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Croatie, Turquie, Ukraine … le point sur la politique d’élargissement de l’Union européenne avec Pierre Verluise

Directeur de recherche à l’IRIS et directeur du Diploweb.com, revue géopolitique en ligne, Pierre Verluise a publié en début d’année Géopolitique des frontières européennes. Elargir, jusqu’où ? (édition Argos, diffusion PUF) un ouvrage illustré de 20 cartes en couleur. Alors que l’Union européenne s’apprête à accueillir son 28e Etat membre, la Croatie, le 1er juillet 2013, quelles conséquences ce nouvel élargissement peut-il avoir sur la géopolitique européenne ? L’Union européenne va-t-elle continuer à s’élargir, à la Turquie, l’Ukraine, ou l’Islande ? L’auteur a accordé une interview à Touteleurope.eu.

L’entrée de la Croatie le 1er juillet 2013 entraînera-t-elle des changements au sein de l’Union européenne ?

Pierre Verluise : La Croatie, avec 4,5 millions d’habitants environ, est un pays relativement peu peuplé. Sa superficie est réduite et son niveau de vie est proche de celui de la Pologne. Donc l’impact de l’adhésion de la Croatie sur l’ensemble de l’Union européenne va être relativement réduit, néanmoins elle va porter l’ensemble de la population européenne de 503 à 507 millions d’habitants environ, ce qui est un changement non négligeable. Nous sommes un demi milliard d’Européens, soit beaucoup plus que les Etats-Unis, mais la dynamique démographique de l’Union européenne n’est pas la même.

Directeur du Diploweb.com, Pierre Verluise publie Géopolitique des frontières européennes. Elargir, jusqu’où ? Illustré de 20 cartes en couleur, éd. Argos, diffusion Puf, 2013, 192 p.



Cet ouvrage propose des réponses claires et précises aux questions suivantes :

- jusqu’où l’Union européenne compte-t-elle encore s’élargir ?

- quelles relations l’UE
entretient-elle aujourd’hui avec des pays de l’Est qui étaient hier considérés comme des ennemis ?

- comment s’organisent les relations de l’UE avec le Sud ?

Voir sur le Diploweb.com le chapitre 1, consacré aux prochains élargissements de l’Union européenne

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La Croatie est un pays vieillissant qui vient s’inscrire dans une dynamique de vieillissement de l’Union européenne. C’est un point important.

Quels sont les critères, nécessaires à l’adhésion européenne, sur lesquels la Croatie aura encore à travailler après son entrée ?

Pierre Verluise : La Commission européenne a annoncé qu’elle surveillerait toutes les questions judiciaires, d’Etat de droit et de lutte contre la corruption. La Croatie a du travail à faire en la matière, comme beaucoup de pays entrés récemment. Certains ont progressé, c’est le cas notamment de l’Estonie. La Pologne est également partie de loin et a fini par progresser. Il faut espérer que la Croatie fera aussi bien. La Roumanie et la Bulgarie ont encore des progrès à faire.

Mais quand on parle de corruption il faut également balayer devant sa porte et noter qu’un pays fondateur, l’Italie, a un niveau de corruption très élevé et de même que la Grèce, entrée tout de même depuis 1981, ce qui est une des origines de la crise que nous connaissons. Cela veut dire que l’Union européenne a raison de s’intéresser aux questions de corruption puisqu’elle paie aujourd’hui très cher le fait de ne pas l’avoir fait pendant longtemps.

L’Ukraine a-t-elle vocation à adhérer à l’Union européenne ?

Pierre Verluise : L’Union européenne s’intéresse à l’Ukraine depuis 2004 au moins : à cette date la Pologne est entrée dans l’Union européenne et cette dernière considère l’Ukraine un peu comme chez elle. Entre le XVe et le XVIIIe siècle Kiev était en effet du royaume de Polono-Lituanie et, comme les Français se sentent intéressés par des territoire qu’ils ont dominés ou occupés par le passé, les Polonais font la même chose.

La difficulté c’est que la Russie considère, du moins pour une partie de ses composantes, que l’Ukraine est son berceau. Cela fait donc beaucoup de prétendants pour l’Ukraine. Il y a donc deux manières de voir les choses : soit la Russie ne laissera jamais l’Ukraine intégrer l’OTAN (ce qui est certain) et l’Union européenne. Soit, et je le pense, on considère que la Russie peut avoir des intérêts à ce que l’Ukraine se rapproche de l’Union européenne. En effet, toute la partie Est de l’Ukraine est le lieu d’activités d’entreprises russes très actives et qui ont intérêt à avoir accès au marché européen. Dès lors on peut imaginer un montage où la Russie accepterait pour des raisons économiques que l’Ukraine se rapproche de l’Union européenne, ce qui satisferait les Polonais. Il serait assez drôle de voir alors les Polonais et les Russes, qu’on présente toujours comme des adversaires, avoir des intérêts convergents à ce que l’Ukraine se rapproche de l’UE.

J’ajoute que sur le plan stratégique la Russie a tout intérêt à se rapprocher elle-même de l’UE puisque son grand jeu est de s’ancrer à l’Union.

Où en est la candidature turque ?

Pierre Verluise : Sur la période 2010 - début 2013, on a eu l’impression que la candidature de la Turquie n’avançait pas beaucoup. La Commission européenne a, à plusieurs reprises, utilisé dans ses rapports le mot “menaces” pour qualifier le comportement de la Turquie à l’égard de l’Union européenne, notamment sur le dossier chypriote.

Il semble que le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, ait décidé de faire bouger les lignes, de lever un veto, mais il est trop tôt pour savoir ce que cela va devenir. Ce qui est certain, c’est qu’on a l’impression que l’Union européenne voudrait rester dans le champ intellectuel et géopolitique de la Turquie, et rester un élément qui pèse dans le débat et sur la façon dont on conçoit l’avenir de la Turquie.

La Turquie de son côté s’est aperçu qu’elle a des cartes à jouer dans son environnement, que la croissance économique y est plus vive que dans l’Union européenne et que finalement il y a une vie après la candidature à l’UE. Le jeu consiste évidemment à jouer sur tous les tableaux, autant que faire ce peut.

L’Islande va-t-elle définitivement renoncer à sa candidature à l’Union européenne ?

Pierre Verluise : L’Islande s’est découverte une vocation européenne après avoir fait faillite. C’était extrêmement émouvant de voir tout un coup ce peuple souverain, de pêcheurs, attaché à ses droits de pêche, vouloir devenir membre de l’Union européenne… cela n’a duré qu’assez peu de temps. Une fois que les Islandais se sont rendu compte que la terre continuait à tourner et qu’avec de grosses difficultés sociales et politiques ils arrivaient néanmoins à faire plus ou moins face, l’idée de céder des éléments de souveraineté leur a semblé de plus en plus incongrue.

Ils ont donc, semble-t-il, pris un peu de distance avec les négociations d’adhésion. Pour l’Union européenne ce serait un camouflet, dans une certaine mesure, si l’Islande fermait la porte parce que, comme la Norvège par le passé, ce serait le signe qu’un pays assez facile à intégrer - la législation islandaise étant assez proche de la législation européenne, n’en aurait pas envie. Et cela est lourd, politiquement. Mais on observe que c’est un comportement opportuniste, finalement classique. Les autres Etats déjà membres de l’Union européenne ont tendance à faire la même chose. Et on observe aussi dans les Balkans que plus la possibilité de l’adhésion se rapproche dans le temps, plus les peuples voient leur enthousiasme diminuer. Quand c’est une perspective éloignée cela semble “tout beau tout facile” , mais quand cela se concrétise, on devient plus hésitant.

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