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Emilie Prouzet : “Le coût de la non-Europe représente des milliers d’occasions manquées d’approfondir notre marché intérieur”

Près de 35 ans après la publication du rapport Cecchini sur le “coût de la non-Europe”, la question resurgit comme une perspective pertinente et utile pour faire avancer le débat sur la poursuite de l’intégration européenne.

"La non-Europe est aussi et surtout notre échec", prévient Emilie Prouzet - Crédits : Sébastien Pirlet / Comité économique et social européen
La non-Europe est aussi et surtout notre échec”, prévient Emilie Prouzet, membre du groupe des employeurs au Comité économique et social européen - Crédits : Sébastien Pirlet / Comité économique et social européen

L’idée centrale portée par le concept de “non-Europe” est que l’absence d’action commune au niveau européen peut entraîner une perte d’efficacité pour l’ensemble de l’économie. A contrario, dans des secteurs spécifiques, la mise en commun des ressources au niveau de l’UE nous permettrait de construire une véritable identité économique, industrielle et technologique. Les avantages économiques potentiels d’une action donnée peuvent ainsi être mesurés en produit intérieur brut (PIB) supplémentaire généré, en économies publiques ou en d’autres dépenses.

Rien n’est acquis

La République tchèque a mis à l’honneur cet aspect dans le cadre de sa présidence de l’Union européenne (juillet-décembre 2022), pour construire la résilience stratégique de l’économie européenne et approfondir notre marché unique. Nous avons donc, en Europe, l’acquis communautaire. C’est la somme de toutes les choses que nous sommes parvenus à construire ensemble. Et notre marché unique devrait en être la parfaite illustration. Mais en réalité, rien n’est acquis, et la situation se dégrade.

La non-Europe, c’est la fragmentation de ce marché. Ce sont 27 régimes distincts qui régulent nos économies, nos emplois mais aussi des sujets aussi globaux que la durabilité.

Il y a 40 ans, les travailleurs européens travaillaient en moyenne une semaine par an pour financer la “non-Europe”. Cinq ans plus tard, la non-Europe représente un manque à gagner de 8 milliards d’euros pour les entreprises. En 2019, on a estimé à 990 milliards d’euros le coût collectif de cette fragmentation.

Pour bien comprendre ce dont on parle, si l’on diminue les obstacles aux services de 50 %, les avantages potentiels représentent environ 279 milliards d’euros de PIB supplémentaire par an. Une diminution de 80 % représenterait 457 milliards d’euros de gain.

Pas vraiment un problème de financement

Attaquons-nous de même aux entraves à la libre circulation des marchandises. Elles représentent entre 228 et 372 milliards d’euros d’avantages économiques par an. Le Parlement européen a débattu de ces montants en mai dernier. Les chiffres sont là, et ils sont considérables.

Alors comment y remédier ? Est-ce un problème de financement ? Pas vraiment. En avril 2021, le Conseil adoptait son programme en faveur du marché unique pour la période 2021-2027. Il s’agit d’un budget de 4,2 milliards d’euros.

Parce qu’ensemble, nous considérons que le marché intérieur est important, nous nous octroyons un budget, pour bien faire comprendre que le marché intérieur est important et ne doit pas être fragmenté.

C’est ubuesque. Notification, recours au règlement, harmonisation maximale…. nous avons les outils pour faire fonctionner ce marché unique et réduire ce coût de la non-Europe.

Car finalement, la non-Europe est aussi et surtout notre échec, l’échec de la légitimité de nos travaux dans les institutions, puisque chaque État membre semble vouloir faire mieux ou différemment sur son propre territoire, en revenant sur les travaux au sujet desquels tous avaient pourtant fini par s’accorder à Bruxelles, et en les corrigeant.

Absolue nécessité de convaincre

Le rapport que le CESE a produit pour la présidence tchèque s’appuie sur des faits, pour bien souligner le coût de la non-Europe. Il recommande en outre de s’appuyer sur un certain nombre d’outils pour y remédier. Mais il met aussi en exergue l’absolue nécessité de parvenir à nous convaincre, à convaincre les législateurs nationaux, les gouvernements et les citoyens européens que la solution européenne peut prendre en compte nos spécificités, qu’elle représente la solution optimale à des enjeux transversaux et collectifs.

Nous devons parvenir à proscrire toute forme de dumping commercial, social, réglementaire, fiscal ou environnemental qui fausse la concurrence sur notre marché.

Un marché unique performant est une condition sine qua non de notre “autonomie stratégique ouverte”.

Une fois ce rapport adopté, je ne pense pas que le travail s’arrêtera là. Il faudra encore le porter. Prêcher la bonne parole à Paris, Berlin, Prague, Bratislava, …. remédier à la non-Europe, c’est avant tout une question de volonté, de volonté politique mais pas uniquement, et il faudra convaincre chaque État membre un par un.

Par Emilie Prouzet, membre du groupe des employeurs au Comité économique et social européen

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