Touteleurope.eu : Votre ouvrage est publié trois mois après le référendum sur le Brexit. Tirer les leçons de cet événement pour sauver l’avenir de l’UE c’est un des objectifs de votre ouvrage ?
Jean-Luc Sauron, est conseiller d’État, délégué au droit européen du Conseil d’État. Il enseigne le droit de l’Union européenne à l’université à Strasbourg et à Paris-Dauphine. Acteur du monde associatif, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire et les institutions de l’Union. Il vient de publier “Faites l’Europe, pas la guerre : Réformer la France - Réorienter l’Europe” aux éditions Gualino.
Les réunions, comme par exemple les Conseils européens, sont trop opaques. On essaie de rassurer les citoyens avec un minimum d’information, c’est de l’infantilisation de l’électorat. Au-delà de la mondialisation, les électeurs ont l’impression d’être les perdants de l’absence de prospérité économique et ne l’acceptent plus. Depuis dix voire quinze ans, les dirigeants politiques européens ont affirmé que des réformes telles que le passage à l’euro ou le traité de Lisbonne allaient nous apporter richesse, bien-être et emploi mais les citoyens européens ont été déçus.
Depuis des années, la classe politique britannique (comme les classes politiques des 27 autres États membres) explique que tout ce qui arrive de mal a pour origine “Bruxelles” . Finalement, le peuple britannique a réagi assez sainement, en pensant que la seule manière de restaurer un dialogue entre lui et un responsable politique libre de l’écouter et de lui répondre, c’est de quitter l’Europe ! Ils ont naturellement supprimé Bruxelles de leur horizon politique.
Aujourd’hui le projet européen ne peut pas redémarrer si les classes politiques continuent à agiter que le seul responsable, le bouc émissaire, c’est “Bruxelles” et que les citoyens de chaque Etat membre n’ont aucun moyen de pression sur ce qui est décidé au niveau européen. C’est un message qui est transposable partout, en France comme ailleurs. Les citoyens français ne supportent plus de ne pas avoir la maîtrise de ce qui peut leur arriver.
Touteleurope.eu : Selon vous, il faut reconstruire la démocratie nationale pour redonner au peuple le contrôle de sa destinée européenne…
Jean-Luc Sauron : Il faut redonner son efficacité à la vie politique nationale. La classe politique nationale peut peser sur les décisions prises au niveau européen. Mais encore faut-il qu’elle ne se défausse pas systématiquement sur Bruxelles et les autres capitales. La gestion des questions européennes telle qu’elle est pratiquée depuis plusieurs années est une aberration. Institutionnellement la France ne se construit pas dans la perspective de la construction européenne. Elle refuse de se voir et de s’organiser comme la partie d’un tout (Union européenne).
Il ne faut pas oublier que les parlementaires et le gouvernement participent à la production de normes européennes. Ils en sont responsables également à leur échelon. Il faut se donner les moyens d’agir, augmenter la compétence technique du législateur français, lui attribuer des moyens supplémentaires pour suivre et contrôler le travail de négociations au sein des institutions européennes, politiser le processus avec la mise en place d’un dialogue entre parlementaires européens français et leurs électeurs, et quitter la neutralité dont est affublée l’Europe qui ne se résume pas à des propositions techniques. L’Europe, ce sont des décisions politiques. Il faut réinjecter de la politique et de la compétence, prendre le temps du débat et donner du contenu au mandat politique exercé tant en France qu’au niveau européen.
Touteleurope.eu : C’est ce que vous entendez par le concept de nationalisation des questions européennes ?
Jean-Luc Sauron : Je pense qu’il serait nécessaire de clarifier qui fait quoi en France en matière européenne. Depuis 1957, les affaires européennes ont été considérées comme des affaires étrangères et dépendent, de ce fait, du domaine de compétence présidentielle. Or, le président de la République n’est pas responsable devant le Parlement national, ni devant les citoyens, en dehors d’une remise en cause de son mandat lors d’une réélection. Je propose de rattacher les affaires européennes sous la responsabilité et la conduite du Premier ministre.
Par exemple en juillet dernier, le président de la République avait déclaré que le Premier ministre annoncerait des propositions de réformes institutionnelles mais nous n’avons rien vu. L’une des causes de l’absence de légitimité de l’Europe, au niveau national, réside dans l’impossibilité d’avoir un interlocuteur politiquement responsable et facilement identifiable.
Les parlementaires français (députés et sénateurs) ont vu leur capacité à peser sur les décisions adoptées à Bruxelles augmenter avec le traité de Lisbonne de 2007. Les commissions des Affaires européennes du Sénat et de l’Assemblée nationale suivent très précisément les textes en cours de négociation dans le cadre européen. Il faudrait plus de communication sur le travail des parlementaires français et européens.
Touteleurope.eu : Relancer le projet européen signifie-t-il de d’abord relancer le noyau dur ?
Jean-Luc Sauron : Oui il faut démarrer avec deux ou trois pays et ne pas attendre la fin de ce “tunnel” de rendez-vous électoraux ou de consultations référendaires qui vont marquer la fin de l’année 2016 et l’année 2017.
Pour relancer le projet européen, il faut que deux ou trois Etats établissent des initiatives, en dehors du cadre institutionnel européen classique, sous la supervision de la Commission européenne et le contrôle de la Cour de justice. Il faut que la France et l’Allemagne, qui représentent 50% du PIB de la zone euro, coopèrent plus étroitement afin que les autres suivent et qu’il y ait un effet d’entraînement. Et je ne pense pas qu’une réforme des traités soit nécessaire. Ajouter une nouvelle “usine à gaz” à une construction institutionnelle déjà complexe serait encore pire.