Toute l’Europe : Comment l’Internet peut-il améliorer la démocratie représentative ?
Dominique Reynié : Internet y contribue sur deux aspects : il peut améliorer le fonctionnement de la démocratie représentative, et apporter à côté des formes représentatives, des formes plus participatives.
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Sur le premier aspect, l’apport d’Internet se joue dans son amélioration de l’accès des citoyens aux données qui permettent au législateur de produire la loi. Le citoyen trouve à sa portée les arguments sur lesquels le législateur se décide, les faits qu’il prend en considération, le nom des parlementaires et des groupes qui contribuent ou non au débat, le rôle des entités privées comme les différents lobbies… Par un effet de transparence, Internet permet au citoyen d’avoir une vision plus complète de la production législative. Il place ainsi les représentants élus sous la contrainte plus nette et plus forte du regard publique, ce qui les amène à intérioriser a priori ce regard extérieur et à modifier leur comportement en conséquence.
Internet permet aux citoyens dès lors qu’ils disposent d’une information supplémentaire de rentrer eux-mêmes dans un travail de proposition, de faire converger leurs expériences sur un sujet donné, de formaliser des idées de législation ou de réglementation et ainsi de mettre en route un processus de coproduction législative qui peut être utile aux parlementaires dans une relation qui va de la participation au débat, information des parlementaires, jusqu’à la coproduction législative.
TLE : On a vu récemment en Tunisie, en Iran ou aux Philippines l’impact des réseaux sociaux dans des sociétés fermées. Pensez-vous qu’ils peuvent avoir le même impact dans nos sociétés occidentales démocratiques ? Que peut-on en tirer ?
DR : Dans la pratique, les réseaux sociaux multiplient les liens entre les citoyens, permettent une circulation plus intense de l’information, parfois pour le pire mais souvent pour le meilleur. La véracité des informations peut être vérifiée plus rapidement par la participation sinon universelle, du moins d’un très grand nombre d’individus. Par le biais des réseaux sociaux, une partie substantielle de la société civile réfléchit collectivement et spontanément à ce qu’il se passe, à ce que lui propose le pouvoir. Elle est elle-même capable de faire des propositions.
Chez nous, les systèmes démocratiques sont déjà ouverts, donc c’est moins spectaculaire qu’ailleurs. Outre le web, la société civile est largement libre de s’exprimer, mais ce lien social s’intensifie. Or cette intensification est telle que l’on change de nature, pas seulement de degré.
Il reste pourtant des progrès considérables à faire, en particulier en France, sur l’accès des citoyens à des données qui sont la propriété de l’Etat, mais qui appartiennent donc à tout le monde. Leur diffusion à tous les individus intéressés à la chose publique permettra à ces derniers d’améliorer leurs compétences, et de créer à partir de ces données des propositions. Cela permettra d’intensifier le contrôle du pouvoir par la société civile et l’expression des préférences de la société civile pour elle-même et pour le pouvoir.
TLE : Comment expliquer le succès des partis extrémistes sur les réseaux sociaux, les blogs, la progression de Marine Le Pen par exemple sur Facebook ?
DR : Le Web offre depuis son déploiement un média très ouvert, auquel on accède sans avoir besoin de relations, d’autorisation… Bien sûr, quand on est organisé c’est encore mieux, mais il est si ouvert, si facile d’accès que toutes les formes périphériques de l’expression politique, qui n’ont pas accès aux médias classiques très fermés et très conservateurs, ont surinvesti le réseau avec des soutiens beaucoup plus militants. Sur le web, sur de nombreuses questions les individus interviennent en dilettantes. Pour les affaires politiques, leur implication est déjà plus grande. Mais les militants des partis protestataires sont d’autant plus acharnés et peuvent à dix faire le travail d’une centaine d’internautes modérés. A leur décharge, ils n’ont qu’un accès très difficile aux médias classiques, donc ils surinvestissent le web, multipliant les pseudos, décuplant parfois artificiellement leur présence.
J’ajouterai que la culture dominante actuelle, qui me semble un peu paranoïaque, veut que les médias classiques mentent ou soient orientés tandis que le web serait un lieu sincère où la vérité se trouverait entre les mains des concitoyens eux-mêmes, qui ne sont ni des journalistes ni des élus. Cette paranoïa vise tous ceux qui ont pour spécialité de représenter le monde (experts, journalistes, ou les politiques qui le représentent au sens politique). Cette idée qu’on peut accéder via le web à un monde qui n’est pas truqué correspond au fantasme populiste d’un monde qui n’a pas besoin que l’on parle à sa place.
En savoir plus :
Le programme des Etats généraux du renouveau - Toute l’Europe
La Fondation pour l’innovation politique - site web du think tank