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“Il faut absolument que les Etats sortent de cette logique délétère du juste retour”

Dans une interview à Toute l’Europe, la députée européenne Valérie Hayer revient sur le rôle du Parlement européen dans la relance économique européenne. Membre de l’équipe de négociations sur le futur budget pluriannuel (2021 - 2027) et co-rapporteure sur la réforme des ressources propres, elle prône la mise en place rapide de nouvelles recettes pour l’Union ainsi qu’une solidarité plus grande entre Etats.

Valérie Hayer lors de la conférence du Semestre européen le 18 février 2020 - Crédits : Parlement européen / Dominique HOMMEL
Valérie Hayer lors de la conférence du Semestre européen le 18 février 2020 - Crédits : Parlement européen / Dominique HOMMEL

Engagées depuis de longs mois, les discussions autour du budget à long terme 2021-2027 (CFP) ont été bouleversées par la pandémie de Covid-19 qui a déferlé sur l’Europe. Alors que le continent devrait voir son PIB se contracter de 7,1 à 7,4 % pour l’année 2020, la Commission européenne a avancé le 27 mai dernier un nouveau projet de budget pluriannuel à hauteur de 1 100 milliards d’euros, assorti d’un plan de relance de 750 milliards d’euros. Une proposition encore loin de faire consensus au Conseil européen, où les frugaux, le groupe de Visegrád et les pays du Sud s’opposent frontalement.

En parallèle des discussions entre chefs d’Etat et de gouvernement, le Parlement européen s’apprête pour sa part à tenir du 8 au 10 juillet prochain, sauf changement de dernière minute, sa dernière session plénière avant la pause estivale. Auteur de plusieurs résolutions votées en mars 2018, octobre 2019 et mai 2020 exigeant un budget pluriannuel plus élevé, mais aussi l’instauration de nouvelles ressources propres indépendantes des contributions nationales, le Parlement européen joue un rôle clé dans les discussions en cours. En effet, si pour l’instant la logique institutionnelle veut que les Vingt-Sept s’accordent sur un montant précis, c’est à l’hémicycle que reviendra la responsabilité de valider le CFP. Or, les parlementaires européens soumettent cette adoption à plusieurs conditions, notamment en ce qui concerne la nature du plan de relance qui lui est adossé. A quelques jours de la session plénière, la députée Valérie Hayer évoque pour Toute l’Europe les exigences posées dans leur dernière résolution.

A 34 ans, Valérie Hayer est conseillère départementale en Mayenne mais aussi députée européenne depuis 2019, au sein du groupe Renew Europe. Elle est coordinatrice de la commission des Budgets, et membre de l’équipe de négociation du Parlement européen pour le prochain budget à long terme au sein de laquelle elle occupe la fonction de co-rapporteure de la réforme des ressources propres.

Toute l’Europe : A quelques jours d’un Conseil européen décisif les 17 et 18 juillet prochains, comment analysez-vous les débats en cours sur le futur budget pluriannuel ?

Valérie Hayer : Avec sa proposition formulée le 27 mai, la Commission européenne a réduit ses ambitions sur le budget pluriannuel en proposant 1 100 milliards d’euros, un montant inférieur à celle qu’elle avait formulée initialement en 2018 [1 135 milliards d’euros à l’époque, ndlr]. En l’état, ce n’est pas à la hauteur, et ce sur plusieurs lignes budgétaires comme Erasmus +, le Fonds européen de défense, la mobilité militaire, Europe créative…

On est aussi attentifs à la question du “frontloading” avancée par la Commission, idée selon laquelle on mettrait plus d’argent en début de CFP pour atténuer les effets de la crise. Or, à enveloppe constante, cette stratégie pousse à tout concentrer sur les premières années sans pouvoir financer les ambitions qu’on veut porter les années suivantes. Nous sommes conscients que la crise a tout bouleversé et qu’un plan de relance a été élaboré en parallèle, mais il doit être complémentaire du CFP, et ne pas l’amputer ou le déséquilibrer.

Quels sont les autres sujets sur lesquels le Parlement européen va se montrer particulièrement vigilant ?

Sur la question du plan de relance, le Parlement s’est exprimé bien avant la Commission et le Conseil européen. Il est favorable à l’émission d’une dette commune et à un fonds qui appuierait la relance dirigée vers les grandes priorités déjà établies avant la crise - notamment le Green Deal et la digitalisation de l’économie. Il est aussi particulièrement attentif à la question des ressources propres qui est un sujet parmi tant d’autres, mais un point décisif sur lequel on a de grosses préoccupations. Un plan de relance qui serait réduit, sans nouvelles ressources propres, nous conduirait à rejeter le CFP.

Les ressources propres sont l’ensemble des revenus directement affectés à l’UE pour financer son budget et qui reviennent de plein droit à l’UE sans nécessité de décision ultérieure des Etats membres. Elles comprennent notamment les ressources propres dites “traditionnelles” , souvent fiscales, sur lesquelles les Etats membres n’ont pas le contrôle (comme les droits de douane), et les contributions nationales des Etats membres, déterminées en pourcentage de leur RNB, qui représentent la plus grande partie de ces ressources propres.

Pourquoi le Parlement européen en général et vous en particulier êtes si attentifs à la question des ressources propres ?

Budgétairement, la situation actuelle nous laisse trois options pour financer ce plan de relance. La première consiste à réduire les crédits du CFP, donc à réduire les ambitions de l’Europe. Cela, on ne le veut pas. La deuxième option consiste à augmenter les contributions des Etats membres, ce qui pèserait in fine sur les contribuables : nous ne le voulons pas non plus. La troisième option - celle que le Parlement européen porte depuis des années - c’est d’introduire de nouvelles ressources propres qui donnent plus d’autonomie à l’UE. Pour ce faire, nous voulons faire payer ceux qui ne contribuent pas à la hauteur des bénéfices qu’ils réalisent au sein du marché intérieur ou ceux qui sont des gros pollueurs.

N’est-ce pas la solution privilégiée par la Commission européenne dans sa proposition du 27 mai ?

Certes, l’annonce politique est là puisque la Commission européenne a effectivement évoqué plusieurs pistes pour introduire de nouvelles ressources propres. Mais elle n’en a pas précisé le détail dans sa proposition législative [elle suggère simplement que le plafond des ressources propres passe temporairement à 2 % du RNB de l’Union, ndlr]. La Commission européenne rétorque qu’elle attend que les discussions soient plus avancées au Conseil européen pour faire des propositions concrètes, mais elle pourrait aussi provoquer les choses politiquement. C’est le rôle que nous jouons. Le Parlement européen a adopté il y a plusieurs années déjà une position favorable à la taxe sur les transactions financières, mais aussi, plus récemment, à une taxe carbone aux frontières, une autre sur les géants du numérique, et enfin à un élargissement du système de quotas d’échange d’émission de gaz à effet de serre aux secteurs maritime et aérien.

Quelles sont les nouvelles ressources propres prioritaires à votre sens ?

Les géants du numérique ne paient pas leur juste part d’impôt, les taxer permettrait donc de ramener de la justice fiscale. L’autre mesure qui retient particulièrement mon attention, c’est le mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, qui permettra de rééquilibrer et d’accompagner nos entreprises face à la concurrence, mais aussi de s’assurer que les pays tiers qui exportent chez nous respectent nos standards environnementaux. Je suis sensible à ces deux pistes car elles ramènent de la justice fiscale, sociale et environnementale avec une dimension incitative pour faire payer les pollueurs. C’est tout l’intérêt et la valeur ajoutée des politiques européennes, encore faut-il qu’elles soient mises en œuvre à temps.

Justement, que pensez-vous du calendrier de mise en place des nouvelles ressources propres de la Commission, qui parle de 2024 pour la plupart d’entre elles [sauf pour la contribution plastique, prévue pour le 1er janvier 2021] ?

De manière générale, on pourrait et on devrait aller plus vite. Ce qui importe c’est qu’un montant de recettes soit atteint et qu’à l’horizon 2021 au moins deux nouvelles ressources propres soient adoptées. C’est la position du Parlement européen. Mais cette question du calendrier dépasse le cadre des ressources propres. Elle concerne aussi le vote du budget pluriannuel, très souvent retardé par des discussions improductives. Les Vingt-Sept s’écharpaient déjà en partie sur le sujet bien avant la crise du coronavirus. Il faut absolument que les Etats sortent de cette logique délétère du juste retour, compréhensible en un sens, mais qui fait que nous retombons tous les sept ans dans les mêmes désaccords.

Institutionnellement, le Parlement européen vit une séquence où la tension politique et l’attention médiatique sont tournées vers le Conseil européen depuis de longues semaines. Comment peser au mieux sur les débats ?

Effectivement, pour le Parlement européen, il est compliqué de trouver sa place en ce moment. Nous avons cependant pris plusieurs positions à une très large majorité et très en amont, avant l’initiative franco-allemande et la proposition de la Commission : nous jouons donc pleinement notre rôle. Le Parlement a travaillé pendant toute la crise, il a permis de fixer des objectifs, des directions. Maintenant, la balle est dans le camp des chefs d’Etat et de gouvernement, mais nous restons très attentifs à leurs conclusions. Le plan de relance est adossé au budget, sur lequel on vote : c’est là que nous pouvons peser politiquement. Nous comptons exercer ce contrôle démocratique au moment du vote, mais aussi sur l’utilisation des ressources du plan de relance a posteriori, même si aucun outil n’a été mis en place à ce niveau pour l’instant.

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