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Etat des lieux du centrisme en Europe, par Serge Berstein

A l’approche des élections présidentielles en France, Touteleurope.eu publie une série d’entretiens sur les familles politiques en Europe. C’est au tour de Serge Berstein, historien et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, de dresser un état des lieux des partis du centre.

Touteleurope.eu : Qu’appelle-t-on aujourd’hui “centrisme” ?

Serge Berstein est historien et professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Institut d’études politiques de Paris. Il est, avec Pierre Milza, auteur de célèbres manuels sur l’histoire du XIXe et du XXe siècle, en France et dans le Monde.

Serge Berstein : Définir le centrisme est à la fois facile… et un peu décevant ! Il s’agit tout d’abord, si l’on veut, d’un lieu géométrique : les centristes se positionnent comme compromis entre deux extrêmes.

Le deuxième sens, on le trouve par exemple dans la phrase de Georges Pompidou : “Je suis centriste” . Il s’agit alors d’un comportement visant à gouverner, non en fonction de vues extrêmes mais en arbitrant en faveur de la plus grande partie de la population et en évitant les excès. De fait, on trouve un tel pragmatisme de la part de beaucoup de gouvernements : ce sont en général les “modérés” , de droite comme de gauche, qui occupent les fonctions exécutives.


Dans tous les cas, le contenu est donc mouvant par nature. Il n’existe aucune doctrine centriste, et le programme des partis définis comme tels dépend et du lieu et de l’époque, auxquels appartiennent des enjeux politiques et des forces en présence bien spécifiques.

Touteleurope.eu : Quels sont les principaux courants centristes aujourd’hui en Europe ?

Serge Berstein : Prenons d’abord le cas de la France au XXe siècle. Le centrisme y prend forme avec deux traditions, opposées de nombreux points mais avec des zones de recouvrement : le radicalisme à gauche et la démocratie chrétienne à droite. Mais les deux ont accepté le libéralisme, avec comme correctif l’intervention de l’Etat.


C’est ce qui a donné lieu au “modèle social français” : on accepte la liberté des échanges et de la production, la propriété privée, l’équilibre du budget et on admet à la fois que l’Etat intervienne à la marge pour limiter ses excès et faire en sorte que les plus démunis ne soient pas complètement sacrifiés.


Or, on ne retrouve pas exactement ces critères dans les autres pays d’Europe. Le libéralisme allemand, qui date de la formation de l’Empire, n’est pas centriste mais franchement progressiste au XIXe siècle, puis se positionne petit à petit entre les traditions social-démocrate du SPD et conservatrice de la CDU. Il se réclame alors d’un libéralisme économique qu’on ne trouve dans aucune de ces dernières, et se situe à droite d’une partie de la CDU sur les questions sociales.

En Angleterre, le parti libéral a été le moteur des grandes avancées du XIXe siècle, de la modernisation de la monarchie, qui aboutit sans révolution à la démocratie libérale du début du XXe siècle. Il est alors en position de grand parti dans le système bipartisan britannique. Mais la création du Parti travailliste à partir des Trade Unions, qui va beaucoup plus loin dans le sens des intérêts ouvriers, fait perdre au parti libéral son aspect progressiste. C’est à ce moment que le parti libéral se retrouve en position centriste. A la différence du radicalisme ou de la démocratie-chrétienne en France, il ne l’est pas par définition.

Touteleurope.eu : Dans quels pays européens est-il le plus puissant ? Le plus faible ?

Serge Berstein : Le centrisme existe partout en Europe, avec des différences énormes quant à son influence sur le jeu politique global. Celle-ci dépend en grande partie des systèmes électoraux : en France, où depuis le référendum de 1962 sur l’élection du président de la République au suffrage universel on se dirige vers un système de bipolarisation, il est clair que l’espace réservé au centrisme est extrêmement réduit. Sur le plan électoral, il représente des pourcentages bien moindres que ceux des deux grandes forces auxquelles il est opposé, et a, par conséquent, du mal à survivre.

Cependant, le centrisme refait son apparition lors des élections présidentielles de 2007 et de 2012, avec un argumentaire qui rejette à la fois le bilan de la droite et celui de la gauche, tout en reprenant une partie du programme de chacun. Par conséquent, la sympathie que le centrisme parvient à susciter auprès de l’électorat pendant la campagne, diminue fortement au moment de voter “utile” . D’où l’écart de 5 points entre les intentions de vote et les résultats de Monsieur Bayrou en 2007.

En Allemagne et dans de nombreux autres pays européens, où existent une dose de proportionnelle dans les scrutins majoritaires, les libéraux arrivent parfois à se faire une petite place. L’objectif est alors de constituer un appoint indispensable à l’un ou l’autre des partis majoritaires pour constituer une coalition. Dans les années 1960-70, les libéraux allemands font ainsi cause commune avec les sociaux-démocrates pour renvoyer dans l’opposition les chrétiens-démocrates qui avaient gouverné l’Allemagne pendant 20 ans, puis rejoignent ces derniers à partir des années 1980.

Touteleurope.eu : Les courants centristes partagent-ils un même projet européen ?

Serge Berstein : A mon sens, il existe aujourd’hui deux traits dominants chez les centristes : ils sont tous favorables au libéralisme économique sans intervention majeure de l’Etat, et à la constitution d’une Europe fédérale. Les démocrates-libéraux de Nick Clegg sont ainsi très malheureux de la brouille entre la Grande-Bretagne et le reste de l’Europe, suite au refus catégorique de Cameron de signer le pacte budgétaire.

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