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Garde à vue : rétablir la conformité avec le droit européen

En 2009, 800 000 personnes ont été retenues “à vue” dans les commissariats ou les gendarmeries, quatre fois plus qu’en 2001. Au-delà de ce chiffre préoccupant, ce sont les conditions de détention des personnes qui ont fait réagir la Cour européenne des droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel et la Cour de Cassation, et notamment la présence limitée de l’avocat durant la garde à vue, estimée contraire au droit. Les députés ont deux semaines pour se mettre d’accord sur un texte de réforme.

La France, cas isolé en Europe ?

Actuellement, en France, la garde à vue peut durer jusqu’à 24 heures, voire 48 dans le cas d’un prolongement par le ministère public, et même 96 dans certains cas spéciaux (soupçon de terrorisme, de trafic de stupéfiants, de proxénétisme ou de délinquance organisée). Bien que ces chiffres n’aient rien d’inédit en Europe - en Espagne la durée maximale est de 72 heures et en Italie de 96 heures -, le cas français se distingue par l’absence de délit minimal pour justifier une garde à vue et par la limitation du recours à un avocat dans certains cas (comme pour une infraction justifiant une garde à vue supérieure à 48 heures). Il s’agit d’une a combinaison de facteurs particulièrement contraignante parmi nos voisins européens.

En Belgique, l’avocat ne peut être présent pendant la garde à vue mais celle-ci ne peut jamais dépasser les 24h. De plus, un procès-verbal garde la trace de chaque parole prononcée pendant l’interrogatoire, dont le suspect peut obtenir une copie.


L’élément qui suscite le plus de critiques est la possibilité de limiter au gardé à vue l’accès à son avocat.

La France a dû essuyer les critiques de la Cour de Cassation, qui faisaient elles-mêmes suite à une condamnation par la Cour européenne des droits de l’Homme tombée le 14 octobre 2010. Dans son arrêt Brusco c/ France, cette dernière met en avant deux droits qu’elle estime insuffisamment respectés : le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, et le droit de garder le silence.

Or, de ces droits, les prévenus devraient impérativement être informés ; c’est pour cette raison que la Cour met en avant le droit d’être assisté par un avocat dès le début de la garde à vue et au cours de chaque interrogatoire. En France, les suspects passent dans certains cas 48, voire 72 heures sans avocat. Dès lors, il se peut qu’ils ignorent leur droit à garder le silence, ce qui met en péril leur droit à ne pas s’auto-incriminer.

Un projet de réforme contesté

Avec la réforme qu’il prépare, le gouvernement cherche éviter 300 000 gardes à vue par an.

Le gouvernement français n’ignore pas, lui, les insuffisances du régime actuel, et le chantier de la réforme de la garde à vue a été lancé dès le début de l’année 2010.

Mais les solutions proposées pour réduire le nombre de gardes à vue et se mettre en conformité avec le droit européen, sans entraver les besoins de l’enquête, n’ont pas fait taire les critiques. La commission des Lois française n’a pas hésité à remettre en cause deux de ses éléments centraux, la procédure dite d’ “audition libre” et le contrôle de la garde à vue par le procureur de la République.

Ce second élément s’inscrit dans le débat sur le statut du parquet français, et son lien avec le pouvoir politique. La commission des Lois plaide pour que le contrôle de la garde à vue soit confié au juge des libertés et de la détention, qui fait partie des magistrats du siège, placés sous l’autorité du conseil supérieur de la magistrature. Les uns sont nommés par le ministère de la Justice, les autres issus d’un organe indépendant.

Mais l’élément qui fait le plus débat est celui de l’ “audition libre” . Introduite pour réduire le recours à des mesures privatives de liberté telles que la garde à vue, elle permet d’interroger une personne sans contrainte : cette dernière peut partir quand elle le veut et n’est pas retenue de force. Mais dans son application, elle soulève de nombreux problèmes.

La possibilité pour un suspect de “librement” se soustraire à une audition par la police contredit la nécessité, pour les enquêteurs, de l’interroger. Dans les faits, le “choix” doit se faire entre être entendu librement ou bien, en cas de refus, être mis en garde à vue. Quelle est donc la pertinence de l’audition libre ?

D’autant qu’en cas d’audition libre, la personne ne bénéficie pas des droits liés à la garde à vue (recours à un avocat, examen par un médecin, coup de téléphone à un proche). Or, on peut imaginer qu’un suspect puisse se laisser impressionner par une cellule dans laquelle il pourrait être confiné 48 heures durant, et accepter plus facilement d’abandonner ces droits. Ainsi, l’opposition dénonce une mesure qui aurait pour effet un recul des droits pour le plus grand nombre.

Les députés, qui continuent aujourd’hui d’examiner le projet, devront trouver un équilibre qui permet à la fois de protéger les droits du suspect et de préserver l’efficacité du travail des enquêteurs. Les négociations s’annoncent très difficiles.

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