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Adriano Farano : “L’Italie et l’Union européenne”

Adriano Farano - DRAdriano Farano est le directeur éditorial du magazine européen cafebabel.com, publié en sept langues, qui s’appuie sur un réseau de journalistes présents dans toute l’Europe. C’est aussi une association, qui organise régulièrement des débats dans de nombreuses villes européennes.

Depuis quelques années, l’Italie est souvent qualifiée d’homme malade de l’Europe ? Partagez-vous ce diagnostic ?

L’hebdomadaire The Economist a employé il y a quelques mois cette expression, que je trouve assez exacte. Les pays comme l’Allemagne et la France, qui sont souvent comparés à l’Italie, ont des atouts structurels qu’elle n’a pas. En Italie, il n’y a pas de train à grande vitesse, le système universitaire est dominé par la gérontocratie, la politique de natalité est inexistante. L’Italie est vraiment à la traîne et ses problèmes ne peuvent être réglés d’un coup de baguette magique.


Certains membres du précédent gouvernement ont remis en cause l’appartenance de l’Italie à la monnaie unique. Les Italiens regrettent-ils à ce point la lire ?

C’est Roberto Maroni, ministre du Travail et membre de la Ligue du Nord, un parti extrémiste, qui est l’auteur de cette déclaration. Cela n’a étonné personne, d’autant que l’Italie est un pays viscéralement carnavalesque. Là, je pense qu’il s’agissait plus que d’une boutade. L’Italie, avec la Grèce, est le pays qui a connu la plus forte hausse des prix depuis l’introduction de la monnaie unique. Il y a donc un malaise. Mais on ne peut pas dire que la plupart des Italiens souhaitent un retour à la lire. Par le passé, on a connu des dévaluations à tour de bras, qui ont eu beaucoup de répercussions sur la politique italienne.


Est-ce que l’Union européenne est utilisée comme un bouc émissaire par les gouvernements pour expliquer les difficultés économiques qu’ils peuvent rencontrer ?

Par le gouvernement de Silvio Berlusconi, oui. Berlusconi a toujours parlé de “l’euro de Prodi” , pour se décharger de la responsabilité de la hausse des prix sur l’ancien président de la Commission européenne. Il en a été de même sur la question de l’immigration. A plusieurs reprises, Giuseppe Pisanu, ministre de l’Intérieur a réclamé l’intervention de l’Union européenne pour contrôler les flux migratoires. Il est vrai qu’avec l’espace Schengen, un pays comme l’Italie qui compte 7000 kilomètres de côtes, aurait besoin d’être davantage épaulé par l’UE.


L’Italie a donné à la construction européenne certaines de ses plus grandes figures, du moins au début. Des gens comme Gasperi ou Spinelli ont-ils aujourd’hui des successeurs ?

Non, et je ne pense pas qu’il s’agisse d’un problème de personnes. Cela tient au poids de l’Italie. Pendant la Guerre froide, le pays avait une stature plus importante sur la scène internationale qu’il n’en a aujourd’hui. Même si on avait un grand homme d’Etat, je ne sais pas par qui il pourrait être écouté, car il ne représenterait plus qu’un pays à bout de souffle, du moins sur le plan économique.


En Italie, le Traité établissant une Constitution pour l’Europe a été ratifié par le Parlement. Est-ce qu’une campagne référendaire sur l’Europe aurait suscité autant de passion et de débat qu’en France ?

Non, parce qu’en Italie, l’Europe demeure un sujet consensuel pour la plupart des partis politiques et aussi dans l’opinion, même si ce consensus est assujetti à une certaine érosion. Un référendum national aurait exacerbé les oppositions mais pas au point d’aboutir à un résultat négatif comme en France.


Au cours des dernières années, les Italiens ont-ils eu l’occasion d’exprimer leur sentiment sur la construction européenne ?

Il y a eu un référendum sur le Traité de Maastricht, qui s’est soldé par 82 % de “oui” . S’il devait y en avoir un sur la Constitution, on tomberait probablement à 62-65 %, ce qui est tout de même assez négatif. Mais je pense qu’il aurait fallu organiser un référendum au même moment dans tous les pays européens.

Les questions européennes ont-elles eu du poids au cours des dernières élections législatives ?

Très nettement, non. Elles n’en ont jamais eu dans le débat public, parce que l’Europe est un sujet consensuel. En revanche, Berlusconi a été accusé de n’être pas assez pro-européen par certaines figures du débat intellectuel. Mais pour en revenir à la Constitution, il faut quand même dire que l’Italie, au cours de sa présidence, a fait du bon travail pour que ce texte soit approuvé par les dirigeants européens.


Quel est le bilan de Silvio Berlusconi en matière européenne ?

Il n’a pas pris de grande initiative, parce qu’il s’agit d’un homme d’Etat assez médiocre comme la plupart de nos hommes d’Etat actuels. L’Europe aurait besoin d’un leadership, d’une figure motrice. Mais ce n’est sans doute pas de l’Italie qu’elle viendra parce que l’Italie, aujourd’hui, est vraiment un petit pays. A mon avis, le gouvernement de Romano Prodi ne va pas se démarquer du gouvernement Berlusconi, même s’il y a une différence sur les rapports transatlantiques. Pour ma part, je ne pense pas que la construction européenne puisse avancer à coups de “non” à la politique américaine. De plus, l’Italie ne peut rien faire toute seule dans une Europe à vingt-cinq, et même si elle apporte son humble apport au couple franco-allemand, cela n’aurait pas vraiment de suite.


On peut tout de même penser que le prochain gouvernement sera moins spontanément atlantiste que celui de Silvio Berlusconi ?

Oui, mais encore une fois, ce n’est pas en étant anti-atlantiste que la construction européenne va avancer. Il suffit de prendre les différents sujets internationaux sur la table pour constater que les intérêts convergent : l’Amérique ne veut pas d’une guerre avec l’Iran, elle souhaite l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne…

A ce sujet, certains Etats européens sont plus réticents que d’autres…

Je parle de l’Union européenne en tant que telle. C’est la direction vers laquelle on est en train d’aller. Ou alors, que les Etats qui veulent se démarquer des autres sortent de leur immersion diplomatique et déclarent qu’ils veulent construire une avant-garde, un groupe pionnier ou une union politique. Mais pour l’instant, on est en train de construire une zone de libre-échange et de législation commune, pas un véritable ensemble politique.


Revenons à l’Italie. Selon vous, l’élection de Romano Prodi aura donc peu de conséquences sur la politique européenne du pays ?

Elle aura très peu de conséquences. Berlusconi était favorable à l’élargissement, Prodi également… Il faut aussi dire une chose, c’est que l’Europe compte peu de vrais sujets sur son agenda. La Constitution, la stratégie de Lisbonne, c’est de la poudre aux yeux. Aujourd’hui, on a simplement une Europe qu’il faut faire marcher. Il n’y a pas d’agenda européen pour lequel on puisse se demander quelle sera la politique du gouvernement italien. C’est triste, mais c’est comme ça.

Rétrospectivement, quel bilan peut-on tirer du passage de Romano Prodi à la tête de la Commission ?

Prodi est peut-être un fin penseur, mais il n’a pas la moindre idée de ce qu’est la politique italienne. A mon avis il était très bien à la présidence de la Commission, où il a lancé pas mal de choses, même si j’ai tendance à dire que l’Europe n’avance plus depuis 1992. L’élargissement, l’euro, Schengen : tout était déjà dans le Traité de Maastricht. La stratégie de Lisbonne, encore une fois, n’est pas un vrai projet. On n’arrivera jamais à faire de l’Europe la zone la plus compétitive de la planète avec un assemblage de stratégies nationales très peu coordonnées au niveau européen. En plus, personne ne sait ce qu’est la “méthode ouverte de coordination” . Et l’Europe ne peut pas lancer de projets sans que ceux-ci soient relayés par des médias nationaux, locaux mais aussi paneuropéens, dans lesquels on puisse faire entendre différentes opinions, en plusieurs langues.



C’est ce que vous essayez de faire avec cafebabel.com ?

Effectivement, mais il reste encore beaucoup à faire. Je pense qu’on a vraiment besoin en Europe de se connaître, de se parler, d’échanger des opinions. Cela peut paraître banal, mais on ne le fait pas du tout. La crise dans laquelle se trouve l’Europe aujourd’hui ne vient pas du manque de leadership, ni du “non” français à la Constitution. C’est une crise structurelle. Soit on décide de faire le grand pas vers une Union politique, fédérale, dans laquelle les Etats et les régions conserveraient leur identité, soit on est condamné à rester au dernier stade de l’intégration économique, qui est tout de même une intégration très poussée avec des initiatives que beaucoup de pays dans le monde nous envient. On continuerait alors d’être une sorte de Venise post-moderne qui ne sait plus penser son avenir, un continent condamné à devenir un monument pour les touristes chinois.

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