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David Nichols, Amnesty International : “Les droits de l’homme sont souvent perçus comme un sujet de second rang”

Les 12 et 13 juillet se tenait à Bruxelles la 12ème édition annuelle du forum UE-ONG. Organisé par la Présidence belge de l’UE et par la Commission européenne, le forum de cette année était consacré au traité de Lisbonne et à sa signification en matière de politique européenne des droits de l’homme. Interrogé par Touteleurope.fr, David Nichols d’Amnesty International explique la finalité du forum et nous livre son avis sur les principales répercussions du traité de Lisbonne sur l’action en faveur des droits de l’homme d’Amnesty International, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’UE.

Touteleurope.fr : Quel était le thème du forum UE-ONG ? Quel était le but de ce forum ?

David Nichols : Le forum est un événement qui a lieu chaque année, au second semestre. Il réunit des ONG actives dans le domaine des droits de l’homme en Europe et ailleurs. Chaque édition aborde un thème différent. Cette année, le thème général du forum était l’impact du traité de Lisbonne sur l’action en matière de droits de l’homme. Un thème très ambitieux. Le forum réunissant un nombre réduit d’ONG, le temps pour débattre ne manque pas.

Quatre ateliers ont été organisés pour les discussions : instruments de l’UE pour les droits de l’homme dans la lutte contre la peine de mort ; promotion des droits économiques, sociaux et culturels ; relations de l’UE avec les mécanismes régionaux de droits de l’homme (Conseil de l’Europe, OSCE, Union africaine, ASEAN ou OAS) ; et cohérence des politiques des droits de l’homme internes et externes.

Des thèmes très ambitieux, donc, et il est évident qu’à partir d’un débat aussi large, il était difficile d’aboutir à des recommandations concrètes en une journée et demie de réunion. Notre espoir est de lancer le processus et que ce travail préalable déclenchera dans les États membres une réflexion qui se poursuivra le reste de l’année. Ce forum n’est pas une fin en soi et il est beaucoup trop tôt pour dire s’il était réussi ou non.

TLE : Quelles sont les étapes suivantes ? Quel est le suivi prévu ?

DN : La Présidence belge de l’UE organise une révision majeure de la stratégie des droits de l’homme de l’UE sous la houlette de Catherine Ashton, Haut Représentant de l’Union européenne. Le processus se poursuivra jusqu’à la fin de l’année. Le forum en marque le début. Il y aura encore beaucoup de débats entre les institutions, les États membres et les ONG. Nous espérons qu’ils aboutiront à la formulation de quelques avancées d’ici la fin de l’année et le début de l’année prochaine.

TLE : Sur quels projets de l’UE Amnesty travaille-t-elle ? Quels résultats positifs avez-vous obtenus ces derniers temps ?

ND : Notre antenne européenne travaille sur les politiques des droits de l’homme de l’UE à l’intérieur de ses frontières et à l’extérieur. Les résultats engrangés dans l’un et l’autre cas sont très différents.

Sur le plan intérieur, nous travaillons beaucoup sur les questions d’asile et de migration ainsi que sur la lutte contre les discriminations, en particulier à l’égard des Roms en Europe. Nous travaillons également sur la justice pénale au sein de l’UE et les implications des politiques antiterroristes en matière de droits de l’homme.

Sur le plan extérieur, nous nous concentrons sur les relations bilatérales de l’UE avec les pays tiers. Plus particulièrement sur la protection des défenseurs des droits de l’homme et sur l’abolition de la peine de mort dans le monde entier. Nous focalisons surtout nos efforts sur les relations de l’UE avec des “partenaires stratégiques” et cherchons à ce que la question des violations des droits de l’homme soit soulevée lors des rencontres de l’UE avec les pays concernés, à ce que l’UE ne se contente pas d’aborder les questions d’énergie, de commerce, etc. L’absence de mention des violations des droits de l’homme lors de ces rencontres de haut niveau sont notre principal problème pour ce qui concerne la politique extérieure.

La position de l’UE sur les droits de l’homme est ferme en théorie - c’est déjà une grande victoire - même si, dans la pratique, il est bien d’autres questions que l’UE souhaite aborder avec des partenaires comme la Russie ou les pays d’Asie centrale. L’énergie ou la coopération antiterroriste ont tendance à avoir la priorité sur les droits de l’homme. Il est peu probable que les représentants de l’UE discutent des violations massives des droits de l’homme qui se produisent dans ces pays. Les droits de l’homme seraient alors perçus comme un sujet de second rang, par rapport à d’autres questions plus politiques. On trouve des illustrations de cette perception aux quatre coins du monde, lorsque l’UE est engagée dans des discussions d’ordre commercial. Dans la pratique, bon nombre de sujets passent avant les droits de l’homme et l’amélioration de la situation de ces droits dans les pays tiers impliqués.

Sur le plan intérieur, l’UE n’a pas de politique des droits de l’homme. L’UE peut parler de politiques de droits de l’homme à l’extérieur mais, quand des atteintes aux droits de l’homme sont constatées au sein de l’UE, il n’existe aucun moyen de s’y attaquer. Un pays qui souhaite adhérer à l’UE est soumis à des critères stricts en matière de droits de l’homme. L’examen des pays candidats est très poussé. L’UE se penche actuellement sur la situation en Croatie et les exigences posées à ce pays sont très lourdes, en particulier aujourd’hui que s’ouvre le chapitre des négociations d’adhésion concernant la justice et les droits fondamentaux.

Mais on sait qu’une fois le pays devenu membre de l’UE, plus aucun contrôle n’est pratiqué. Cela peut poser un vrai problème tant en ce qui concerne la lutte contre violations des droits de l’homme que la cohérence de la politique de l’UE à l’intérieur de ses frontières.

TLE : Quelles sont les conséquences du traité de Lisbonne sur le traitement des droits de l’homme dans le cadre européen ?

DN : le traité de Lisbonne a eu des conséquences sur les plans intérieur et extérieur. D’abord, la Charte des droits fondamentaux est aujourd’hui un instrument contraignant avec lequel toutes les politiques européennes, d’ordre intérieur comme extérieur, doivent être en conformité. Ensuite, autre nouveauté majeure, l’Union européenne est désormais dotée d’une personnalité juridique et peut donc ratifier la Convention européenne des droits de l’homme. Cela signifie que la Cour européenne des droits de l’homme peut avoir à connaître toutes les actions des institutions européennes.

Sur le plan extérieur, une innovation majeure a été la création des fonctions de Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, de Président du Conseil européen ainsi que la création du Service européen pour l’action extérieure. Le Président du Conseil européen et le Haut représentant doivent accorder une plus grande visibilité aux questions des droits de l’homme. Il est clair que la protection des droits de l’homme est un des principaux objectifs de la politique extérieure européenne et c’est ce qu’a confirmé le traité de Lisbonne. Le Service européen pour l’action extérieure a pour mission de donner plus de cohérence à la politique extérieure de l’UE. En théorie donc, cela devrait se traduire par une plus grande cohérence entre les dossiers relatifs au commerce, à l’énergie et au développement, les droits de l’homme et la politique étrangère. Plus un seul commissaire ne devrait se rendre dans un pays pour discuter de l’énergie sans aborder la question des droits de l’homme.

Il est toutefois encore trop tôt. Nous verrons dans les années à venir quel sera l’impact réel de ces changements. Le Service européen pour l’action extérieure n’est pas encore opérationnel et ne le sera pas avant quelques mois. Le Haut Représentant s’occupe surtout actuellement de la mise en place du Service. Elle n’a pas encore vraiment fait le tour de ses dossiers.

En ce qui concerne les autres fonctions créées par le traité de Lisbonne, le rôle que le Président du Conseil européen va jouer dans la politique étrangère n’est pas encore complètement éclairci, pas plus que la manière dont la conformité des politiques de l’UE avec la Charte des droits fondamentaux sera assurée. La Commission établira en septembre un document qui explique les modalités de mise en œuvre de cette nouvelle mesure et elle présentera probablement un rapport annuel de suivi sur la conformité des politiques de l’UE vis-à-vis de à la Charte dans les années qui viennent .

TLE : De quand date la création du Bureau d’Amnesty International à Bruxelles ? Quelle est l’efficacité de votre action de lobbying à Bruxelles ? Auprès de quelle institution agissez-vous le plus ?

DN : Amnesty a créé son antenne bruxelloise en 1985. Cela s’est fait à l’initiative des sections nationales dans les États membres de l’UE. Celles-ci se sont aperçues, dans le cadre de leurs actions auprès des gouvernements nationaux, que nombre des questions sur lesquelles elles entendaient exercer une influence étaient en fait traitées à Bruxelles.

Elles ont constaté que leur déficit d’influence et d’information était dû au fait qu’elles n’avaient personne à Bruxelles pour suivre les discussions ou pour agir auprès des fonctionnaires dans les institutions. Notre bureau est donc avant tout un bureau de lobbying et de communication.

Nous travaillons avec toutes les institutions : Conseil, Commission et Parlement. L’accès au Parlement est le plus ouvert à bien des égards. Toutefois, dans le domaine des affaires étrangères, le pouvoir se trouve du côté du Conseil et il est donc la cible principale de notre lobbying en matière de politique étrangère. Le lobbying à Bruxelles est très différent du lobbying dans les États membres. Naturellement, la situation varie entre États membres car le degré d’ouverture au lobbying peut être totalement différent selon le pays concerné. Certains États membres ont une tradition de travail avec les groupes de pression et les ONG, d’autres non. On le constate ici aussi, pas seulement au travers de nos équipes de lobbying national, mais aussi grâce à notre expérience avec des fonctionnaires à Bruxelles. En général, Amnesty bénéficie d’un bon accès vu qu’en ce qui concerne la politique étrangère, la politique de l’UE est claire. Cette politique pèche parfois dans sa mise en œuvre, mais elle a le mérite d’être claire ! Et puis, les institutions ont aussi besoin de nous pour l’information. Nous sommes un partenaire à bien des égards pour bon nombre d’entre elles. Toutefois, aujourd’hui encore, cette ouverture est dans une bonne mesure une affaire d’individus, selon qu’ils auront confiance ou non dans la société civile, qu’ils comprennent ou non le rôle de cette dernière et la manière dont elle peut concourir à la réalisation de leurs objectifs.

TLE : L’UE va devenir membre de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Quelle sera la différence pour l’UE ? Cela peut-il conduire à des conflits entre la Charte européenne des droits fondamentaux et la CEDH ?

DN : Il est très, très important que l’UE signe la Convention européenne des droits de l’homme et puisse, de ce fait, être responsable devant la Cour européenne des droits de l’homme. Il s’agit d’une nouveauté majeure. Aujourd’hui, les institutions européennes n’ont de compte à rendre devant aucune instance supérieure. Dans les États membres, il existe une cour constitutionnelle ou suprême qui est la plus haute juridiction, mais si une personne ayant épuisé tous les recours au niveau national s’estime malgré tout victime d’une violation ou d’un déni de ses droits, elle a la possibilité de porter l’affaire devant la Cour européenne, tout comme une cour suprême nationale peut aussi se tourner vers la Cour européenne si elle ne se juge pas en mesure de se prononcer sur une question.

Actuellement, la plus haute juridiction pour les institutions de l’UE est la Cour européenne de justice. Cependant, avec les changements de Lisbonne, les actions des institutions européennes seront soumises à un contrôle externe de la Cour européenne des droits de l’homme.

Des conflits… ? Je ne le pense pas. Les deux textes ont beaucoup en commun. La Charte européenne des droits fondamentaux est principalement destinée à assurer un contrôle à priori de la conformité des mesures de l’UE avec les engagements de la Charte. Elle ne sera pas nécessairement utilisée pour contraindre les institutions à rendre compte à postériori, ce qui sera le rôle de la Convention européenne des droits de l’homme le jour où l’Union européenne aura ratifié cette dernière. La ratification risque de prendre quelques années. De nombreuses négociations seront encore nécessaires au sein de l’UE pour parvenir à la mise en œuvre de cet aspect du traité de Lisbonne.

Pour en savoir plus :


Forum ONG sur les droits de l’homme

Amnesty International

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