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Brexit : quel avenir pour le Royaume-(dés)uni ?

Le référendum sur le Brexit, le 24 juin 2016, a ébranlé l’équilibre politique et institutionnel du Royaume-Uni. Trois ans plus tard, le gouvernement de Boris Johnson semble sur le point de concrétiser la sortie de l’Union européenne. Mais le ressentiment vis-à-vis de Londres s’accentue en Irlande du Nord ou encore en Ecosse, qui ont majoritairement voté contre le retrait de l’UE. Ces nations constitutives pro-européennes seraient-elles prêtes à menacer l’unité du Royaume ?

La Première ministre Ecossaise Nicola Sturgeon, en 2016, à l'annonce des résultats du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'UE - Crédits : Scottish Government / Flickr CC BY-NC 2.0
La Première ministre Ecossaise Nicola Sturgeon, en 2016, à l’annonce des résultats du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE - Crédits : Scottish Government / Flickr CC BY-NC 2.0

L’Ecosse risque de sortir de l’Union européenne contre sa volonté” , regrettait le 24 juin 2016 la Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon. Alors que l’Ecosse, la nation constitutive qu’elle dirige depuis 2014, avait voté la veille à 62 % contre le Brexit, le Royaume-Uni venait de décider de quitter l’UE d’une courte majorité (51,89 %).

Mais les Ecossais ne sont pas les seuls dans ce cas : l’Irlande du Nord s’est également prononcée pour le “Remain” à 56 %. Comme les Londoniens (59 % en faveur du maintien) ou encore les habitants de la presqu’île de Gibraltar, une enclave britannique au sud de l’Espagne, où 95 % des votants ont rejeté le Brexit. Ces fortes divergences mettent en lumière des réalités socio-économiques : les villes dynamiques et les territoires frontaliers, au vote libéral et internationaliste, ont voté contre la sortie, tandis que les territoires périphériques et désindustrialisés ont constitué un terreau fertile pour le discours anti-élites et protectionniste du camp du “Leave” .

Alors que le Premier ministre britannique Boris Johnson n’exclut toujours pas un “no-deal” , une sortie de l’UE sans accord si jamais celui-ci n’était pas ratifié, quelles pourraient être les répercussions d’une telle décision sur les territoires pro-européens du pays ?

Dès l’annonce du résultat du référendum, en 2016, des velléités d’indépendance écossaise et de réunification irlandaise ont refait surface, menaçant l’unité fragile du Royaume. La Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, a ainsi appelé à un nouveau référendum d’indépendance pour l’Ecosse dès le lendemain du référendum, tandis que le Taoiseach (chef du gouvernement) de la République d’Irlande, Leo Varadkar, a lui évoqué la réunification irlandaise comme une solution préférable à une sortie sans accord.

Le Pays de Galles a quant à lui voté à 52,5 % en faveur du Brexit. Sur ses 22 subdivisions électorales, seules sa capitale, Cardiff, ainsi que quatre autres zones de vote, ont préféré le Remain. Les volontés indépendantistes, historiquement faibles dans cette région où le parti nationaliste Plaid Cymru collecte en moyenne 10 % des voix, n’ont donc pas été favorisées par ce résultat.

Un Royaume à l’unité fragile

Historiquement séparées, les nations constituant le Royaume-Uni d’aujourd’hui se sont progressivement rapprochées, tant par la force (l’île d’Irlande a fait l’objet d’une colonisation progressive par les Anglais depuis la fin du XIIème siècle) que par les liens unissant leurs monarques (en Ecosse et en Angleterre, le XVIIème siècle a vu émerger le premier héritier commun aux deux royaumes, Jacques Stuart).

Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne, né en 1707 de l’union totale de l’Ecosse avec le Royaume d’Angleterre (incluant alors l’Angleterre et le Pays de Galles), est devenu le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande en 1801.

Cette union de différents peuples a cependant connu des oppositions vives, notamment en Irlande. Après une révolte à la fin de la Première guerre mondiale, l’Irlande obtient un statut autonome (à l’exception de l’Irlande du Nord qui demeure un territoire du Royaume-Uni). Son indépendance est reconnue officiellement par le Royaume-Uni en 1922 et “l’Etat libre d’Irlande” devient une république en 1937. La province restée dans le Royaume-Uni, l’Ulster, connaît entre 1968 et 1998 un conflit interne (connu sous le nom de “Troubles”) dû à la discrimination opérée par la majorité protestante britannique envers la minorité catholique irlandaise. Ce conflit débouche sur l’accord dit du “Vendredi Saint” qui, grâce à la libre circulation permise par l’Union européenne, garantit l’absence de frontière physique entre la République d’Irlande et le nord de l’île.

L’unité du Royaume-Uni reste toutefois fragile : en République d’Irlande comme en Irlande du Nord, des mouvements nationalistes continuent de militer pour une réunification de l’île. En Ecosse, le mouvement indépendantiste, dont le Parti national écossais (SNP) au pouvoir est aujourd’hui le principal porte-parole, milite depuis le siècle dernier pour plus d’indépendance, sinon pour plus d’autonomie vis-à-vis du gouvernement de Londres. Ces velléités séparatistes ont amené le gouvernement de Tony Blair à mettre en œuvre, en 1997, une dévolution des pouvoirs conférant à ces deux régions ainsi qu’au Pays de Galles des administrations, gouvernements et parlements autonomes.

Plusieurs siècles d’histoire commune n’ont donc pas effacé les disparités entre les régions britanniques. Outre des spécificités culturelles et linguistiques, d’autres sont d’ordre géographique (littoraux, ports et zones urbaines), économique ou politique (l’Ecosse entretient depuis plus de vingt ans une tradition sociale-libérale europhile, éloignée de la majorité conservatrice d’Angleterre).

Le Brexit ou l’éclatement du consensus britannique

Alors que l’Irlande du Nord, l’Ecosse et Gibraltar ont majoritairement voté contre le retrait de l’UE, ces régions vivent aujourd’hui le Brexit comme une décision imposée et non-consentie, accentuant le ressentiment vis-à-vis de Londres.

Vers une réunification de l’Irlande ?

En Irlande, au nord comme au sud, le rétablissement d’une frontière entraîné par un “no-deal” est vu comme une rupture de l’accord de paix de 1998 et fait craindre un retour des violences. Les nationalistes catholiques nord-irlandais militent pour un maintien dans l’Union européenne, et sont soutenus par le Sinn Féin, le parti républicain pro-réunification, également présent en République d’Irlande.

Qu’est-ce que l’Accord du Vendredi Saint ?

Cet accord, qui a mis fin en 1998 à trente ans de violences, reconnaît notamment aux Nord-irlandais le droit d’obtenir la citoyenneté irlandaise et/ou britannique. Pour préserver la paix à l’avenir, il repose également sur une coopération renforcée entre les deux Irlande, facilitée par le marché commun européen. Or la sortie du Royaume-Uni de l’UE supposerait un retour des contrôles à la frontière, entravant la liberté des échanges entre le nord et le sud de l’île.

Pour l’éviter, un premier accord de retrait a été proposé par Londres et Bruxelles à l’automne 2018, prévoyant de maintenir temporairement tout le Royaume-Uni dans un “territoire douanier unique” avec l’UE (c’est le fameux “backstop” ou “filet de sécurité”). Mais cette proposition a été rejetée à de multiples reprises par les parlementaires britanniques.

Le nouvel accord négocié par Boris Johnson, et validé par le Conseil européen le 17 octobre 2019, prévoit que l’Irlande du Nord quitte l’Union douanière de l’UE avec le reste du Royaume-Uni, mais qu’elle continue d’appliquer un certain nombre de normes européennes pour faciliter la circulation des biens produits sur son territoire. Des contrôles ne seraient réalisés en Mer d’Irlande que pour les produits provenant de l’étranger ou du reste du Royaume-Uni et susceptibles d’entrer sur le marché unique. Cette proposition, qui doit encore obtenir l’approbation des parlements britannique et européen, ne satisfait pas les unionistes nord-irlandais qui craignent que l’Ulster s’éloigne ainsi du reste du Royaume.

Par ailleurs, la démographie nord-irlandaise a largement évolué. En 1920, les protestants représentaient 65 % de la population contre 35 % de catholiques : il faisait alors sens pour les dirigeants de maintenir l’Ulster au sein du Royaume-Uni protestant plutôt que de l’intégrer au reste de l’île, catholique. Mais en 2011, cet écart était réduit à 48 contre 45 %. Le Premier ministre de la République d’Irlande, Leo Varadkar, considère désormais la réunification comme un projet politique plus que nationaliste. Il déclarait le 29 juillet dernier : “de plus en plus vous verrez des protestants libéraux, des unionistes libéraux commencer à se demander où ils se sentent le plus chez eux. Est-ce dans un Royaume-Uni nationaliste (…) ou bien est-ce dans la maison commune européenne et l’Irlande ?

Un référendum de réunification pourrait ainsi avoir lieu si les dirigeants jugent les conditions définies par l’accord de paix réunies (celui-ci permet la tenue d’un référendum “s’il apparait qu’une majorité du corps électoral émettrait le souhait que l’Irlande du Nord cesse de faire partie du Royaume-Uni et fasse partie d’une Irlande unifiée”).

Vers l’indépendance de l’Ecosse ?

Un autre référendum pourrait se tenir en Ecosse, pour ou contre l’indépendance de la région. Un vote similaire s’était tenu en 2014 et avait vu le maintien dans le Royaume-Uni l’emporter, l’une des principales réticences au vote indépendantiste étant alors la peur d’une sortie de l’UE.

Or désormais, avec le Brexit, le maintien dans le Royaume-Uni est également synonyme de sortie de l’UE. La Première ministre écossaise a dès lors appelé à un nouveau référendum, arguant que les conditions du référendum de 2014 avaient “substantiellement changé” .

Au sein de la population écossaise, l'idée de l'indépendance fait son chemin. Manifestation contre le Brexit et pour l'indépendance, à Edimbourg le 5 octobre 2019 - Crédits : Magnus Hagdorn / Flickr CC BY-SA 2.0Au sein de la population écossaise, l’idée de l’indépendance fait son chemin. Manifestation contre le Brexit et pour l’indépendance, à Edimbourg le 5 octobre 2019 - Crédits : Magnus Hagdorn / Flickr CC BY-SA 2.0

Initialement prévu pour fin 2018 ou début 2019, la Première ministre souhaite désormais organiser une consultation avant la fin de l’année 2020. La victoire des conservateurs aux élections anticipées du 12 décembre confirme en effet la probabilité d’une sortie du pays de l’UE au 31 janvier 2020. Mais ces élections ont également souligné un certain soutien de l’électorat à l’idée de l’indépendance : le parti national écossais l’a emporté dans 48 des 59 circonscriptions écossaises. Plus tôt, le 5 octobre 2019, des manifestations indépendantistes s’étaient déroulées dans plusieurs villes du pays, réunissant plusieurs centaines de milliers de manifestants selon les organisateurs. “Independence is coming” , avait tweeté Nicola Sturgeon en réaction.

Le cas de Gibraltar

Le “Rocher” dispose, quant à lui, d’un statut spécial au sein du droit britannique et européen : il est officiellement membre de l’Union européenne mais n’est pas soumis à sa fiscalité douanière, par exemple. Néanmoins, un “no-deal” et une fermeture de la frontière se révèlerait dangereuse pour l’économie de Gibraltar et ses relations avec l’Espagne : 40% des travailleurs et 95% des touristes de l’enclave transitent par cette frontière, grâce à la libre circulation européenne.

La question de la sécession pourrait-elle donc finir par se poser aussi à Gibraltar ?

L’Espagne a en tout cas obtenu un droit de véto sur toutes les questions touchant à l’enclave dans les négociations du Brexit. Et en 2017, Madrid avait également profité de ces négociations pour remettre sur la table une proposition de co-souveraineté hispano-britannique sur le Rocher. “J’ai la conviction que cette solution sera acceptée avec le temps et qu’elle bénéficiera aux uns comme aux autres” , avait déclaré le ministre espagnol des Affaires étrangères avant une visite dans la région.

Pour l’heure toutefois, le chef du gouvernement du Rocher, comme le peuple de Gibraltar, restent fermement opposés à un partage de souveraineté avec l’Espagne, rejeté par référendum en 2002.

Un scénario plus “catastrophe” que réaliste

Face à ces risques d’implosion, que faire pour préserver l’intégrité du Royaume-Uni ? Une annulation du Brexit, comme proposée par les Libéraux-démocrates, poserait un autre problème : une profonde division de la société britannique et, parmi les Brexiters, une accentuation du sentiment d’abandon et de rejet des élites.

Par ailleurs, si l’hypothèse d’une dislocation du Royaume-Uni est envisageable en cas de “no-deal” sur le papier, il faut la nuancer. En réalité, les différentes parties n’auraient pas toutes intérêt à se lancer dans un processus de sécession qui pourrait bien se révéler encore plus complexe que le Brexit lui-même.

Dans un premier lieu, si les frontières actuelles du Royaume-Uni datent de 1922, une date bien récente à l’échelle de notre civilisation, l’image du royaume est bien plus ancienne. Puissance européenne depuis le Moyen-âge, puis Empire hégémonique au XIXe siècle, l’Angleterre incarne un modèle politique pour beaucoup d’Etats (le système dit “de Westminster” est actuellement en place dans la plupart des Etats du Commonwealth, et en a inspiré d’autres).

La dislocation du Royaume-Uni signerait un retournement politique majeur depuis la fin de l’Empire colonial, et un affaiblissement considérable de la monarchie britannique. Si le gouvernement du Royaume-Uni s’y opposerait sans doute, la population elle-même serait susceptible de préférer un statu quo constitutionnel à un morcellement du pays. Il serait ainsi difficile pour les nationalistes de réunir des majorités favorables à l’indépendance, d’autant plus sur l’île d’Irlande, où une double majorité serait nécessaire de part et d’autre, au nord comme au sud.

Au-delà de l’aspect symbolique, une sécession de plusieurs régions britanniques impliquerait de lourdes pertes pour Londres. Si l’Ecosse ne compte qu’à peine plus de 5 millions d’habitants (8 % de la population du Royaume-Uni), elle abrite 90 % des ressources minières et gazières et un quart des réacteurs nucléaires du pays. Stratégiquement, ces territoires confèrent au Royaume-Uni des ouvertures frontalières et maritimes importantes. Gibraltar offre en particulier au pays un accès commercial et militaire à la Méditerranée, mais aussi au Golfe persique et à l’océan Indien, à travers le Canal de Suez.

Surtout, ces nations constitutives auraient également beaucoup à perdre. Une indépendance serait néfaste à l’économie gibraltarienne, qui repose sur les échanges : le Rocher aurait à sortir du Royaume-Uni avant de pouvoir se porter candidat à l’adhésion à l’UE, entraînant une période de transition où il serait privé de relations commerciales. Gibraltar aurait par ailleurs, pour espérer intégrer l’Union, à durcir sa politique fiscale.

Poste de contrôle, situé sur l'unique frontière de Gibraltar - Crédits : Antoine 49 / Flickr CC BY-NC-ND 2.0Poste de contrôle, situé sur l’unique frontière de Gibraltar - Crédits : Antoine 49 / Flickr CC BY-NC-ND 2.0

L’Ecosse serait également menacée d’isolement temporaire, l’amputant ainsi de ses exportations (26,6 milliards d’euros, principalement du pétrole et du whisky), et en particulier de ses échanges avec le reste du Royaume-Uni s’élevant à 141 milliards d’euros. Elle hériterait de surcroît de 1 600 milliards de livres sterlings de dette britannique, et accroîtrait son déficit structurel (aujourd’hui à 1,5 milliard), menaçant ainsi sa capacité à maintenir sa coûteuse politique sociale-démocrate.

De plus, tant pour Gibraltar que pour l’Ecosse, l’accord unanime nécessaire des 27 Etats membres constituerait un nouvel obstacle à une adhésion à l’UE. En effet, pour ne pas créer de précédent pouvant motiver les indépendantistes basques ou catalans à suivre cette voie, l’Espagne tient fermement une ligne de non-reconnaissance des Etats sécessionnistes, comme le Kosovo. Il y a ainsi fort à penser que Madrid s’opposerait à une telle adhésion.

En définitive, seule l’Irlande du Nord semblerait réunir les critères pour quitter le Royaume-Uni : une intégration à la République d’Irlande lui permettrait de réintégrer immédiatement le marché commun et l’UE, et lui éviterait d’avoir à supporter seule le poids économique et politique d’un départ du royaume. Mais là encore, il lui faudrait d’abord l’assentiment de Londres, de Dublin, de Belfast, et d’une double majorité de la population de l’île d’Irlande lors d’un référendum commun et simultané.

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