit a été un électrochoc. La Commission l’a pris comme tel en essayant de renforcer son action sur les champs où l’Europe fait la différence, là où les gens l’attendent, dans les grands secteurs que j’ai cités précédemment. Sur tous ces sujets, c’est l’Europe qui permet d’avoir l’impact nécessaire. Mais il ne faut pas oublier que les décisions finales sont dans les mains des Européens. Sur beaucoup de points la Commission ne décide pas ! Elle propose et ce sont les Etats membres et le Parlement européen qui décident. Il est important que les citoyens en aient conscience : ils élisent leurs représentants !

Le mois de mai est celui de la Fête de l’Europe. L’occasion de réaffirmer ces principes auprès du grand public, à un an des élections ?

Le compte à rebours est lancé. Il faut clairement rappeler ce que fait l’Europe pour chaque citoyen et la replacer aussi dans une perspective historique, redire que la construction de cet espace européen est unique dans l’histoire. Pour marquer ce mois de mai, de nombreuses manifestations festives et symboliques vont se dérouler. Parce que nous sommes également dans l’année européenne du patrimoine culturel de nombreux monuments seront illuminés, beaucoup de mairies ont pris des initiatives, des maires vont s’engager en signant une charte pour l’Europe. A Paris, nous allons illuminer l’Arc de Triomphe aux couleurs européennes (du 9 au 12 mai). Cette illumination sur ce monument rappellera que l’Union européenne est d’abord un projet de paix.

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