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Le droit européen prime-t-il le droit français ?

Traités, règlements, directives ou décisions de la Cour de justice de l’Union européenne : les Etats membres dont la France sont tenus d’appliquer le droit de l’UE. C’est ce que l’on appelle la primauté du droit européen. En pratique, qu’implique ce principe ?

Au cœur de la construction européenne, le principe de primauté du droit communautaire a pourtant plusieurs fois été remis en cause par des Etats membres de l’UE - Crédits : studiocasper / iStock

Si le principe a mis du temps à s’immiscer dans la jurisprudence et les traités européens, la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national est aujourd’hui reconnue par toutes les juridictions. Selon ce principe, le droit européen, primaire (traités et protocoles associés tels que la Charte européenne des droits fondamentaux) comme dérivé (règlements, directives et décisions), bénéficie d’une supériorité sur le droit des Etats membres. A titre d’exemple, si une loi nationale va à l’encontre d’un règlement européen, c’est ce dernier que l’Etat membre devra appliquer et que les citoyens européens pourront faire valoir en cas de litige.

Une reconnaissance progressive de la primauté du droit de l’UE

Sa reconnaissance formelle intervient le 15 juillet 1964 à l’occasion d’un arrêt fondateur de la Cour de justice des communautés européennes (ancêtre de la Cour de justice de l’UE), l’arrêt Costa c./ENEL. Celui-ci, premier exemple d’une longue série allant dans ce sens, précise qu’en cas de conflit entre les normes nationales et européennes, ce sont ces dernières qui s’appliquent. Selon la définition apportée par Dalloz, le principe de primauté “bénéficie à toutes les normes de droit européen disposant d’une force obligatoire et s’exerce à l’égard de toutes les normes nationales”. Malgré plusieurs tentatives, le principe ne sera toutefois jamais officiellement consacré dans les traités. Seule une déclaration annexée au traité de Lisbonne de 2007, portant le numéro 17, le mentionne explicitement. 

Dans les Etats membres également, le principe est peu à peu reconnu. En France, l’article 55 de la Constitution prévoit dès 1958 les dispositions permettant d’établir la primauté du droit de l’Union européenne. Le texte dispose ainsi que “les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie”. Le Conseil d’Etat le consacrera en 1989, à l’occasion de l’arrêt Nicolo, qui précise qu’il revient aux juridictions administratives de vérifier que les dispositions des lois sont conformes aux traités internationaux.

La Cour constitutionnelle fédérale allemande a également reconnu le principe outre-Rhin. Se fondant sur l’article 24 (1) de la Loi fondamentale, l’équivalent de la Constitution française, l’instance basée à Karlsruhe “affirme depuis longtemps la suprématie du droit communautaire”, explique une publication du Conseil constitutionnel français.

Si la plupart des Etats membres ont reconnu ce principe, certains ont plusieurs fois émis des réserves quant à la primauté du droit européen sur leurs constitutions nationales, considérées comme la norme suprême par certains ordres juridiques.

Un principe plusieurs fois remis en cause dans l’UE

Alors que l’Allemagne reconnaît depuis de nombreuses années le principe de primauté du droit de l’UE, une décision rendue par sa Cour constitutionnelle a fait grand bruit le 5 mai 2020. A l’époque, l’instance fédérale considérait que le programme de rachat de dette publique de la Banque centrale européenne violait, en partie, la Constitution allemande. Une décision contraire à celle de la Cour de justice de l’UE (CJUE), la plus haute juridiction de l’Union européenne, qui avait validé ce programme en 2018. Gardienne des traités, la Commission européenne a ainsi ouvert en juin 2021 une procédure d’infraction à l’encontre de l’Allemagne pour non-respect du principe de primauté du droit européen.

En 2021, cette question s’est de nouveau dans le collimateur de la CJUE en raison d’une réforme judiciaire mise sur pied en Pologne. Dans un arrêt en mars dernier, la Cour européenne a ainsi affirmé que celle-ci n’était “pas conforme” au droit européen, au motif qu’elle portait notamment atteinte à l’indépendance des juges. Le Tribunal constitutionnel polonais affirme de son côté que l’Union n’a pas le pouvoir de s’opposer à cette réforme et a avancé dans un arrêt du 7 octobre 2021 que certains articles des traités européens étaient incompatibles avec sa Constitution nationale. La présidente du tribunal Julia Przyłębska a ainsi déclaré que les institutions européennes agissaient “au-delà du champ de leurs compétences”. Devant les eurodéputés et le Premier ministre Mateusz Morawiecki, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a estimé, le 19 octobre 2021, que “ce jugement, sans précédent, [remettait] en cause les fondations de l’Union européenne”. Si l’exécutif européen a gelé l’octroi des fonds de son plan de relance à la Pologne, il pourrait également prendre de nouvelles mesures coercitives à l’encontre de Varsovie.

Le principe d’effet direct des traités

Certains actes législatifs et non législatifs de l’Union s’appliquent directement aux pays de l’Union européenne ainsi qu’aux particuliers. Le principe d’effet direct permet ainsi à ces derniers, indépendamment de l’existence d’une traduction dans le droit national, “d’invoquer directement une norme européenne devant une juridiction nationale ou européenne”. Ce principe a été consacré par la CJUE en 1963 à l’occasion de l’arrêt Van Gend en Loos.

On distingue l’effet direct vertical, permettant aux particuliers de se prévaloir d’une norme européenne vis-à-vis d’un pays, de l’effet direct horizontal, qui autorise un particulier à se prévaloir de cette norme vis-à-vis d’un autre particulier.

Si l’ensemble du droit primaire est en règle générale concerné par l’effet direct, celui-ci concerne moins systématiquement les actes du droit dérivé. Une directive, acte pour lequel un délai de transposition par les Etats membres de l’UE est prévu, a un effet direct seulement si “elle est claire, précise, inconditionnelle” et que le délai pour la transposer n’a pas été respecté par un Etat, explique le portail web du droit européen, EUR-Lex.

Les limites du droit européen

Si le droit européen prime le droit national, le champ d’application du premier est bien plus restreint que celui du second, ce qui écarte l’idée d’une toute-puissance de la législation de l’UE. Ainsi, en vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités.

Conformément au principe de subsidiarité, l’Union n’intervient (dans les domaines de compétence qu’elle partage avec les Etats membres selon le principe d’attribution) que si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être suffisamment atteints par les États membres, tant au niveau national qu’aux échelons régional et local.

Enfin, l’Union doit respecter le principe de proportionnalité. En d’autres termes, elle doit veiller à ce que le contenu et la forme de son action n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. 

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