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Conseil européen : des sanctions, un fonds, et une modification des traités qui attend les Etats

Réunis en Conseil européen, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont accordés pour renforcer le Pacte de stabilité et de croissance. Concernant le volet préventif, les chefs ont durci la surveillance de leurs niveaux de dette et de déficit, en faisant notamment peser la menace de sanctions. Sur l’aspect curatif, ils ont opté pour la pérennisation du dispositif de soutien adopté en mai. Un élément qui nécessitera une réforme du traité de Lisbonne.

L’atmosphère était tendue au Conseil européen qui s’est déroulé jeudi et vendredi. Une semaine après la déclaration franco-allemande de Deauville, qui a pris de court tous les Etats européens en proposant une révision du traité de Lisbonne, les tractations sur la gouvernance économique s’annonçaient ardues.

Au moins, les chefs d’Etat et de gouvernements étaient d’accord sur leur objectif : mettre sous surveillance leurs choix économiques respectifs afin d’éviter une redite du scénario grec. Encore fallait-il muscler cet objectif en l’assortissant de sanctions, qui manquaient de mordant avec le premier Pacte de stabilité, et mettre en place un fonds de soutien permanent aux pays en difficulté. C’étaient les deux aspects en discussion au Conseil.

Renforcer la discipline budgétaire commune : des sanctions dissuasives

Concernant les sanctions à l’égard des pays laxistes, dont le principe était déjà acquis au sein des Vingt-Sept, le compromis de Deauville qu’avaient trouvé Angela Merkel et Nicolas Sarkozy a été largement repris.

Les sanctions seront plus rapides, mais pas automatiques comme c’était initialement prévu : le Conseil garde l’initiative du déclenchement d’une procédure, bien qu’il sera plus difficile qu’avant pour un gouvernement de s’y opposer. Une concession arrachée par la France, en dépit des recommandations de la Banque centrale européenne qui souhaitait l’automaticité.

Les petits Etats demeurent eux aussi sceptiques, gardant en mémoire les tractations politiques qui par le passé avaient évité à l’Allemagne et à la France d’être inquiétées pour leur dépassement de déficit. A ce sujet, le Premier ministre bulgare, Boïko Borrisov, a mis les pieds dans le plat : “Parlons franchement : qui va punir l’Allemagne ou la France ? Ils puniront des pays comme la Bulgarie, la Roumanie, la Pologne, la République tchèque” , a-t-il déclaré à la radio nationale de son pays.

Les sanctions ont quand même été alourdies. Outre les dépassements de déficit, ce seront les dépassements de dette (60%) qui seront sanctionnés. De plus, avant même l’atteinte des seuils, l’Etat s’engageant sur une mauvaise pente sera contraint de faire un dépôt bancaire bloqué préventif.

Le but de ces sanctions, qui peuvent sembler très lourdes, est d’être assez dissuasives pour de ne jamais avoir à en arriver là.


Deux autres types de sanction ont été évoqués sans susciter d’accord. Premièrement, la suspension des subventions européennes, comme les fonds de cohésion ou agricoles. Nombre de pays jugent la mesure contreproductive, estimant avec bon sens qu’elle ne ferait qu’aggraver la situation de l’Etat concerné.

Deuxièmement, une sanction cette fois politique, qui consisterait à suspendre les droits de vote au Conseil des mauvais élèves. Actuellement, une disposition si humiliante ne peut avoir lieu que dans le cas d’une violation par un Etat des droits de l’Homme. Très contestée, cette idée a été “mise à l’étude” , une façon diplomatique pour signifier qu’on l’a enterrée. D’aucuns estiment que son évocation par l’Allemagne avait uniquement pour but de rendre comparativement son autre exigence plus acceptable : celle d’opérer une révision du traité de Lisbonne.

Aider les Etats et soutenir l’euro en cas de nouvelle crise : un fonds de stabilisation permanent

C’est que celle-ci s’avère nécessaire en Allemagne pour la mise en place d’un fonds permanent de soutien aux pays de la zone euro, le volet “curatif” des conclusions du Conseil.

Cet instrument, qui s’apparenterait à un fonds monétaire européen, serait une pérennisation du fonds d’urgence qui avait été mis en place en mai pour secourir les Etats ébranlés par la crise budgétaire et qui faisaient l’objet d’attaques spéculatives qui déstabilisaient l’euro. Mais il l’améliorerait en impliquant non seulement de l’argent public mais également les banques détentrices des dettes souveraines.

Pourquoi L’Allemagne cherche-t-elle à modifier le traité de Lisbonne ?

L’opinion publique allemande avait vu d’un mauvais œil le plan de secours accordé à la Grèce au début de l’année. Déjà la mise en place du fonds d’urgence en mai avait été contestée auprès de la cour constitutionnelle de Karlsruhe, au motif que le traité de Lisbonne interdit d’aller au secours d’un Etat en faillite. La cour avait pourtant donné son feu vert, s’agissant d’un mécanisme temporaire. Mais l’instauration d’un mécanisme permanent changerait la donne.


A l’origine, l’Allemagne était pourtant réfractaire à un tel fonds de soutien. Mais elle a réalisé les conséquences qu’une crise budgétaire nationale pouvait avoir sur la zone euro dont elle est dépendante, et a reconnu qu’une aide à destination des pays en difficulté était, et serait peut être à nouveau un jour, nécessaire. Or, en tant que pays le plus riche de l’Eurozone, il s’agirait d’éviter que les contribuables allemands soient mis à contribution de manière disproportionnée. Ce mécanisme prôné par l’Allemagne rend les choses moins lourdes pour elle. Le principe d’un fonds a été arrêté au Conseil, mais ne pourra être mise en place qu’à condition de modifier le traité, explique Berlin (voir encadré).

Réviser le traité de Lisbonne : une nécessité ?

Mais à peine désembourbée du marasme institutionnel, l’Europe hésite à s’y replonger. Rouvrir le traité de Lisbonne, c’est prendre le risque de rouvrir la “boîte de Pandore” , les réclamations de tous les frustrés de Lisbonne. Les NONs français, irlandais et néerlandais, ainsi que les valses-hésitations tchèques et polonaises demeurent très présents dans les esprits. Ainsi la France et l’Allemagne souhaitent-elles circonscrire cette révision le plus possible, en passant notamment par une procédure dite “accélérée” , prévue par l’article 48-6 du traité, qui se passe de la convocation d’une conférence intergouvernementale.

Cette procédure nécessite quand même une ratification par les vingt-sept Parlements nationaux, mais les Etats pourraient se contenter de procédures simplifiées. Pour l’Irlande dont la Constitution impose l’organisation d’un référendum, le premier ministre Brian Cowen a rassuré ses partenaires sur la possibilité de s’en passer.

Reste à savoir quoi modifier dans le traité de Lisbonne, pour rendre le futur dispositif conforme. Ce peut être un ajout à l’article 122 (qui permet la solidarité entre Etats dans le cas de carastrophes naturelles) des difficultés économiques comme motif. Ce peut être aussi la suppression de la fameuse clause de non renflouement présente à l’article 125. L’Allemagne prêche pour la première solution, de peur que la seconde créé un aléa moral, c’est-à-dire qu’elle déresponsabilise des Etats qui sauraient que leurs pairs seraient toujours là pour les secourir.

Les Etats ont confié à Herman Van Rompuy, dont l’agenda se libère avec la fin de sa mission avec la task force, la tâche de proposer des modalités de révision du traité. Une telle révision devra être finalisée d’ici 3 ans, moment de la création du futur mécanisme.

Des tractations intenses

Pour arriver à ces résultats, les négociations ont été difficiles, de l’aveu même d’Angela Merkel. Le compromis franco-allemand de Deauville avait provoqué l’indignation de tous les autres Etats qui n’avaient pas eu leur mot à dire. Et pourtant, tous s’y sont finalement ralliés à l’issue du sommet.

David Cameron, qui avait pourtant décrété inenvisageable un nouveau transfert de compétences vers Bruxelles, a accepté l’idée d’une modification du traité qui de toutes façons ne le concerne pas vraiment (il ne fait pas partie de la zone euro). En échange, il a reçu de ses partenaires un soutien sur la limitation de l’augmentation du futur budget européen à 3%, contrairement aux vœux de la Commission qui plaide pour 6, et au Parlement qui déplore la faiblesse du budget. C’était l’autre dossier en discussion au Conseil.

La Commission européenne a plutôt favorablement réagit aux décisions des Etats. Après les réticences du commissaire Olli Rehn et la sortie très critique de Viviane Reding, le Président Barroso a accepté une révision du traité à condition qu’elle reste “limitée” .

A l’occasion d’une conférence de presse donnée par le Mouvement Européen - France, les députées françaises Sylvie Goulard (ADLE) et Constance Le Grip (PPE) sont d’accord pour constater « qu’il est bien que le couple franco-allemand arrive avec un accord au Conseil européen », même si du fait de la forme elles comprennent « les humeurs que cela a créé ». Mme Goulard pointe notamment le fait que cet accord « n’est pas un cadeau fait à Herman Van Rompuy et sa Task Force » qui n’avaient pas encore annoncé leurs propositions.

Le Parlement quant à lui, par la voix de son Président de Jerzy Buzek, a martelé la nécessité de sa présence pendant tout le processus de révision du traité ; la procédure simplifiée permet qu’il ne soit que “consulté” , ce qu’il refuse.

Sur le fonds, gauche et droite européennes sont assez profondément divisées. Le PPE soutient les conclusions du Conseil, tandis que l’opposition dénonce l’institutionnalisation d’une politique d’austérité “antisociale” qui risque de “tuer la reprise dans l’œuf” (Liêm Hoang-Ngoc). Pour les socialistes, une approche dans laquelle prévalent les sanctions conduisent à “ne faire aucune proposition pour sortir de la crise” (Pervenche Bérès). Si révision il y a, ils souhaitent qu’elle passe par la procédure normale.

Les choses devraient s’éclaircir lors du prochain Conseil européen. Les Etats laissent le soin à Herman Van Rompuy de paver la voie vers un compromis. Mais nous ne sommes probablement pas au bout de nos surprises : cette fois-ci, la task force, à l’oeuvre depuis plusieurs mois et qui devait présenter ses résultats comme base de discussion, s’était faite couper l’herbe sous le pieds par le couple franco-allemand. Les rapports de force politiques et les situations économiques peuvent encore bouger d’ici là.


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